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Billet de blog 27 février 2025

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Le préjudice écologique, une nouvelle menace pour les droits des « Gens du voyage » ?

L’habitat mobile, et en particulier celui des « gens du voyage », subit une pression juridique constante, oscillant entre des politiques publiques visant à organiser l’accueil et des mesures répressives croissantes. Avec la proposition de loi Mendes, une nouvelle brèche est sur le point d’être ouverte dans la protection du droit de propriété des personnes vivant en habitat mobile.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’habitat mobile, et en particulier celui des « gens du voyage », subit une pression juridique constante, oscillant entre des politiques publiques visant à organiser l’accueil et des mesures répressives croissantes. Avec l'article 12 de la proposition de loi Mendes (que j'ai déjà eu l'occasion de critiquer dans une précédente note de blog), une nouvelle brèche est sur le point d’être ouverte dans la protection du droit de propriété des personnes vivant en habitat mobile. Si elle était votée en l’état, cette proposition de loi pourrait engendrer une catastrophe sociale supplémentaire dans un contexte où la France est épinglée par les instances européennes sur ses manquements envers les « Roms et gens du voyage », notamment en matière de logement. 

Dans une tribune récente je mettais en exergue comment la question de la protection de l’environnement est utilisée comme un outil de relégation des plus précaires. Ce qui est très visible au sujet des Voyageurs et de leurs caravanes et qui est particulièrement cynique lorsqu’on sait que les conditions de vie imposées à ceux qui vivent dans des aires d’accueil, souvent mal localisées et polluées, portent atteinte à leur santé et leur espérance de vie.

Un vide juridique sciemment laissé par le législateur

En 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnel le III de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000, qui interdisait aux collectivités territoriales d’appliquer les mesures d’expulsion des stationnements illicites aux propriétaires stationnant sur leurs propres terrains. Il a justifié sa décision en rappelant que cette disposition portait une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit de propriété, protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Le Conseil constitutionnel a alors donné au législateur jusqu'au 1er juillet 2020 pour revoir sa copie et combler ce vide juridique​. Pourtant, ce délai a été purement et simplement ignoré, laissant la loi dans un état où, en théorie, les propriétaires de terrains peuvent être soumis aux mêmes contraintes que les occupants de terrains publics ou privés en situation d’installation illicite.

Depuis cette époque, plusieurs associations ont dénoncé ce flou juridique, alertant sur la brèche dangereuse qui a été ouverte pour les Voyageurs. Mais malgré ces alertes, les gouvernements successifs sont restés atones. 

L’article 12 de la PPL Mendes : une réécriture dangereuse

Plutôt que de rétablir une protection claire du droit de propriété, la proposition de loi Mendes reprend et dévie la logique du III de l’article 9, en y introduisant une exception majeure : les propriétaires de terrains ne seront plus protégés contre l’application des mesures de mise en demeure en cas de "motif d'intérêt général" lié à un préjudice environnemental.

Avec cette nouvelle rédaction, un propriétaire pourrait être expulsé de son propre terrain si les autorités estiment que son installation porte atteinte à la salubrité, la sécurité, la tranquillité publiques ou à l'environnement, notamment en cas de "dommage écologique avéré" ou d'une "imminence de sa réalisation".

Une nouvelle porte ouverte aux abus

Cette évolution est extrêmement préoccupante pour plusieurs raisons :

1- Un risque d’expulsions arbitraires

La notion d’"imminence d'un préjudice écologique" est juridiquement floue et ouvre une grande marge d'interprétation aux autorités administratives et judiciaires. Des collectivités opposées au voisinage de familles de Voyageurs, vivant sur leurs propres terrains, pourraient prétexter un risque écologique pour justifier leurs mises demeure de quitter les lieux.

2- Une atteinte injustifiée au droit de propriété

Le Conseil constitutionnel a déjà jugé en 2019 qu’il était contraire à la Constitution d’empêcher des personnes de stationner sur leur propre terrain sans motif légitime. Or, la protection de l'environnement, bien que constitutionnellement reconnue, ne justifie pas de manière automatique une atteinte au droit de propriété, surtout sans garanties procédurales fortes.

 3- Une discrimination indirecte contre les Gens du voyage

En pratique, ce dispositif risque de ne pas s'appliquer de manière équitable. Il pourrait être utilisé de manière disproportionnée contre les Voyageurs. Cela renforcerait une logique d'exclusion sociale déjà constatée dans les politiques publiques à leur égard. 

D’ailleurs, pour saisir un peu le risque de dérive, il suffit d’écouter une récente interview de Ludovic Mendes pour comprendre ce qu’il entend par « préjudice écologique ». Il inclut ainsi sous cette appellation, le fait de laver sa caravane sur une aire protégée ou de laisser des déchets comme un motif légitime. Dores et déjà, notre expérience de terrain qui nous laisse entrevoir une grande créativité administrative en la matière, nous permet d'imaginer le champ des possibles. On ne pourrait qu’espérer que le préjudice écologique soit apprécié avec autant de rigueur lorsqu’il implique de grands groupes industriels.

En attendant, c’est donc un nouvel instrument de marginalisation sociale qui se profile. Si on entend souvent que l’écologie sans lutte des classes c’est du jardinage, il est à peu près aussi sûr que l’écologie sans lutte antiraciste revient à repeindre la domination en vert… 

Une menace constitutionnelle et juridique

La fragilité juridique de l’article 12 est d’autant plus grande que le Conseil constitutionnel a déjà censuré des atteintes excessives au droit de propriété. Le juge contrôle notamment :

- La proportionnalité de l'atteinte : le motif d’intérêt général invoqué doit être suffisamment justifié et encadré pour éviter des abus​.

- la clarté de la rédaction législative : une formulation vague peut être censurée si elle ouvre la porte à des interprétations arbitraires.

L’article 12 pourrait donc être contraire à la constitution, car il ne précise pas suffisamment les conditions et les garanties encadrant ces atteintes au droit de propriété, et constitue un cas de limitations ayant un caractère de gravité telle (ne plus pouvoir stationner, et donc vivre, sur son propre terrain) que le sens et la portée du droit de propriété s'en trouvent dénaturés.

Un retour en arrière dangereux

L’ironie de cette situation est frappante :

En 2019, le Conseil constitutionnel a supprimé un texte mal rédigé au motif qu’il pourrait porter atteinte au droit de propriété des Voyageurs. En 2025, la proposition de loi Mendes propose sa réintroduction par un mécanisme d'expulsion contre les propriétaires... au nom de l'environnement.

Cette évolution pourrait ouvrir la voie à des abus et créer un précédent dangereux pour toutes les formes d'habitat alternatif, pas seulement celles des Voyageurs. Si le législateur souhaite réellement combler le vide juridique laissé en 2019, il devrait garantir le droit de propriété des propriétaires de terrains et non les exposer à une insécurité juridique encore plus grande. 

La mobilisation contre cette proposition de loi est essentielle pour éviter que la lutte contre le "préjudice écologique" ne devienne un levier d'exclusion. Rappelons-le quand même, cette notion de préjudice écologique a été introduite en France dans le cadre du procès de l'Erika en 2012, comme outil de réparation contre les atteintes à l'environnement commises par le groupe Total. 

C'est dire qu'il fallait bien un certain sens politique pour faire d'une mesure de protection environnementale, un nouvel outil de répression antitsigane.

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