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Billet de blog 26 avril 2018

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Rassurez-vous : la fraude sociale est contrôlée

On apprend que la fraude sociale est sous contrôle : il s'agit de communiquer sur la vigilance des institutions sociales, quitte à donner du grain à moudre à ceux qui se complaisent à dénoncer certains abus pour mieux en dissimuler d'autres.

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Illustration 1
Une CAF à Paris [Photos YF]

La Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) a communiqué ce 26 avril sur la fraude sociale détectée en 2016 : 45.000 fraudes aux prestations sociales, soit 291 millions d'euros, en hausse respectivement de 5 et 5,7 % par rapport à l'année précédente (la CNAF avait communiqué de la même manière en février 2017). Cela représente 0,4 % des 70 milliards d'euros versés par les CAF. Les CAF départementales procèdent comme la CNAF, pour bien montrer, dans la presse locale, qu'elles agissent pour éviter tout abus. Les gestionnaires cherchent à montrer leur volonté de paraître efficaces, de faire taire toute accusation infondée de négligence et tout discours négatif sur les allocataires (ou les assistés"). Alors ils veillent à dire que le plus souvent les "fraudes" sont dues à des omissions ou à des fausses déclarations sur les ressources, les situations professionnelles, les changements d'adresse ou de dissimulation de vie maritale.

Sauf que certains médias, soit du fait d'une ligne éditoriale malsaine, soit par imprudence, se précipitent sur ce genre de nouvelles, sans forcément faire preuve de la prudence qui s'impose. Des sites d'extrême-droite s'en gargarisent, avec des commentaires qui font froid dans le dos tellement ils sont frappés de mauvaise foi ou de généralisations malhonnêtes (je suis allé en lire quelques uns).

Le communiqué de la CNAF nous apprend que 35 millions de contrôles ont été effectués, et que la moitié des 12,5 millions d'allocataires ont été contrôlés (90 % d'entre eux n'ont rien vu, car les contrôles se font essentiellement grâce à des fichiers interconnectés). Il n'existe quasiment pas de dispositifs faisant l'objet d'autant de surveillance.

Il va de soi que ce qu'on appelle "fraude sociale" recouvre différentes situations : il y a beaucoup d'erreurs involontaires, il y a aussi des abus "véniels" (pour reprendre un langage bien LREM) : je pense à la tricherie qui consiste à cacher pour une femme seule avec ou sans enfants l'existence d'un homme dans sa vie (et vice versa). Même si le salaire du conjoint est faible, celui ou celle qui percevait le RSA ou le RSA majoré (ex-API), le perd. Aucune organisation ne monte au créneau pour rendre compte publiquement de la manière dont une vie de couple camouflée est surveillée pour pouvoir en apporter la preuve (rocambolesque). C'est le principe (et le problème) de la non-individualisation des revenus, qui mériterait, à mon avis, d'être modifié (1). Puis il y a les truands qui délibérément cherchent à arnaquer le système et ceux-là méritent non seulement sanction mais poursuites pénales.

5 milliards d'euros de non-recours

Sauf que ce que la communication à ce sujet se garde de rappeler c'est que beaucoup d'allocataires sont confrontés à des erreurs… à leur détriment. Car les CAF en commettent souvent (pertes de documents, de pièces justificatives, erreurs de calcul). Par ailleurs, beaucoup de potentiels allocataires ne réclament pas leurs droits : par ignorance, ou de façon délibérée, redoutant d'entrer dans un engrenage qui se retournera contre eux (ne serait-ce, justement, que par le rappel d'indus que certains ont déjà vécus et qui en ont été traumatisés : suspicion et difficulté à tenir un budget peanuts quand il faut subir des retenues mensuelles). On sait que le montant des sommes non réclamées (le "non-recours"), économisées donc par l’État, avoisine les 5 milliards d'euros (à peu près le montant des cadeaux fiscaux des assujettis à l'ISF).

Le défenseur des droits a dénoncé l'an dernier les effets pervers des contrôles (voir mon article sur ce blog : Les abus de la lutte contre la fraude sociale.

Enfin, les efforts que les instances officielles mettent en œuvre pour déceler cette fraude sont incommensurablement supérieurs à ce qu'elles font face à la fraude et à l'évasion fiscales (y compris l'optimisation, qui s'apparente parfois à de la fraude). On s'accorde en général à estimer que le montant des sommes qui échappent au contrôle du fisc est si élevé que la perte en impôts qui n'entrent pas dans les caisses de l'État se situe entre 60 et 80 milliards et la fraude à la TVA c’est 20 milliards. A comparer aux même pas 300 millions de la fraude dite sociale (qui est à peine le double de la  super-cagnotte de l'EuroMillions perçue par une seule personne et moins que l'amende que la banque HSBC a dû payer pour avoir favorisé l'évasion fiscale).

Enfin, si l'on veut stigmatiser les anomalies, alors il ne faut pas se contenter de dénoncer les abus, mais aussi les inégalités, les injustices, les passe-droit accordés en toute légalité. Sans aller chercher trop loin, rappelons que le PDG de PSA va recevoir un prime d'un million d'euros, s'ajoutant à son salaire de 5,2 millions, soit l'équivalent de 18 000 € par jour ! Rappelons également que le rapport du Défenseur des droits citait le cas de Carmen, comptabilisée comme fraudeuse par la Sécu : elle demandait l'ASPA (le minimum vieillesse), mais cette prestation lui avait été refusée sous prétexte qu'elle n'avait pas déclaré un Codevi ! Alors même que le caractère frauduleux de cette omission n'était pas démontré et que le montant total de ce Codevi s'élevait à… 27,78 € !

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(1) J'ai abordé cette question de l'individualisation de la prise en compte des revenus dans un billet récent : Politique familiale : l'hypocrisie de la droite

. Voir également mon article dans Le Monde du 16 novembre 2011: Les véritables fraudeurs ne sont pas les bénéficiaires des prestations sociales.

Billet n° 391

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  [Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]

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