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Billet de blog 2 octobre 2024

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Totgeschlagen Totgeschwiegen, nommer l'effacement LGBTQIA+ perpétré par les nazis

Totgeschlagen Totgeschwiegen (Battus à mort réduits au silence) est l'inscription retrouvée sur 4 mémoriaux dédiés aux « homosexuels », voire aux lesbiennes. Peut-elle être le nom donné à persécution des personnes LGBTQIA+ par les nazis ? Si les lieux de persécution parlent au grand public, le silence des persécutions est encore très présent, en particulier chez certaines minorités.

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Illustration 1
Plaque posée en 1984 au camp de Mauthausen en la mémoire des homosexuels victimes du national-socialisme © Dedd

Dans l'histoire de l'Holocauste, la Shoah désigne la "Catastrophe" en hébreu, le Porajmos signifie "Dévorer" en romani et Aktion T4 en allemand. Les trois termes sont utilisés pour parler respectivement des génocides juif, tsigane et handi. 
Alors que ces persécutions nazies ont un nom, pourquoi les autres n'en ont pas ? Pourquoi celle des personnes LGBTQIA+ (et notamment celle des personnes trans) n'a pas de nom ? 

Mauthausen, Dachau, Sachsenhausen, des lieux qui parlent 

Si les noms de Mauthausen, Dachau et Sachsenhausen (où se trouvent 3 mémoriaux avec l'inscription Totgeschlagen Totgeschwiegen) parlent à beaucoup de gens, ceux de L'Eldorado, l'Institut für Sexualwissenschaft ou le WHK (Wissenschaftlich-humanitäre Komitee) parlent moins.

Pourtant, le cabaret L'Eldorado était le centre la vie nocturne LGBT+ berlinoise. L'Institut de Sexologie était le premier centre de la communauté. Et le Comité Scientifique-Humanitaire (WHK) était la première association dite homosexuelle. Leurs locaux ont tous été fermés entre fin décembre 1932 et la première moitié de 1933.

Ces lieux étaient des symboles du Premier Mouvement homosexuel. Mais leurs histoires sont peu connues, notamment celles en lien avec l'histoire des transidentités de cette période. Elles avaient pourtant une portée mondiale sous la République de Weimar. 

On remarque d'une part que les lieux où on a assisté aux persécutions les plus importantes contre les personnes LGBTQIA+ sont des lieux déjà connus pour d'autres crimes. Et d'autre part que les lieux de la Communauté qui ont disparu sont peu connus.
Et bien souvent, ces deux types de lieux sont associés aux hommes homosexuels et peu ou pas aux autres communautés LGBTQIA+. 

Nommer l'oubli et le silence 

On assiste à plusieurs initiatives qui visent à briser le silence autour des ces persécutions LGBTQIA+. Mais ces persécutions ne sont pas propres aux hommes homosexuels, elles sont multiples, multicommunautaires. Et l'enjeu pour la communauté trans est important. De plus, elles ne concernent pas uniquement les internements, le fichage, les assassinats...

L'effacement s'est fait non seulement par la mort sociale (internement, isolement), la manipulation mentale (thérapies de conversion), la volonté de tuer (pousser au suicide, assassinats...), mais aussi par un effacement culturel. On peut parler d'un obscurantisme, notamment transphobe.

Alexander Petrovnia, qui étudie l'histoire queer, antifasciste, féministe et scientifique, parle d'un génocide trans perpétré durant le nazisme. Cette théorie ne fait pas forcément consensus et nécessite encore des recherches. Mais elle permet de poser des questions sur les formes de persécutions subies par les personnes trans. Ce qui est inquiétant, c'est que ces histoires sont silenciées, voire falsifiées par des réactionnaires.

Tous les lieux de vie connus de la Communauté ont été supprimés. Les documents de la plus grande bibliothèque LGBTQIA+ et des plus importantes archives du groupe ont été volés, et pour une partie brûlés. Bon nombre d'histoires, mémoires de personnes et de lieux de vie sont réduites au silence.

L'affiche Silence = Death (Silence = Mort), qui reprend le triangle rose, est beaucoup utilisée depuis les années 1980. Grâce à elle, des mots ont pu être mis pour décrire une discrimination contre les homos entre autres. Elle reprend le symbole du triangle rose. Le triangle rose n'a pas été uniquement porté par les homos, on trouve aussi des bi et des femmes trans.

Illustration 2
Un triangle rose sur fond noir avec les mots « Silence = Death » représentant une publicité pour le projet Silence = Death, utilisée par ACT-UP, la coalition contre le sida pour libérer le pouvoir. Lithographie couleur, 1987. © projet Silence = Death

Reconnaître chaque minorité persécutée 

Le but de cette réflexion n'est pas de minorer la réalité des génocides connus commis par les nazis (Shoah et Porajmos). Surtout que les deux n'ont pas été reconnus comme tels rapidement (en particulier le second).
Ici la réflexion visait à poser la question du nom de la persécution des personnes LGBTQIA+ et en particulier trans sous le régime nazi.
D'ailleurs, cette persécution est liée entre autres à l'antisémitisme. Et le génocide tsigane a été longtemps oublié.

On fait face concernant la communauté LGBTQIA+ à des persécutions multiples.
Multiples par leur aspect inter et multicommunautaires. Les victimes sont issues de plusieurs communautés différentes qui, dans le cas de "la Commu" en forment une plus grande également.

Les lesbiennes, les bi, les trans et les autres membres de cette communauté ont longtemps été oubliées et oubliés. Mais déjà auparavant, les homos ont subi le même sort. Et cela peut continuer. L'affiche Silence = Death et son triangle rose tourné vers le haut, symboles de luttes, peuvent aussi être associées aux autres communautés de "la Commu".

Pour conclure

Les lieux de mémoires des pires persécutions contre les personnes LGBTQIA+ sour le régime nazi sont connus. Connus car ils sont des camps de concentration. En revanche, les lieux de vie de la Communauté qui ont été fermés sont peu ou pas connus.

Cet oubli, ce silence, cet effacement autour de la Communauté vient en partie du fait que les nazis ont effacé des traces de l'existence des personnes concernées. Et nommer cette persécution a un impact sur sa perception.

L'enjeu ici est de reconnaître chaque minorité victime. Comme le génocide juif et le génocide tsigane, les persécutions de la communauté LGBTQIA+ ne sont pas toujours reconnues. Et au sein même de celle-ci, certaines sont plus difficilement reconnues.

C'est pourquoi, nommer cette persécution commune, même si l'on ne parle pas forcément de génocide, est important. Un nom peut rendre plus réelles ces persécutions aux yeux de la société. Totgeschlagen Totgeschwiegen pourrait nommer cet effacement.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.