Cet article est le cinquième d'une série sur l'association « Les Plus belles fêtes de France ». Les quatre premiers sont à retrouver ici :
• Salera, un festival « historique » organisé par Pierre-Édouard Stérin (8 juillet 2025)
• La menace Stérin plane sur le plus vieux festival breton (28 juillet 2025)
• L'arnaque de l'association « Les Plus belles fêtes de France » (8 août 2025)
• « Label Stérin » : vers la plus belle défaite de France ? (28 août 2025)
Vers une privatisation des fêtes populaires ?
Comme le dit la Section Carrément anti-Stérin (SCAS), « d'une main, [Stérin] poursuit son projet libertarien en jouant de sa galaxie pour asphyxier le monde associatif (en faisant du lobbying pour le désengagement de l'État), de l'autre, il se présente en sauveur d'associations en difficultés, lui permettant de prendre petit à petit le contrôle de pans entiers de la société pour diffuser ces idées réactionnaires à tous les niveaux ».
L'opération de privatisation de fonds par la Galaxie Stérin a plusieurs conséquences. Des subventions publiques sont supprimées pour les fêtes et attribuées à La Nuit du Bien Commun. Puis reversées sous forme de miettes conditionnées. Les mairies et collectivités territoriales gagnées par l'extrême droite pourraient faire de même.
Les prises de décision risquent également d'être privées. En faisant disparaître les associations, les fascistes peuvent laisser des entreprises privées organiser les évènements (choisir les artistes, les expos...).
La privatisation pourrait aussi conduire à des limites d'accessibilité pour les handis, les personnes racisées, LGBTQIA+, les femmes. Finies les zones sécurisées et la prévention.
Comme l'explique la CGT Culture, « le développement accru du mécénat, de la privatisation d’espaces et de l’usage de marques, allant à l’encontre du principe même de démocratisation culturelle ».
Le séparatisme ultraconservateur en embuscade
Les sociologues Camille Coubal, Yannick Le Hénaff et Jean-Samuel Beuscart présentent les fêtes comme « le creuset dans lequel se forment les idéaux, notamment religieux, et favorisent, par la suspension éphémère des normes, ce que Durkheim appelle l’intégration sociale ».
Selon le chercheur en sciences politiques Pierre Lefébure, « les identitaires ont toujours instrumentalisé la moindre facette de culture régionale dont ils veulent faire l'argument d'une entité "de souche" extensible par une pseudo-logique totalement contradictoire au fantasme d'une identité nationale figée. Stérin le standardise en label ».
Le poulain de Srérin, Alexandre Avril (Vice-Président UDR et créateur du 1er festival labellisé par LPBFF) était fin août sur Ligne Droite, la matinale de la l'extrême droitière Radio Courtoisie. Il y présentait notamment le projet politique de son parti sur la « décentralisation ». À noter que la radio espérait avoir des aides de Stérin, mais les récents déboires du milliardaire lui valent de revoir ses plans.
Avril instrumentalise le sondage IFOP commandé par Régions & Peuples Solidaire, composé de partis régionalistes, autonomistes et indépendantistes de Bretagne, Alsace, Corse etc.
Rejetant les vrais résultats du sondage, il propose de créer 50 provinces dirigées par des préfets aux pouvoirs accrus. Il parle de son festival pseudohistorique Salera comme d'une manière de créer un sentiment d'appartenance locale.
Il dit vouloir faire revivre des « identités profondes comme notre identité gallo-romaine » avec Salera, tout en faisant venir par exemple des groupes de musique bretonne et de musiques celtiques probablement arnaqués pour son Roman National. Quelques temps plus tard, il se pose en victime, évoquant la gauche qui s'en prend à sa fête dans un post où il se compare à Kirk. Ce qui n'est pas étonnant pour un néo-nazi.
L'Institut suprémaciste blanc Iliade, financé par Stérin a été jusqu'à utiliser un fest-deiz des Vieilles Charrues pour essayer de présenter la musique bretonne à son image. Sauf que le groupe qui passait, Fleuves, a élevé sa voix contre l'extrême droite en 2024. Cet institut, Iliade, forme des intégristes d'Academia Cristiana.
Cette deuxième, visée par une demande de dissolution, est proche du concepteur du spectacle très problématique Murmures de la Cité à Moulins. Julien Langella (ex-Génération Identitaire) et Victor Aubert en 2013 sont les créateurs d'AC. Deux personnages qui détestent les républicains défendant les droits humains et luttent contre l'homophobie, le sexisme, le machisme etc., et que le complotiste Breizh Info met en avant sur son site.
Academia Cristiana a notamment invité un bagad breton à l'un de ses évènements bretons (sans préciser lequel). Elle a participé il y a quelques jours au pélerinage de Feiz e Breizh (Foi en Bretagne), qui instrumentalise l'histoire de Bretagne et réunit cathos tradis et militants d'extrême droite.
Le sociologue Philippe Steiner présente la fête comme faisant « partie des événements majeurs de la vie sociale. C’est une occasion pour les membres d’un groupe de se retrouver, de partager une série d’activités qui, en suscitant tout un monde d’émotions et de sentiments, réactivent le sens du collectif ». C'est ce que Stérin cherche à instrumentaliser.
Le monde des fêtes et festivals en question
Le philisophe Nicolas Righi indiquait en 2002 que « ce terrain n’est pas celui de la loi et du contrat, de la raison et du devoir, mais bien celui des passions qui peuvent fonctionner autant comme un facteur d’éclatement et de division que comme un fédérateur ».
Fédérer et diviser sont des termes utilisés pour manipuler l'opinion dans la tribune de 82 parlementaires (dont la sénatrice du 44 Laurence Garnier). Les (extrêmes) droites, en se victimisant attaquent la gauche et des actrices / acteurs du monde des fêtes en les traitant. d'« agitateurs ». On imagine que Kenleur (fédération de cercles celtiques), Sonerion (bagadoù), Gouelioù Breizh (Fêtes / Festivals de Bretagne) et la Fédération des Fêtes et Festivals de Culture Bretonne qui ont dénoncé l'association contre l'instrumentalisation des cultures de Bretagne (et notamment de la musique) apprécieront l'insulte.
Des fêtes de régions à identité forte résistent.
Dans un livre de 2000 analysant le discours du sociologue québecois Marcel Rioux, on y découvre cette idée : "l’art est comme toujours chez Rioux source de possibles, lesquels, en faisant table rase, montrent le cap à suivre pour « changer la vie » et promouvoir l’émancipation. Les régions se révèlent à cet égard des viviers plus propices que les grands centres à donner corps aux manifestations artistiques et culturelles de l’autogestion et de l’émancipation".
Au-delà de l'affaire des PBFF on peut se poser des questions sur les conditions de travail des personnes employées ou bénévoles dans le milieu associatif. Ou se questionner sur les pratiques parfois peu éthiques de partenaires locaux.
On doit aussi dénoncer les Violences Sexistes et Sexuelles. Si on prend un exemple breton, on peut parler des VSS subies par des sonneuses en particulier, dans des bagadoù membres de la fédération Sonerion. Des voix se sont élevées mais cela reste encore tabou, ce qui limite la lutte.
Il est important également d'évoquer l'utilisation de l'histoire, de la culture locale ou régionale par les associations ou les mairies. Sonerion et le Festival Interceltique de Lorient pourraient par exemple éclaircir l'histoire de Polig Monjarret. Ce dernier a créé Sonerion, participé à l'histoire du FIL, mais aussi été secrétaire de Kendalc'h qui est une des fédérations à l'origine de Kenleur. Monjarret suscite des débats sur son passé.
Même si ces (con)fédérations défendent l'ouverture des musiques de Bretagne, ainsi qu'une forme d'émancipation de l'extrême droite, elles peuvent rencontrer des problèmes internes. L'implication des mairies peut aussi prendre la forme d'une récupération politique.
En Bretagne comme ailleurs, on peut également questionner le choix de comités organisateurs et autres orgas qui se sont portés sur des artistes / intervenants plus que discutables (groupe néo-nazi russe au Motocultor, meurtrier homophobe au Hellfest, le confusionniste Paul Watson à la Fête de l'Huma...). Mais on peut également se pencher sur des fêtes problématiques et des concerts proches du National Socialist Black Metal. Certaines mobilisations payent, mais il y a beaucoup de sujets tabous.
Pour conclure,
L'historien médiéviste William Blanc a proposé des solutions pour les fêtes historiques.
L'historien Arnaud Fossier (également médiéviste) a fait la proposition absurde d'un "Puy du Fou de gauche". Alors même que 4 historiennes et historiens avaient apporté de vraies propositions dans "Le Puy du Faux".
Pour aider les fêtes à être autonomes et contrer l'influence des libertariens (IREF, Contrepoints, Henri Lepage que Stérin soutient), une réponse libertaire est possible.
Ainsi, parmi les solutions, il est possible de développer ou transformer les fêtes en évènements autogérées luttant contre la marchandisation de la culture et l'asservissement des travailleuses et travailleurs.
Le tout en respectant et partageant les cultures et histoires des peuples dans des espaces accessibles à toutes et à tous. La fête est une forme de lutte pour le droit à s'émanciper.
Pour aller plus loin :
Les sociologues Julien Talpin et Pierre Bonnevalle ont réalisé plusieurs travaux de recherche sur l'autonomie associative, les financements publics et le pouvoir local.
TALPIN J., BONNEVALLE P., 2024, Autonomie associative et financements publics : une enquête
localisée, INJEP Notes & rapports/Rapport d’étude.
Julien Talpin, Pierre Bonnevalle. Financements associatifs et pouvoir local. Enquête sur les subventions aux associations dans une ville du Nord. Gouvernement & action publique, 2023, Gouvernement et Action Publique, 12 (2), pp.37-64. ff10.3917/gap.232.0037ff. ffhal-04382206