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Billet de blog 23 octobre 2025

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Plus Vite 

Entre les images de Gaza anéantie, les ricanements à propos de Bayrou, non de Mélenchon, non de Duhamel, non de Macron, non des gauches « irréconciliables »… Ah non, il vaut mieux rigoler de Sarkozy en prison ou plutôt de Lecornu porte étendard de la “rupture” mais en mission pour veiller à la continuité. Ou peut-être de Trump faiseur de paix avec l’appui du nouveau prix Nobel vénezuelien… On ne sait plus où donner du rire jaune. 

Résumé des épisodes précédents dans notre petite France : Une droite encore plus à droite marche vers le pouvoir et une gauche progresse en ordre de déchirement radicalisé. Le résultat du match est-il déjà inscrit à l’agenda ? Ou l’histoire, une fois encore, imposera-t-elle son irréductible imprévisibilité ? Si le problème n’était que la terrible puissance (médiatique et financière) d’une droite radicalisée prête à tous les mensonges et toutes les brutalités pour éviter que soit - un peu - plus mis à contribution les ultra-riches, il y aurait matière à s’organiser… Mais il y a malheureusement aussi la gauche sociale-écolo et l’acharnement apparent de bon nombre de ses leaders à se tirer des balles dans les genoux en produisant collectivement un message cacophonique. 

On pourrait tenter de poser le problème dans le bon sens : qu’est-qui pourrait permettre de rendre une proposition écolo-sociale audible et crédible au sein d’un paysage médiatique martelant les logiques ultra-libérales et nationalistes? Le problème apparaît alors comme une hydre à plusieurs têtes : il y a d’abord les différentes familles écolo-sociales et les profondes inimitiés existantes; il y a plus largement que l'essentiel des propos politiques restent accrochés au binôme du productivisme et du consumérisme : performance économique, culte de la croissance et du pouvoir d’achat semblent incrustés dans les discours sous peine de mort politique, l’évocation d’autres priorités humaines paraissant électoralement éliminatoire. 

Je fiche pourtant mon billet que ce contexte (discours essentiellement gestionnaires s’adaptant aux normes capitalistes) non seulement augmente le risque de sortie de route collective, mais que le peuple, ni fou ni sage, serait peut-être sensible à une voix qui serait vraiment autre. 

Rêvons tout haut à un imaginaire qui pourrait inverser la courbe de l’anti-crédibilité ? Que faudrait-il ? Réussir à parler comme Coluche avec le propos de Gandhi ? L’énergie de Kamala Harris et la dimension intellectuelle de Robert Badinter ? L’obstination stratégique de Nelson Mandela et la jeunesse déterminée de Greta Thunberg ? Tout de suite, l’imaginaire extrait des figures, à consonance héroïque. Et de fait, ne pas attendre “tout” d’un sauveur ou d’une sauveuse n'exclut pas que dans la vrai vie de notre actuelle Vème république, ne pas avoir de “présidentiable crédible” signifie avoir déjà perdu la partie et laisser la place à l’une des figures de l’ultra-droite qui elle, possède un plan A, un plan B, et même des plans C, D, E. Entre les deux, les “centristes” (c’est-à-dire la droite libérale) scrutent le tableau pour voir qui rallier en dernier recours si Edouard Philippe ou Gabriel Attal sont éliminés de la course.

Je marque aussitôt une alerte: contrairement aux commentaires qui inondent les rézosocio sur le thème du tous pourris-tous nuls, faire de la politique aujourd’hui - particulièrement en osant tenir un discours social, écolo, radical et tolérant - est une chose épouvantablement difficile qui attise aussitôt des hargnes venant de toutes parts. Et c’est avec cette donnée à l’esprit que je m’efforce de considérer ce qui pourrait être de l’ordre d’un autre imaginaire plutôt que la résignation à une défaite annoncée un peu partout. Que serait par exemple un changement de disque radical qui déclarerait sa flamme à la générosité plutôt qu’au cynisme Macrono-sarkozyste ou à un nouveau variant du TPMG (Tout pour ma gueule) ?

Au-delà de la figure d’un.e présidentiable, imaginer une victoire de l’écologie revient à concevoir comment, à la place des rivalités affichées, nous aurions une foule de portes-paroles qui veilleraient à mettre en avant les talents et les points communs plutôt que les dissensus. On voit se dessiner la voie, plutôt étroite : réussir à produire un imaginaire politique se démarquant autant des propos classés “fous furieux” que de ceux jugés “mous du genou”. Se tenir à distance des propos moralisateurs sans esprit-sans humour autant que des trumpismes à la française. 

A cela, il faut ajouter le risque de sous-estimer une nouvelle fois l’adversaire et à le prendre pour plus bête qu’il n’est. Par exemple, comme le font la plupart des commentaires qui situent le président Macron du côté des amateurs, des maladroits ou des irrationnels : ce n’est pas parce l’opinion semble parfois dotée d’une mémoire de poisson rouge qu’Emmanuel Macron, après avoir méprisé les mouvements sociaux massifs de 2023 quitte à perdre toute popularité, a oublié qui l’a porté au pouvoir et pour faire quoi. Contrairement à ce qui est dit souvent, il est plutôt cohérent avec son idéologie et les intérêts qu’il défend : avant toute chose rester sur son fauteuil de prince et pour cela, rester d’une fidélité sans faille au monde des affaires et aux intérêts des multinationales; enfin, il s’approprie ce qu’il estime être le souhait d’une grande part de l’électorat : l’arrivée d'un régime encore plus autoritaire que les précédents, lui qui n’a pourtant pas craint de faire tirer dans les yeux des gilets jaunes ou de réprimer férocement les manifestations afin de faire peur et de décourager.

Est-ce à dire que c’est lui qui a décidé d’une France électoralement découpée en trois blocs quasi hermétiques, chacun portant son populisme ? C’est peu probable et sans trop de simplisme, on peut constater qu’il existe bien trois segments de France (gauche écolo, droite libérale, droite nationaliste) assez sérieusement fachées les unes avec les autres. 

Dans ce contexte, exhibant son rang de représentant du pays à l’international, il a beau ne plus avoir beaucoup de troupes et de lieutenants, il sait au moins, quand il s’endort à l’Elysée chaque soir, qu’il a gagné deux fois l'élection présidentielle. Il garde une idée de lui-même himalayesque et mise sur le fait que les indignations s’épuiseront tôt ou tard dans le flot des affaires quotidiennes, des faits-divers sordides et des urgences qui ne vont pas manquer d’arriver entrecoupés de nouveaux discours martiaux sur la nation en danger. Il est par ailleurs convaincu que seule une frange assez fine de la population est réellement prête à une révolution citoyenne. Et vous camarades écolo-sociaux? Pensez-vous que nous allons prochainement, le temps d’un grand soir, balayer des décennies d’habitudes passées à pester contre la SNCF et ses retards, à s’amuser du remplacement de l’humain par la machine dans l’immense “fun” de l’intelligence artificielle ? Pensez-vous que nous allons fermer les hypermarchés et produire un raz de marée humain en sens inverse des flots d’incitations mercantiles qui cultivent une société d’inattention radicalisant le chacun pour soi, chacun sa mutuelle et ses intérêts privés bien compris ? Je nous le souhaite profondément, mais alors, sauf votre respect, chers camarades écolo-sociaux, il va falloir la jouer sensiblement plus fine et forte (oui exactement comme la moutarde).

La jouer fine, parce qu’il y a à l’heure actuelle des millions de personnes qui sont persuadés qu’il faut être toujours plus fort avec les faibles, impitoyables avec ces feignasses d’allocataires du RSA ou ces parasites de migrants. Nous sommes dans une société qui ne manifeste pas franchement d’empathie pour les “cassoces” et on n’entend peu de clémence s'exprimer pour les 80 000 individus qui croupissent dans des prisons saturées… à part éventuellement quand il s’agit d’un ancien président. Une justice plus dure et plus expéditive semble réclamée à corps et à cris, quand bien même le système carcéral rime avec désespoir, violence exacerbée et fabrique de récidive. En tous cas, ceux qui portent des discours répressifs toujours plus impitoyable continuent d’avoir de larges tribunes médiatiques quand les discours dotés d’un minimum d’humanité et d’empathie sont quotidiennement taxés de laxisme et de faiblardise.

1800 foyers

La jouer forte? Il y a tout de même quelques signes tout à fait encourageants : car si  le “peuple” n’est ni spontanément doux et intelligent ni si facilement réductible à un troupeau d’ignorants, quelque chose d’incroyablement nouveau a émergé malgré les narrations mass-médiatiques des géants de la fortune : la conscience, chez des millions de personnes aujourd’hui, que quelque chose ne va pas dans les tentatives d’enterrer l’idée de cette taxe Zucman pourtant fort modérée. Tandis que le dernier prix Nobel d’économie Philippe Aghion critique l’irréalisme de Zucman, 7 autres prix Nobel, dont le célèbre Joseph Stiglitz, soulignent que cela est non seulement possible mais indispensable. L’idée abonde sur les réseaux sociaux. A cet endroit se joue bien une autre ligne rouge et au fond un autre “cercle de la raison”. Car depuis le moment où la critique de l’accaparement des richesses par les ultra-riches semblait réservée aux altermondialistes et à l'ultra-gauche, les 1800 foyers possèdant plus de 100 millions d’euros de patrimoine sont devenus tout autrement visibles. 100 millions d’euros. Difficile à imaginer pour 99% de la population. 

Pourtant, pour faire échec à ce qui reviendrait à ponctionner - un peu - les ultra-riches, ceux-ci n'empruntent pourtant pas 36 chemins : via quelques empires médiatiques, il s’agit de déconsidérer, diaboliser, faire passer Zucman pour un dangereux bolchevik prêt à saigner les “vrais méritants qui créent de l’emploi” (eux). Ils réussissent bien, aussi, à montrer/amplifier dès que possible l’hystérie dont la gauche n’est pas avare : vous voudriez donner le pouvoir à cette bande d’énervés prêts à tuer les meilleures dynamiques avec des pratiques soviétiques, chavistes, renforcer la gabegie administrative ? 

Sans ce bombardement (et l'exploitation habile des faiblesses de la gauche fratricide), comment serait-il possible que cette évidence basiquement rationnelle d’aller chercher l’argent là où il est en excès, ne s’impose pas y compris par une majorité à l’Assemblée nationale, y compris avec des mobiles de souverainistes de droite ? N’y-a-t-il pas à droite des représentants qui souhaitent récupérer les autoroutes ou la capacité de produire souverainement du doliprane ? Mystérieusement au contraire, tout ce qui relève de l’intérêt général est traduit aussitôt comme le délire d’administrations pléthoriques et la droite nationaliste surenchérit en faveur d’une réduction de la dépense publique. 

Il faudrait soigner l’ensemble de nos services publics, hopitaux, justice, éducation, culture ? Cure d’amaigrissement des services publics, après on verra. Prendre l’argent là où il est, imposer autrement ces 1800 foyers dont le patrimoine représente aujourd’hui 42% du PIB ? Raisonnement de malades mentaux d’ultra-gauche qui n’ont rien compris à l’économie. Marine Le Pen vient de déclarer qu’elle s’opposera « naturellement » à la Taxe Zucman. Bon. Ainsi, il faut de l’argent mais ne pas le prendre là où il est, expliquer aux pauvres qu’ils sont privilégiés et devraient être contents de pouvoir consommer jusqu’à épuisement des ressources en se soumettant à des rythmes de plus en plus maltraitants. Essayer de dire le contraire et vous risquez fort de d’être aussitôt renvoyé avec les extrémistes et autres Besancenot dans le carré des 7 i : insoumis, illuminés, inconscients, imbéciles, indigents, irrationnels, islamophiles. Pour la seule année 2024, en France, ont pourtant été recensés 2 millions 500 mille “burn out”, qu’il faudrait peut-être interpréter comme des symptômes d’une société qui ne va pas très bien et qui mériterait peut-être quelques changements de rythmes et d’objectifs économiques. On verra plus tard, pour l’instant, traquons le migrant et saturons un peu plus nos prisons. 

L’important est peut-être de ne pas minimiser les deux aspects qui font “l’irrésistible ascension de la droite de la droite” : la férocité de ceux qui sont prêts à tout pour qu’aucun mouvement social ne prenne suffisamment d’ampleur pour venir toucher au grisbi des ultra-riches; et simultanément, des formes d’aveuglement des forces écolo-sociales qui continuent de défendre leurs clans respectifs plutôt que de mettre en exergue en quoi ils sont d’accord et comment ils comptent l’emporter. 

Confondre l’augmentation spectaculaire de la fortune des ultra-riches avec intérêt général aura été l’une des grandes prouesses du macronisme avec la popularisation - désormais ironique - du “ruissellement”. Mais croire qu’il y a incohérence est une naïveté. La somme d’allégations et de dessins humoristiques à propos du « retranché de l’Élysée » est saisissante : il serait “fou”, “incohérent”, “perdu”, “isolé”. Je le redis à l'attention de quiconque voudrait retirer ces lunettes déformantes, Emmanuel Macron est fort cohérent vis-à-vis de ses propres objectifs qui consistent sur le plan personnel à tenir à son poste le plus tard possible et à continuer de faire le jeu des géants de la fortune qui l’ont installé où il est. Quitte aujourd’hui à pactiser avec la droite nationaliste dédiabolisée et de réussir à faire gagner l’union des droites rêvée par Retailleau et Ciotti. Sérieux, il est capable de faire ça ? De n’en avoir à ce point rien à faire de l’élection? Oui, il en est capable.

Parlons à présent “compromis” : est-ce que la suspension, même provisoire, de la réforme des retraites ne serait pas « toujours ça de gagné » quand même ? Et ne vaut-il pas mieux avoir un peu de moyen de pression sur le gouvernement Lecornu plutôt que risquer une nouvelle élection législative qui ne ferait que re-apporter la preuve que la France est divisée en trois blocs irréductibles et toujours un peu plus à droite ? Je donne ma langue au chat(GPT).

Un compromis provisoire entre les trois blocs qui se traduirait par l'adoption du budget Lecornu (taillant un peu plus dans la dépense publique) a-t-il une chance quelconque de donner sens et souffle à un pays en proie à des risques majeurs avec une extension du domaine de la pollution et des manques sociaux criants ? Il est assez probable que non, mais cela pose la question profonde du type de compromis auquel une gauche écolo-sociale consistante voudrait parvenir. Cela ramène à mon hypothèse de départ : la droite est sévèrement anti-sociale; la gauche est inaudible et en grande partie inconsciente du spectacle qu’elle offre dans une société où le spectacle est précisément une des armes de distraction massive et de conquête du pouvoir. 

Car si on jette un coup d’œil dans le rétroviseur, chers camarades écolos-sociaux, vous souvenez-vous de ce qui était il y a un an ? En mai 2024 je hasardais une anticipation en forme de scénario de science fiction : une victoire de la gauche dans un futur relativement proche 1 . C’était certes une autre époque, il y a à peine plus d’un an… Vous souvenez-vous, après la victoire de juillet, avaient suivi plusieurs semaines de discussions âpres pour déterminer une figure susceptible de prendre la tête d’un gouvernement Nouveau Front Populaire, alliance inédite qui allait de Philippe Poutou à François Hollande. Le tout après avoir réussi un accord inédit sur un programme riche et consistant. Une prouesse certes poussée par la peur de voir Bardella arriver avec son programme vengeur et liberticide. Mais une prouesse quand même. Qu’en reste t’il ? Et peut-être surtout : qu’en reste-t-il dans l’opinion ? 

Pour le moment, il y a surtout l’impression doublement désolante que règne d’un côté un opportunisme prêt à toutes les compromissions pour garder des places et de l’autre une incapacité pathologique à faire des compromis. C’est partiellement injuste, car existent de bonnes raisons de penser qu’il faut bien “gérer la société telle qu’elle est” et d’autres bonnes raisons de chercher à résolument changer d’itinéraire et infléchir nos pratiques économico-sociales. Mais le spectacle mis en exergue par les mass-médias et le pouvoir est celui-là. Il décrit une gauche phénoménalement pas crédible, dominée par plus intelligent et machiavélique qu’elle.

Ce qui aurait de la gueule ?  Mettre en lumière tout ce qui est susceptible de relier les écolos, la gauche et les républicains authentiques. Communiquer de concert sur les 15 à 20 mesures qui permettraient de créer une force citoyenne allant de LFI à De Villepin et permettraient une majorité à l’Assemblée nationale. Parler de changement de voie (indispensable) plutôt que de « rupture » (qui fout les jetons à une population globalement déjà bien plongée dans l’anxiété). Trouver un autre ton, dire et redire qu’une démocratie suppose des délibérations à tous les niveaux (du communal à l’international ) et que les déversements de colère sont un des temps du politique, mais que les prises de décisions supposent d’aller vers un apaisement. Montrer que certaines grandes causes nationales peuvent mobiliser et susciter des enthousiasmes, incluant les agriculteurs, les PME, les fonctionnaires et les étudiants. Bref : déterminer les lignes d’un argumentaire commun et la tonalité des voix susceptibles de réduire drastiquement la cacophonie ambiante. 

Mettre sur le dessus de la pile un débat de fond dans la société non plus seulement sur le “partage du gâteau” mais sur la recette du gâteau lui-même. Autrement dit mettre en débat la taille et la nature de ce l’on nomme “production de richesse” dans un pays comme la France. La gauche, historiquement, exprime qu’il faut mettre l’accent sur la justice et la mise en place de politiques redistributives. Or aujourd’hui, il ne faut pas seulement partager autrement, il y a une nécessité à la fois écologique et sociale de créer le gâteau de la richesse avec d’autres ingrédients. Car si on prend par le menu la recette du PIB (qui intègre consommation de drogue et de médicaments ou encore pollution et industrie d’armement dans la colonne des gains positifs) on sait que continuer à vouloir le faire grossir comme avant sans distinguer ce qui le compose est une option qui suppose l’usage toutes sortes d’ingrédents toxiques écocidaires. L’enjeu est de réussir à changer de cap et d’éviter de s’encastrer plus loin dans le mur : éviter de s’incruster un peu plus loin dans le béton d’un capitalisme de plus en plus impitoyable et autoritaire. Vous me direz, que d’utopies mon brave…! Oui, je crois qu’un peuple sans utopie est un pays qui se regarde mourir avec plus ou moins de rires jaunes ou de téléréalités façon Permamove.

Mais revenons tout de même vite au réel… Car loin de toute perspective qui serait à la fois apaisante et stimulante, il faut courir toujours plus vite, remplacer plus vite les humains par des robots et des intelligences artificielles. Tuer les logiques d’artisans et de paysans, plus vite. Plus vite polluer, plus vite épuiser les sols, plus vite gagner quelques décimales de PIB. Plus vite mobiliser les attentions vers la culture du chiffre, plus vite ériger l’efficacité comme valeur suprême et dézinguer à la tronçonneuse les services publics. Plus vite, il faut parler de transition écologique pour, sans transition, soutenir les pires politiques écologiques. Plus vite dire n’importe quoi et commenter le n’importe quoi n’importe comment. Plus vite renoncer à toute exigence sur le sens de ce que nous faisons. Le goût du travail bien fait? Wof… la machine fait aussi bien voire mieux, tu reprendras bien un cookie cuit au micro-onde entre deux catastrophes industrielles, une agression de médecin et une attaque au couteau ? Plus vite multiplier les spectacles, la violence et les spectacles de la violence, plus vite exciter le goût d’humilier, plus vite filmer les maltraitances, plus vite allez, à la trappe toi vas y, à ton tour Vanessa, non trop tard dégage, vas y Mustafa on t’écoute, nul, passe le micro à Cyril. 

Il y a un puissant ressentiment dans l’air et le caractère poly-anxiogène de la période pousse les foules à l’agressivité, aux frustrations et au désir de châtiment. Voici reparaître sous bien des formes le “malaise dans la culture” décrit par Freud en 1929. Un mélange de besoin religieux et identitaire mêlé à des frustrations économiques. Une soif de sens collectif qui répond au non-sens de l’extension du domaine du “marché” à toute chose et à tout être2. Une réponse religieuse et psychopathologique à la marchandisation généralisée. Il doit bien exister un sens quelque part mais il n’apparaît pas dans les rayons de l’hypermarché. Que faire? Au moins il y a le drapeau national. Ouf, un peu de sacré dans ce monde qui dé-spiritualise tout dans les étals des produits en promo. 

Dévier des us et coutumes dictés par la marche “ordinaire” du capitalisme signifie se désintoxiquer de la double centralité de la production et de la consommation, autrement dit, celle de modes de vie où la norme exige de travailler pour générer du profit financier. Notre problème de fond, est que tout le monde ou presque veut du travail-normal-comme-avant… tout en observant un monde qui injecte des robots partout en remplacement du travail humain. Une authentique mise en addiction face au travail en même temps que se raréfie l’emploi. Dès 1929, Freud s’inquiétait sur le futur de l'humanité « depuis que la technique permet aux hommes de s'exterminer jusqu'au dernier ». Quant à Günther Anders, époux d’Hannah Arendt et cousin de Walter Benjamin, il publie l’Obsolescence de l’homme en 1956, et prophétise une humanité marquée par un décalage majeur entre nos facultés de fabrication et nos capacités d'imagination, celle-ci étant littéralement humiliée face à la qualité de sa production technique. Un humain devenant “obsolescent”, dont on n’a de moins en moins besoin pour faire tourner une économie avec des produits de plus en plus parfaits...

Tant que nous ne percevons pas combien sont brutalisées les foules ressentimentales3 avec des injonctions contradictoires quotidiennes, nous renforcerons inéluctablement le renouveau fasciste, c’est-à-dire une réponse politique revendiquant l’ultra-intolérance et l’ultra-violence, l'avénement d’une culture simpliste désignant des boucs émissaires pour satisfaire le besoin de sacrifice immémorial et venant combler les frustrations. 

Dans le contexte de cette modernité-là, où les humains s’auto-asservissent en plébiscitant les machines-intelligence-artificielles et en préparant l’exclusion sociale de pans entiers de la population, où surconsommations et surproductions se donnent la main pour maximiser le PIB, on voit bien qu’il y a un enjeu de sens que le “vote du budget” proposé par les gouvernants auront du mal à dissoudre même en “suspendant la réforme des retraites”.

La principale différence avec 2024 c’est que les partis de gauche se déchirent en lieu et place de faire la preuve qu’ils partagent des objectifs et qu'ils peuvent être complémentaires. Se peut-il tout de même que nous trouvions des lignes de forces à partir de ce dont le pays a besoin ? Que nous réussissions à faire entendre ce que seraient ces “besoins” du point de vue des citoyens et non du seul “marché”? A donner le désir d’un changement de voie et de rythme économique ?

Du côté des éléments encourageant, les premiers mètres du virage semblent faire l’objet d’un certain consensus : abrogation de la loi retraite, politiques soignant les écosystèmes au lieu de les détruire de plus en plus vite, mise à contribution des grands abusifs de la fortune. Il y manque encore une adhésion populaire sensiblement plus grande et peut-être surtout un autre discours sur la production même des richesses que nous voulons. 

Je n’ai pas beaucoup de certitude à vendre, mais une conviction issues des “débats” de ces derniers temps, à gauche, entre les “traitres” et les “extrémistes” : nous n’emporterons l’adhésion qu’en montrant que l’on peut changer les choses en faisant preuve de calme et en considérant les différentes formes d’intelligences en présence. Pour le moment, continue de se renforcer la crédibilité d’une autre rupture, bardelo-ciottiste, faite de brutalité décomplexée et du passage à une société du contrôle assistée par ordinateur.

Redouter cet avenir-là ne suffit pas à dire et dessiner un avenir plus désirable susceptible d'entrainer un enthousiasme populaire. Ce mois d’octobre, encore relativement inaperçue, une coalition de 16 associations et syndicats ont livré un message exemplaire pour quiconque continue de chercher à faire vivre un mouvement écolo-social consistant sur le fond comme sur la forme : ensemble, ils ont déposé un recours devant le conseil d’Etat afin que soit annulé le décret sanction de la loi Plein emploi qui prévoit de frapper plus durement que jamais les chômeurs et allocataires du RSA. Dans un pays qui compte 10 millions de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté, se préoccuper réellement de la précarité et de ses causes pourrait compter parmi les tout premiers objectifs d’un mouvement qui s’attacherait moins à la couleur des organisations qu’à la volonté d’obtenir des conquêtes humaines. 

Vincent Glenn octobre 2025

1-Lire notamment le premier épisode de la série Retour de flammes ou le texte “On ne sais jamais” 

2-cf le livre célèbre de Karl Polanyi La grande Transformation (1944!)

3-"Foules ressentimentales. Petite philosophie des trolls", de Valentin Husson

4- lire l’article de Faïza Zerouala dans Mediapart “Des contrôles humiliant : Association et syndicats attaquent l’Etat sur la réforme du RSA

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