Il y a 25 siècles, le dramaturge grec Sophocle faisait dire à l'un de ses personnages: "C'est bassesse de désirer une longue vie, si elle n'a que des maux à nous offrir."
Si notre corps ou notre esprit nous font trop souffrir, s'il ne reste plus assez de joie en nous qui soit capable de dominer cette souffrance; si, non seulement il n'y a aucun espoir que cette lamentable situation s'améliore, mais qu'elle s'aggravera forcément dans un futur proche, alors le suicide devient envisageable. Grâce à notre disparition, notre entourage, nos proches, seront allégés du fardeau de nous voir souffrir sans pouvoir y remédier. Idéalement de tels suicides peuvent bénéficier de l'assistance d'une bienveillante personne. On parle alors de suicide assisté qu'on peut aussi appeler "euthanasie-de-fin-de-vie". Une très large majorité de nos concitoyens, dont moi-même, serions favorables à la légalisation, en France, de tels suicides assistés, comme ils se pratiquent déjà dans plusieurs pays voisins, notamment dans deux pays en partie francophones: Belgique et Suisse.
Olivier vient de se suicider, à l'âge de 43 ans, en se jetant du 4ème étage de l'hôpital de préfecture dans lequel il travaillait depuis plus de 10 ans. Il s'est écrasé à quelques mètres de quelques-unes des fenêtres du service dans lequel il était affecté, situé au rez-de-chaussée. Olivier était, comme moi, praticien hospitalier. Je connais bien cet hôpital de préfecture pour y avoir travaillé 18 ans. Nos spécialités d'exercice étaient les mêmes, mais nous n'avons jamais travaillé ensemble dans cet hôpital que j'ai quitté il y a 12 ans. Les trois hôpitaux dans lesquels nous avons tous deux travaillé au cours des douze années écoulées sont proches et je connaissais Olivier, l'ayant rencontré à diverses reprises au cours de diverses réunions. Nous nous étions même téléphoné ou écrit quelquefois.
Olivier avait déjà fait une première tentative de suicide, par hara-kiri, dans son bureau, dans ce même centre hospitalier, dix ans plus tôt. Si son lieu de travail n'avait pas été ce bon hôpital de préfecture, et qu'un bon chirurgien n'avait pas été disponible immédiatement, alors il serait probablement mort il y a dix ans par hara-kiri.
Olivier et sa compagne travaillaient tous deux dans le même service. Il laisse derrière lui deux orphelins âgés d'une dizaine d'années.
Je ne connaissais pas assez intimement Olivier pour avoir une idée précise des souffrances qui étaient les-siennes, de leur causes et des éventuelles circonstances qui auraient permis d'espérer y remédier autrement que par un suicide. J'avais quand même pu converser un peu avec lui de sa première tentative de suicide peu de temps après cette tentative. Lors de notre conversation, il n'avait évoqué aucune maladie physique incurable, ni aucune maladie mentale avérée. Il m'avait juste dit ne pas avoir compris son geste, et j'en avais conclu que sa volonté suicidaire ne relevait pas d'une "euthanasie-de-fin-de-vie". A l'époque, une autre collègue, de la même spécialité, qui le connaissait mieux que moi pour avoir travaillé une année avec lui, dans un autre hôpital de notre GHT (Groupe Hospitalier de Territoire), m'avait dit qu'à son avis il récidiverait. Je lui avais demandé pourquoi elle était de cet avis, mais elle ne m'avait rien répondu.
Il est important de noter que j'avais occupé le poste d'Olivier avant lui, puisque sa compagne fut recrutée pour combler mon départ de ce poste il y a 12 ans, puis, peu de temps après, Olivier fut également recruté, l'activité du service ayant apparemment assez augmenté pour justifier la création d'un poste supplémentaire. Je tirais d'ailleurs parfois une certaine fierté à me dire que pour combler mon départ, il avait fallu recruter deux praticiens hospitaliers: Olivier et sa compagne. L'administration avait peut-être aussi souhaité favoriser un rapprochement familial dans une spécialité où les candidats commençaient déjà à ne plus être abondants? Ce ne sont là que quelques croyances ou hypothèses.
Une de mes premières pensées, quand j'ai pris connaissance de ce suicide, fut de me dire que si j'avais continué à occuper ce poste, alors Olivier ne se serait pas suicidé puisqu'il ne serait pas venu travailler dans cet hôpital de préfecture. Une des autre pensées qui m'est ensuite venue fut de me dire que, dans cette hypothèse, c'est moi, pas lui, qui serait peut-être mort, par suicide. Dans mon idée, en cohérence avec ces pensées, le contexte du suicide d'Olivier est probablement celui d'une souffrance au travail, voire d'un harcèlement moral professionnel.
En écrivant ces lignes je pense aussi à Jean-Louis Mégnien, professeur de cardiologie qui s'était défenestré du 7ème étage de l'hôpital dans lequel il se sentait harcelé moralement par sa hiérarchie:
https://blogs.mediapart.fr/wawa/blog/280622/un-bien-triste-exemple-de-harcelement-moral
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Le 15 novembre 2023, les harceleurs de Jean-Louis Mégnien sont condamnés:
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On peut aussi penser à cet autre suicide par défenestration:
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Il faut aussi rappeler que les statistiques officielles des suicides sous-estiment le nombre réel des suicides. Parmi les suicides non-répertoriés en tant que tels: certains accidents de la route, des noyades, des accidents du travail, sans oublier les comportements manifestement suicidaires (toxicomanies dont alcoolisme ou tabagisme). De plus, dans certaines circonstances, les familles préfèrent éviter que le suicide d'un proche soit officiellement déclaré tel. D'ailleurs l'un des contextes de suicide le plus fréquent est le contexte de séparation, ou de menace de séparation, d'un couple.
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Il y a plus de 20 ans, j'avais publié, avec un ami hollandais, cet article:
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"Le comble de l'orgueil, ou de la dépréciation de soi, est le comble de l'ignorance de soi." / The greatest pride, or the greatest despondency, is the greatest ignorance of one's self. (Baruch Spinoza, 1632-77) [à comparer à Socrate (5ème siècle avant JC): "Un des préceptes les plus important de la sagesse est de se connaître soi-même."/ "Une vie sans introspection ne vaut pas la peine d’être vécue."]
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Quelques citations sur le suicide se lisent ici:
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Mon cauchemar est évoqué ici:
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Un poème fut écrit à ce sujet:
https://blogs.mediapart.fr/wawa/blog/200123/projection-dun-transfert
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De maudits chemins se devinent ici:
https://blogs.mediapart.fr/wawa/blog/070225/par-des-chemins-maudits
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