J’étais résolu à ne pas voter Macron, pour les mêmes raisons qu'Alain Guiraudie, comme beaucoup d'électeurs de gauche.
Je mettrai finalement un bulletin « Macron » dans l’urne dimanche : parce que le risque est là et que le fascisme n’est pas une option. Parce que les gudards autour d’elle et les néonazis dans les rues, la préférence nationale et l’impunité aux policiers. Parce que Drumont et Maurras, Vichy et Tixier-Vignancour, Faurisson et Jean-Marie. Parce qu'une victoire de l'extrême-droite serait une « catastrophe » pour des millions de mes concitoyen∙ne∙s : « pour l’ensemble des classes populaires, et en particulier pour les personnes étrangères, les musulman∙e∙s, les personnes racisées, les femmes et les personnes LGBTI. »
Je mettrai un bulletin « Macron » dans l’urne dimanche pour toutes les raisons exposées par Ugo Palheta (ici et là), Usul et Ostpolitik (voir plus bas) ou Stefano Palombarini (autour de la 30e minute de cette vidéo et là), ainsi que dans ce dossier en accès libre de Mediapart ou cet article du magazine Frustration.
Je mettrai un bulletin « Macron » dans l’urne dimanche malgré le puissant rejet que m’inspire le président de la République. Un rejet qu’il n’a jamais cessé d’alimenter : au cours des seuls huit derniers jours, il a entre autres osé soutenir que les électeurs de gauche n’avaient pas fait barrage en 2017 et que voter pour lui vaudrait adhésion à son programme de destruction (voir ici et lire là) ; il a continué à mentir, à vider des mots de leur contenu (sa manipulation du langage – héritée de ses années chez les jésuites ? – a été notamment analysée ici, là et là), à se mettre en scène d’une façon inquiétante ou déplacée, à éviter tout débat (tout en faisant mine du contraire) et à parler tout seul ; dans le même temps, le corps diplomatique a été supprimé, et la maternité où je suis né fermée pendant une semaine, comme beaucoup d'autres services hospitaliers.
Je ne passerai pas une seconde devant le débat de l’entre-deux-tours ce mercredi, comme je n’ai pas passé une seconde devant les débats ayant opposé ces derniers jours MM. Darmanin et Bardella ou MM. Blanquer et Aliot.
Il est stupéfiant qu’en France aujourd'hui des fascistes puissent débattre « programme contre programme », que Le Pen soit en mesure d’accéder à l’Elysée, que Macron ait pu lui-même accéder à l’Elysée en 2017, et que nos institutions aient été conçues par un homme dont la formation a été centralement marquée par le souvenir de la défaite de 1870.
J’ai voté pour la première fois le 21 avril 2002. Le principal candidat à gauche avait alors porté un projet qui était non « pas socialiste » mais « moderne », son programme avait été écrit par le strauss-kahnien Pierre Moscovici et sa campagne dirigée par le mitterrandiste historique (et ami de Jérôme Cahuzac) Jean Glavany. Le gouvernement Jospin avait beaucoup privatisé pendant cinq ans, et le Premier ministre perdu la main à partir de la rentrée de septembre 1999.
Le 21 avril au soir, la place de la République était jeune et noire de monde à Lille, et la manifestation fut massive le 1er mai suivant. Je me souviens avoir vu ce jour-là Pierre Mauroy sortir d’une voiture à l’un des croisements de la rue de Paris (qui porte désormais son nom), marcher seul et en silence quelques centaines de mètres, puis quitter le cortège dans la rue Faidherbe. L’ancien Premier ministre, quelques semaines plus tôt, dans le QG de la rue Saint-Martin : « Lionel, quand je regarde ton programme, je n'y vois ni les ouvriers ni les travailleurs. Ce ne sont pourtant pas des gros mots... » (Je précise que différentes analyses sur les années 1981-1983 et la semaine décisive du tournant de la rigueur m’ont conduit à juger sévèrement le bilan politique de Pierre Mauroy.)
En 2022, j’ai vu cette fois des états-majors irresponsables « s’accrocher jusqu’au bout à leurs campagnes bilieuses » et commettre ainsi une faute historique. Comment ne pas rapprocher en particulier les 420.000 voix qui ont manqué à Jean-Luc Mélenchon des 800.000 voix recueillies par Fabien Roussel ? Le 10 avril, le bulletin Mélenchon était (aussi) un bulletin antifasciste : une occasion peut-être unique de porter un coup d’arrêt aux succès électoraux de l’extrême droite vient d’être ratée – d'un cheveu...
J’habite aux portes de la circonscription d’André Chassaigne. En 2018, le député du Puy-de-Dôme avait voulu et obtenu la rupture avec les Insoumis. Son « manifeste » avait alors recueilli un fort soutien au sein de la fédération voisine du PCF de l'Allier. Quatre ans plus tard, les communistes ont obtenu respectivement 2,5% et 2,3% des voix aux élections européennes et présidentielles, et, en Bourbonnais, ils ne comptent plus que deux conseillers départementaux et risquent fort de perdre leur unique siège de parlementaire (lire ici, là et là).
Ce n’est pas sans tristesse que j’assiste à cette évolution : j’ai grandi dans l’ancienne troisième circonscription, dont Pierre Villon puis André Lajoinie furent longtemps les représentants (en 2001-2002, Jean-Claude Mairal avait réussi l’exploit de céder coup sur coup à la droite la circo et le Conseil général), et le temps n’est pas loin où Jean-Paul Dufrègne présidait avec assurance le Département (2008-2015).
Dans ce sombre tableau, et alors qu’il n’est plus possible d’espérer un changement climatique contenu à + 1,5°C (« les électeurs des pays occidentaux votent, consciemment ou non, pour un changement de l’ordre de + 3°C ou + 3,5°C », constate François Gemenne), l’espoir vient notamment de la force que représente désormais l’Union populaire : non seulement une gauche souhaitant rompre avec le néolibéralisme n’a pas disparu en France (et Mélenchon peut légitimement avoir à cet égard le sentiment du devoir accompli), mais elle pourrait aussi être en mesure, demain, de dominer extrême-centre et extrême-droite, et d'accéder enfin au pouvoir.
La lecture et l’interprétation des résultats du 10 avril prennent, dans cette optique, une importance particulière. J’ai jusqu’ici relevé l’analyse de François Ruffin (voir ici ou là), ainsi que cette note d’un collaborateur de la France Insoumise ou cette instructive discussion sur Le Média. Le député picard insiste (à raison) sur le vote des campagnes – même s’il faut « sortir d’une lecture binaire entre urbain et rural » et ne pas oublier que les « morphologies sociales locales » varient beaucoup. J’attends pour ma part avec impatience la réponse à deux questions très concrètes que je me pose aujourd’hui : comment est-il possible d’élargir le « pôle populaire » dans un département comme l’Allier, où Marine Le Pen a progressé de près de 5% par rapport à 2017 ? Et la France Insoumise se donnera-t-elle les moyens de « se répandre dans les profondeurs du pays » ?
Gardons-nous pour l'heure de brûler les étapes : nous votons ce dimanche.