J’étais à la Bastille le 18 mars 2012 : la campagne menée par Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche, m’avait enthousiasmé, et a d’ailleurs marqué une étape importante dans mon parcours politique personnel.
En 2017, j’avais fait le choix de ne pas glisser un bulletin Mélenchon dans l’urne, en raison de sa position sur la guerre en Syrie [1] et de la « question démocratique » (la personnalisation extrême de sa candidature me faisait en particulier douter de la sincérité de sa promesse d’une VIe République). Il y a cinq ans, je m’étais senti représenté par Philippe Poutou et ce parti-pris d’Antoine Perraud.
En 2022, je vote Mélenchon parce que la gauche doit impérativement être au second tour si l’on ne veut pas vivre cinq nouvelles années de catastrophes [2], que le candidat de l’Union populaire est le seul en situation d’y accéder et que, s’il y parvenait, il ne serait alors pas interdit de rêver [3].

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Je vote Mélenchon en 2022 parce que le programme de l’Avenir en commun consiste « à délibérer sur les besoins avant de produire, plutôt que de laisser libre cours au productivisme marchand », qu’il vise « à rompre avec la société du néolibéralisme » [4], et que cela me paraît très pertinent, tout autant que les slogans retenus : « Gouverner par les besoins » et « Un autre monde est possible », emprunté à Attac et au mouvement altermondialiste.
Je vote Mélenchon en 2022 parce que je n’ai pas d’autre choix sous la main : Yannick Jadot et Fabien Roussel mènent une campagne lamentable, Anne Hidalgo incarne la catastrophe socialiste, le NPA est fatigué, LO et sa candidate sont fossilisées.
Je vote Mélenchon en 2022 pour nombre de raisons déjà clairement exposées ailleurs, par exemple dans ce thread, cet entretien ou plusieurs billets du Club de Mediapart synthétisés ici (lire aussi les éléments exposés dans ce parti-pris très complet de Joseph Confavreux et Fabien Escalona).
Je vote Mélenchon en 2022 parce que, malgré toutes les erreurs commises en chemin, et même si sa culture politique n’est pas forcément la mienne, je reconnais et respecte la cohérence d’ensemble du parcours [5], la sincérité de l'engagement (du trotskisme à la Gauche socialiste et du « Non » de 2005 au départ du PS en 2008, jusqu'au Parti de Gauche créé dans la foulée et la parenthèse populiste en train de se refermer), aussi bien que la constance du travail – théorique, programmatique, parlementaire – fourni. A ce dernier égard, je note en particulier, à la suite de Bruno Amable, la réflexion sérieuse que n'a pas cessé de mener son mouvement sur l’Europe, et donc sur les « conditions de possibilité » de la mise en œuvre de son programme.
Je vote Mélenchon en 2022 parce que, ces cinq dernières années, il a eu cent fois raison d’adopter le concept de « créolisation » forgé par Edouard Glisssant (lire ici et là), raison aussi de réagir le 10 novembre 2019 à l’attentat de Bayonne perpétré deux semaines plus tôt, raison encore de ne pas mettre le moindre doigt de pied à la manifestation factieuse du 19 mai 2021 (et de dire clairement pourquoi).
Je vote Mélenchon en 2022 parce que, vu la nullité des états-majors écologiste, communiste et socialiste, je considère désormais qu’il a eu raison d’y aller seul d’emblée [6], et que Jadot, Roussel et Hidalgo, en s’accrochant jusqu’au bout à leurs campagnes bilieuses, commettent, vu l’état de notre démocratie et de l’Europe, une faute historique.
Je vote Mélenchon en 2022 parce qu’il a continué à être à l’écoute du mouvement social dans sa diversité, ce dont témoigne aujourd’hui la composition du Parlement de l’Union Populaire : s’il est parti seul comme en 2017, il me paraît cette année moins isolé et mieux entouré qu’il y a cinq ans.

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Je vote Mélenchon en 2022 parce qu’après les 18 mars 2012 et 2017, il marche pour la troisième fois ce 20 mars pour la VIe République, et que la « révolution citoyenne » et l’installation d’une assemblée constituante sont au cœur du contrat qu’il a noué avec ses électeurs∙rices ; parce que les cinq dernières années ont confirmé et aggravé l’agonie de la Ve République et rendent plus urgente encore sa mise à mort ; parce que Mélenchon a désormais 70 ans et qu'il dit envisager son rôle comme celui d’un « passeur », chargé d’assurer la « transition » entre deux époques ; parce que j’ai pris le temps de visionner cette vidéo de 2012 dans laquelle Edwy Plenel l’interrogeait sur son rapport à l'ère mitterrandienne, et que sa position m’a semblé recevable. Pour toutes ces raisons, et celles encore exposées dans ce billet, les doutes que je nourrissais en 2017 à l’égard de sa promesse de VIe République se sont estompés [7].
Je vote Mélenchon en 2022 parce qu’il a changé de ton sur la Russie à la suite de l’invasion en Ukraine et qu’il me semble capable de prendre la mesure et de s'adapter à la nouvelle donne géostratégique. Je note en effet que « les sujets internationaux le passionnent » (ce qui est loin d’être le cas de tou∙te∙s les candidat∙es) et qu’un véritable travail (finement analysé par Fabien Escalona) a aussi été mené sur ce plan-là. En outre, s’il était élu, Mélenchon serait alors « confronté aux gens dont il parle » et disposerait, via les services de renseignement, d’informations dont il ne dispose pas aujourd’hui (ce qui n’est pas tout à fait neutre).
Je voterai sans hésiter Mélenchon ce 10 avril parce que, contrairement à 2017, je n'ai pas de raison de ne pas le faire, parce que le candidat fait le job et qu’il est le seul à gauche à faire le job en ce début 2022, et que sa présence au second tour est indispensable à la survie d’un débat démocratique acceptable dans notre pays.
[1] Lire à ce sujet les analyses de Denis Sieffert dans Politis et dans son dernier livre (comme l’a rappelé récemment Pauline Graulle dans cet article) ou cette lettre de Julien Salingue en décembre 2016.
[2] Des bilans complets et implacables du quinquennat Macron ont été faits récemment par Mediapart (lire ici et voir là), Alternatives économiques, Blast ou Fakir (le n°102 de ce mois de février). De mon côté, j’ai chroniqué le quinquennat de la députée de ma circonscription (celle de Vichy, dans l’Allier), Bénédicte Peyrol, que Manuel Jardinaud présentait en 2020 comme un « pur produit du macronisme triomphant de 2017 ».
[3] François Ruffin fait bien de rappeler qu’en juin 2017, si l’on se fiait au score qu’il avait obtenu au premier tour des législatives, il n’avait aucune chance de l’emporter une semaine plus tard. Dans la même vidéo, il appelle aussi à utiliser le vote Mélenchon comme un « outil », ce qui fait notamment écho à cet intéressant billet : « Il faut considérer avec pragmatisme la candidature de Jean-Luc Mélenchon ».
[4] Même si l’on sait que « l’hégémonie néolibérale ne se défait pas dans l’espace d’une élection ». J’ai été frappé, ces derniers temps, par le nombre et par la qualité des travaux sur le néolibéralisme et ses multiples effets : travaux signés Bruno Amable (son récent livre, ainsi que des synthèses ici et dans La société qui vient), Sandra Lucbert (ici et là), Barbara Stiegler (ici, là et là), Grégoire Chamayou, Romaric Godin (ici, là et là) ou par les auteurs réunis par les éditions Amsterdam, aussi via une enquête sur les services publics disparus et une bande dessinée.
[5] La biographie de référence est Mélenchon à la conquête du peuple, de Stéphane Alliès (Mediapart) et Lilian Alemagna (Libération), qui est une édition revue et augmentée (en 2018) de Mélenchon le plébéien (paru en 2012).
[6] Cela ne m’empêche pas de déplorer les choix faits par Mélenchon au lendemain du premier tour de la présidentielle de 2017 et l’absence d’un grand parti de gauche structuré et conquérant. A ce sujet et sur la fameuse « union de la gauche », je partage entièrement les analyses d’Usul et Ostpolitik : cf. leurs deux vidéos impeccables d’avril 2021 et janvier dernier.
[7] Si Mélenchon devait être élu, je resterais bien entendu vigilant et mobilisé, comme nombre de mes concitoyen∙ne∙s, particulièrement sur la question institutionnelle (j’ai bien pris note du calendrier du processus constituant proposé et de ce qu’en dit Paul Alliès). Je n’oublie pas non plus certains épisodes pas si lointains, notamment les départs de militant∙es insoumis∙es de grande valeur, telles Corinne Morel Darleux ou Charlotte Girard – qui participe toutefois désormais aux travaux d'Intérêt général – (lire ici, là, là et là), ou la réaction de Mélenchon aux révélations de Mediapart en octobre 2018.

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