Dans mon précédent billet (« Ce n'est pas LFI qui a tué la NUPES »), j'évoque la préparation des élections européennes du 9 juin, en particulier le refus de toute liste commune par l'écologiste Marine Tondelier dès décembre 2022 (« Quand c'est non, c'est non »), puis l'annonce d'une liste autonome par le Parti communiste français (PCF) et le Parti socialiste (PS), respectivement en juin et en septembre 2023.
Le 8 février 2024, le leader de Place publique (PP), Raphaël Glucksmann, qui avait annoncé sa candidature en septembre 2023, devient officiellement le candidat du PS. La liste validée le 24 comporte, outre son bras droit Aurore Lalucq, des soutiens de la ligne portée lors du dernier congrès socialiste par Nicolas Mayer-Rossignol et Hélène Geoffroy : Jean-Marc Germain, Murielle Laurent, Claire Fita, François Kalfon... L'ancien conseiller de Mikheil Saakachvili et Vitali Klitschko s'est lui-même « toujours opposé à une liste commune avec La France insoumise (LFI) » : en mai 2022, il avait soutenu du bout des lèvres l'accord de la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (NUPES), avant de le rejeter dès le printemps 2023. « On va pas refaire la NUPES, là ? », s'exclamera-t-il d'ailleurs au lendemain des européennes.
Le 16 mars, Manon Aubry lance la campagne de LFI et constate que sa liste est « la seule à porter le programme de la NUPES ». L'un de ses colistiers est l'ancien coordinateur national de Génération·s, qui est la seule des cinq formations fondatrices de la NUPES à ne pas présenter de liste à ces élections.
En avril et mai, la campagne des européennes est marquée à gauche par l'affrontement entre les lignes portées respectivement par Raphaël Glucksmann et Manon Aubry, qui se distinguent notamment sur le génocide à Gaza et la guerre en Ukraine.
Le 9 juin, les listes menées par Raphaël Glucksmann (13,8%), Manon Aubry (9,9%), Marie Toussaint (5,5%) et Léon Deffontaines (2,4%) totalisent 31,6% des suffrages exprimés, contre 14,6% pour la liste macroniste et 31,4% pour la liste du Rassemblement national (RN). Emmanuel Macron décide le soir même de dissoudre l'Assemblée nationale : l'un de ses objectifs, apprendra-t-on un an plus tard, est d'installer Jordan Bardella à Matignon. Le soir même, François Ruffin appelle à faire « front populaire ». Dès le lendemain, un accord de principe sur un programme de rupture et des candidatures communes dans toutes les circonscriptions est annoncé par LFI, le PS, Europe écologie les verts (EELV) et le PCF.
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Le 12 juin, les négociateurs des principaux partis formant le Nouveau Front populaire (NFP) parviennent à un accord sur la répartition des investitures au 1er tour des législatives : 229 circonscriptions (sur 577) pour LFI (contre 326 en 2022), 175 pour le PS (contre 70 deux ans plus tôt), 92 pour EELV (contre 100) et 50 pour le PCF (idem). LFI accepte donc de « lâcher » près de 100 circonscriptions, alors que sa liste vient d'obtenir 1 million de voix supplémentaires par rapport aux précédentes élections européennes et que le bloc écolo-socialiste a quant à lui légèrement reculé (4,8 contre 5,2 millions de voix pour les listes Jadot, Glucksmann et Hamon en 2019).
Le 13 juin est présenté un contrat de législature, conçu comme « un programme de rupture avec la politique d'Emmanuel Macron » et inspiré de celui de la NUPES, qui prévoit notamment l'abrogation immédiate des décrets d’application de la réforme passant l’âge de départ à la retraite à 64 ans, le blocage des prix des biens de première nécessité, des investissements massifs dans les services publics et un plan climat ; ces mesures seraient financées par de nouvelles ressources fiscales, prélevées sur les grandes et très grandes fortunes.
Le 14 juin, LFI réinvestit Adrien Quatennens (celui-ci retirera sa candidature deux jours plus tard), mais ne réinvestit pas Alexis Corbière, Hendrik Davi, Raquel Garrido et Danielle Simonnet ; un candidat insoumis fait également face à la députée communiste sortante dans la 4e circonscription de la Seine-Saint-Denis. De son côté, le PS accorde son investiture à François Hollande en Corrèze, à Jérôme Guedj dans l'Essonne (en dépit de son rejet du NFP et dans une circonscription marquée par l'absence de candidat·e Renaissance) ou encore à Martine Froger et Laurent Panifous en Ariège. L'ancien directeur de cabinet d'Elisabeth Borne à Matignon, Aurélien Rousseau, est lui aussi autorisé à se présenter sous les couleurs du NFP.
Pendant la campagne, Fabien Roussel (PCF) conteste l'investiture du militant antifasciste Raphaël Arnault à Avignon, Marine Tondelier refuse de soutenir Aly Diouara (le candidat investi par LFI face à Raquel Garrido) et François Ruffin déclare dans l'entre-deux-tours que Jean-Luc Mélenchon serait un « boulet » – « il faut qu'il se mette de côté [et] se taise », avait déjà considéré François Hollande le 23 juin. Manuel Bompard juge pour sa part « assez contraire avec le programme [du NFP] » l'investiture de l'ancien président de la République par le PS, mais ne « souhaite pas remettre en cause les choix de [ses] partenaires ».
Le 2 juillet, au lendemain du premier tour des élections législatives remporté par le RN (9,4 millions de voix contre 9 pour le NFP et 6,4 pour le bloc macroniste), Marine Tondelier ne ferme pas la porte à l’idée d’une grande coalition lancée par Gabriel Attal ; le plus proche collaborateur de la dirigeante écologiste est alors un proche de François Bayrou.
Le 7 juillet, le NFP vire en tête avec 192 député·es, contre 161 pour la macronie, 138 pour le bloc d'extrême droite et 48 pour LR. Avec 71 député·es (contre 75 en 2022), LFI reste le premier groupe de gauche à l'Assemblée, devant les groupes socialiste (66 contre 31 lors de la précédente législature), écologiste et social (38 contre 21) et communiste et ultra-marin (17 contre 22). A l'annonce des résultats, Jean-Luc Mélenchon déclare que « le président de la République a le pouvoir [et] le devoir d'appeler le NFP à gouverner », que celui-ci « appliquera son programme, rien que son programme, mais tout son programme » et que LFI « refuse d'entrer dans des négociations avec [Renaissance] pour faire des combinaisons ».
Le 23 juillet, le NFP s'accorde pour présenter Lucie Castets à Matignon, mais le président de la République écarte aussitôt la possibilité de la nommer. Au cours des deux semaines précédentes, les noms de Huguette Bello (refusé par le PS) puis Laurence Tubiana (refusé par LFI) avaient été avancés et de fortes tensions constatées entre les partenaires de gauche, particulièrement entre LFI et le PS. Selon Jean-Luc Mélenchon, la délégation socialiste a alors « bloqué toutes les propositions de premier ministre pendant dix jours pour tenter d’imposer déjà Olivier Faure ». Les quatre groupes parlementaires se sont toutefois entendus à l'occasion des élections internes à l'Assemblée nationale : le communiste André Chassaigne a été le candidat commun désigné pour le perchoir (seul le vote de députés-ministres démissionnaires a permis la réélection de Yaël Braun-Pivet) et la gauche a obtenu 12 des 22 postes du bureau de l’Assemblée nationale, ainsi que la présidence de deux commissions importantes.
Le 23 août, Lucie Castets et les responsables des partis et des groupes parlementaires du NFP viennent ensemble rencontrer le président de la République à l'Elysée.
Le 24 août, face aux menaces de censure a priori des macronistes, de la droite et de l'extrême droite, Jean-Luc Mélenchon envisage un soutien sans participation de LFI à un gouvernement NFP. Lucie Castets est présente ce jour-là aux Amfis, après avoir participé les jours précédents aux universités d'été des écologistes et des communistes, et avant de se rendre le week-end suivant au Campus socialiste.
Le 25 août, le député socialiste Philippe Brun, qui avait soutenu avec enthousiasme l'accord de la NUPES en 2022, regrette dans une tribune que le bloc de gauche n'ait pas « engagé des discussions pour former un gouvernement de coalition [avec le bloc central] » et appelle le futur chef de gouvernement à « négocier un accord de non-censure avec un nombre suffisant de groupes politiques pour atteindre la barre des 289 député·es à l'Assemblée nationale ». Il déclarera par la suite que, selon lui, « Bernard Cazeneuve est depuis juillet 2024 l'homme de la situation ». Pour rappel, le dernier premier ministre de François Hollande, qui clôturera fin septembre les universités de rentrée du MoDem, a refusé à la fois l'accord de la NUPES (il avait quitté le PS pour cette raison) et celui du NFP. Dès le 11 juillet, Laurence Tubiana avait considéré avec d'autres que le NFP devait « sans tarder tendre la main aux autres acteurs du front républicain ».
Le 30 août, à l'occasion de la rentrée politique du PS à Blois, Olivier Faure déclare que le président de la République cherche à obtenir « le scalp du NFP » et qu'« aucun socialiste n'acceptera jamais de devenir le supplétif de la macronie ». Un peu plus tôt dans la journée, les opposant·es au premier secrétaire et à toute alliance avec LFI se sont affiché·es rassemblé·es dans la ville-préfecture du Loir-et-Cher.
Le 4 septembre, les député·es insoumis·es, rejoint·es par plusieurs membres des groupes GDR et écologiste, déposent une motion de destitution du président de la République, « en raison du manquement manifestement incompatible avec l’exercice de ses fonctions que constitue l’absence de nomination d’un premier ministre issu de la force politique arrivée en tête aux élections législatives ». La proposition de résolution sera peu après jugée recevable par le bureau de l'Assemblée, notamment grâce au vote des trois membres socialistes de l'instance, même si leur groupe reste « résolument opposé » à la destitution d'Emmanuel Macron.
Le 5 septembre, un communiqué commun réaffirme qu'« il est plus que temps de demander au NFP et à sa candidate de former un gouvernement : nous renouvelons notre volonté de construire des accords texte par texte au Parlement sur la base de nos propositions ». Le même jour, le président de la République nomme Michel Barnier à Matignon.
En cette rentrée, les principales formations du NFP ne créent pas un intergroupe à l'Assemblée nationale et n'envisagent pas non plus – à tout le moins publiquement – de mettre sur pied un parlement du NFP ou des assemblées locales, comme cela avait été le cas deux ans plus tôt, autour de la NUPES.
Fabien Roussel : « Si je devais me représenter, ce ne serait pas dans une alliance avec LFI »
— Le Parisien | politique (@leparisien_pol) October 24, 2024
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Le 24 octobre, Fabien Roussel attribue sa défaite dès le premier tour dans la 20e circonscription du Nord (tenue par les communistes depuis 1962) à l'alliance nouée avec LFI au sein du NFP. En septembre, les communistes ont été les seuls membres du NFP à accepter de rencontrer Michel Barnier, quelques jours avant l'annonce de la composition du gouvernement.
Le 19 novembre, l'ancien premier adjoint d'Anne Hidalgo à Paris, Emmanuel Grégoire, déclare qu'il ne souhaite pas d'alliance avec LFI lors des prochaines municipales (il précisera en juillet 2025 qu'il ne souhaite un accord « ni au premier ni au second tour »). Dix jours plus tard, son concurrent au sein de la primaire socialiste, Rémi Féraud, calomnie LFI et s'oppose à son tour à toute alliance avec cette formation, « au premier comme au deuxième tour » (lire ici et là).
Le 24 novembre, le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, Boris Vallaud, reprend la proposition exprimée pendant l'été par Philippe Brun de négocier avec tous les autres groupes parlementaires (à l'exception du RN) « les conditions d'une non-censure ». Ce type de déclaration est perçu depuis juillet par la direction insoumise comme une volonté de « substituer au NFP une autre coalition avec des secteurs du macronisme ».
Le même week-end, les socialistes condamnent unanimement, à la suite de l'extrême droite et de la droite, la proposition de loi du groupe LFI-NFP « visant à abroger le délit d’apologie du terrorisme du code pénal » : les insoumis souhaitent ainsi revenir sur la loi Cazeneuve du 13 novembre 2014, qui a sorti ce délit du droit de la presse (encadré par le texte historique de 1881) et a selon eux conduit à des abus.
L'un après l'autre, les chefs du PS appellent publiquement au nouveau socle commun " bloc central" et enterrent le NFP. Pourtant les électeurs les ont élus comme NFP. On s'est fait avoir. https://t.co/BJsD9Ojz8a
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) November 27, 2024
Le 29 novembre, Jean-Luc Mélenchon déclare que « la comédie qui consiste à venir à chaque élection prendre des circonscriptions et grignoter le programme est terminée » : « Nous avons compris que le Parti communiste ne veut plus de nous, nous avons compris que la droite du Parti socialiste ne veut plus [de nous], et nous refusons de faire chemin avec des gens qui nous insultent en cours de route. » Le dirigeant insoumis fait par contre une « offre fédérative » à « ceux qui veulent porter une candidature commune à l’élection présidentielle sur la base d'un programme de rupture ». Cette proposition est formulée dans le texte d'orientation stratégique adopté le 14 décembre par LFI et sera réaffirmée à plusieurs reprises au cours de l'année 2025 : en juin dans un « appel pour l'unité populaire », en septembre dans un discours à la fête de L'Humanité et en novembre dans un entretien à Mediapart.
Le 30 novembre, Lucie Castets et Marine Tondelier publient une tribune titrée « Gagner ensemble », dans laquelle elles appellent l’ensemble de la gauche, des forces de progrès et des écologistes à construire un projet commun en vue d'une candidature commune à l'élection présidentielle de 2027.
Le 4 décembre, les député·es du NFP votent ensemble (à deux exceptions près) la censure du gouvernement Barnier sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Dans les jours suivants, des délégations socialiste, écologiste et communiste participent à des consultations à l'Elysée, auxquelles LFI refuse de se rendre : « Nous n'acceptons pas le coup de force du président de la République qui a refusé de reconnaître le résultat des dernières élections en nommant un premier ministre issu du parti qui y a réalisé le moins de voix », écrit Manuel Bompard. Le 10, LFI est de nouveau la seule des quatre principales formations du NFP à ne pas prendre part à la réunion décidée par Emmanuel Macron.
Le 13 décembre, François Bayrou est nommé à Matignon. François Hollande appelle aussitôt à « créer les conditions pour qu'il n'y ait pas de censure », via des « compromis » et des « garanties données au PS » sur le projet de loi de finance (PLF) et le PLFSS. La semaine suivante, les discussions entre le premier ministre et les représentant·es du PS, d'EELV et du PCF n'aboutissent à rien.
Le 6 janvier 2025, une délégation du PS composée d'Olivier Faure, Boris Vallaud, Patrick Kanner, Jérôme Guedj et Philippe Brun est reçue à Bercy par les ministres Eric Lombard et Aurélie de Montchalin. Quelques heures avant le réveillon de Noël, le premier secrétaire avait présenté le tout nouveau ministre de l'économie et des finances comme « un ami et un homme de gauche ». Ce dernier a accepté de faire partie d'un gouvernement où figurent aussi Bruno Retailleau, Gérald Darmanin, Elisabeth Borne et Manuel Valls.
Le 14 janvier, François Bayrou propose dans son discours de politique générale une « mission flash » suivie d'un « conclave » sur les retraites, sans suspension de la réforme de 2023, contrairement à ce que son ministre des finances avait visiblement concédé aux responsables socialistes au cours des tractations des jours précédents.
La gauche du tout ou rien, c'est aujourd'hui la gauche du rien.
— Olivier Faure (@faureolivier) January 9, 2025
Je veux arracher des victoires pour les Français·es et infléchir la politique conduite depuis 7 ans par Emmanuel Macron. Je veux qu'il y ait dans les 30 prochains mois des changements dans le domaine de… pic.twitter.com/OIbbwHerI9
Le 16 janvier, Mediapart titre « Les socialistes préfèrent Bayrou au NFP », après que 58 des 66 de leurs député·es n'ont pas voté la censure du gouvernement (à gauche, seul·es deux membres du groupe écologiste et un membre du groupe communiste ont fait le même choix). Le premier ministre a obtenu cette non-censure en écrivant ce courrier à Boris Vallaud et Patrick Kanner.
Le 5 février, les député·es socialistes confirment leur choix du 16 janvier, en refusant de censurer le gouvernement à la fois sur le PLF et sur le PLFSS : « Il était de notre devoir de négocier [...] pour protéger les Français de décisions potentiellement catastrophiques », se justifie leur porte-parole, qui met en avant l'abandon de la suppression de 4 000 postes d'enseignants et la création de 2 000 postes d'AESH dans l'Education nationale. Les insoumis considèrent pour leur part que, « par cette décision, le PS rompt unilatéralement et sans aucune discussion collective préalable le cadre du NFP créé pour proposer une alternative au macronisme et non pour sauver ses gouvernements illégitimes ».
Les 10 et 12 février, les député·es socialistes ne votent pas non plus les motions de censure déclenchées en réponse au recours à l'article 49-3 pour faire passer le PLFSS (voir ici et là), alors que Mediapart vient par ailleurs de révéler l'inaction passée et les mensonges du premier ministre dans le dossier Notre-Dame de Bétharram. Jean-Luc Mélenchon en conclut qu'il faut « tourner la page d'une alliance toxique ».
Le 19 février, François Bayrou humilie les socialistes et leur « motion de censure à blanc », qui, de l'aveu même de François Hollande, n’était « pas faite pour renverser le gouvernement ». Le texte est toutefois voté par 181 des 192 député·es de gauche. Suite à l'échec du conclave sur les retraites, le groupe socialiste déposera fin juin une seconde motion de censure (non adoptée le 1er juillet), après avoir refusé une sixième fois (le 4 juin) de faire tomber le gouvernement Bayrou. Au final, la division du NFP a eu pour effet d'atténuer la pression sur le groupe RN à l'Assemblée nationale.
A la rentrée de septembre, près de trois collèges et lycées publics sur quatre ne disposent pas d'une équipe complète, en dépit des annonces faites au début de l'année par le gouvernement.