Chaque année à la fin du printemps, les rues de Vichy (ici le bas de la rue de Paris, nos Champs-Elysées à nous) sont pavoisées aux couleurs napoléoniennes. Pour rappel, le Second Empire (2 décembre 1852 - 4 septembre 1870), qui revendiquait l'héritage de Napoléon Ier et du Premier Empire (1804-1815), est un « césarisme démocratique, c'est-à-dire une dictature qui affirme s'appuyer sur le peuple selon le principe de la souveraineté de la Nation ».

Pendant un long week-end, le parc des Sources, qui fait actuellement l’objet d’une rénovation coûteuse et contestée, et sur lequel donne l’ancien hôtel du Parc, est renommé « Imperial Park ». Pour rappel, la Troisième République a reconnu que près de 700 Bourbonnais avaient été victimes de la répression orchestrée par Louis-Napoléon Bonaparte et ses proches : parmi les opposants « locaux » au coup d'Etat du 2 décembre 1851, particulièrement nombreux dans les cantons de Lapalisse et du Donjon, 18 étaient passés devant le Conseil de guerre, 13 avaient été « transportés » à Cayenne et 257 en Algérie.

Contrairement à son prédécesseur Claude Malhuret, le maire de Vichy Frédéric Aguilera participe activement aux Fêtes Napoléon III depuis 2019 et, en particulier, au défilé en costumes à travers les rues de la ville (toujours à bord d'une calèche, quand la plupart des participant·es sont à pied).

Maire de la cité thermale et président de Vichy Communauté depuis l'automne 2017, M. Aguilera donne à sa participation aux Fêtes Napoléon III une dimension à la fois personnelle et politique : il détaille par exemple ses tenues (cf. le post reproduit ci-dessus) et met en scène sa famille (cf. son post du 28.04.2020 : « Il y a un an, je participais en costume avec ma fille aux fêtes Napoléon ») ou des membres de son exécutif (hier sa première adjointe, aujourd'hui la conseillère déléguée au tourisme et présidente du conseil d'administration de Vichy Destinations). M. Aguilera sait-il que, sous le Second Empire, les maires, y compris des plus petites communes, étaient nommés par les préfets ?

Nouveauté lors de l'édition 2023 des Fêtes Napoléon III à Vichy : la préfète de l'Allier, dont la fonction consiste à servir les valeurs de la République (« liberté, égalité, fraternité »), s'est prêtée sur le parvis de l'ancien Grand Casino à une reconstitution historique de mauvais goût, qui glorifie une société fortement contrôlée et hiérarchisée (l'homme au baise-main sur la photo reproduite ci-dessus « joue » l'empereur). Quelques précisions : Mme Pascale Trimbach fut jusqu'à récemment l'adjointe d'une municipalité UMP-LR (son engagement politique est absent de son CV officiel) ; dans le parc des Sources, elle a accordé des dérogations à la réglementation relative à la protection des espèces protégées, ce qui a rendu possible l'abattage précipité d'au moins 180 arbres adultes ; elle collectionne les chapeaux.

Depuis l'édition 2022, on peut visiter pendant les Fêtes le Chalet des Roses, c'est-à-dire l'un des six « chalets Napoléon III » situés en lisière du parc... Napoléon III (la partie la plus prestigieuse des parcs d'Allier a été ainsi rebaptisée dans les années 1990, nous y revenons dans ce fil sur le réseau social Bluesky). Il se trouve que les propriétaires du chalet en question sont le power couple du microcosme vichyssois, que la presse locale présente comme les nouveaux bienfaiteurs de la cité thermale : lui a dirigé le site L'Oréal de l'agglomération, elle dit conseiller des marques de luxe partout dans le monde. 

En 1992, trois ans seulement après avoir pris la mairie, M. Malhuret (42 ans à l'époque) avait enterré le carnaval, soit l'une des très rares manifestations populaires de la ville. Seize ans plus tard, alors qu'il s'est toujours réclamé de la famille libérale, il n'a pas hésité à donner naissance aux Fêtes Napoléon III, suite à une suggestion faite par le président des Amis vichyssois de Napoléon III au directeur de l'office de tourisme (La Semaine de l'Allier, 16.02.2023). Ce dernier est désormais le directeur général de la société publique locale Vichy Destinations (c'est-à-dire une société de droit privé, qui se présente toutefois comme une « administration publique »), il a entre-temps été brièvement le maire (de droite) de la ville voisine de Bellerive-sur-Allier (2014-2018), et ses équipes déploient la stratégie « Vichy mon amour » pensée par une agence clermontoise.

La presse locale (le groupe Centre France est ici en situation de quasi-monopole) assure année après année la promotion de l'événement. En juin 2020, La Semaine de l'Allier avait parlé de « sacre » à propos de la séance d'installation du nouveau conseil municipal vichyssois et de son maire.

Le mapping Lumières sur le Bourbonnais, projeté depuis 2020 sur l'ancien Grand Casino (construit en 1865) et l'Opéra (construit en 1901), est censé raconter l'histoire de la ville de Vichy. La période du Second Empire est évoquée autour de la 8e minute sous la forme d'une fête grandiose à laquelle prend évidemment part l'empereur. Pour rappel, ce dernier n'a au total passé que quatre mois de sa vie (qui fut longue de soixante-cinq années) dans la cité thermale, au fil de cinq séjours.

Le Second Empire est présenté d'une manière si positive par les responsables municipaux, que personne ne fut choqué en 2019 que les « années de règne de Napoléon III », qui constituent « l'âge d'or de Vichy » selon l'office de tourisme, soient mises à l'honneur un 14 juillet.

En 2020, l'impératrice Eugénie (1826-1920) fut à son tour mise à l'honneur, via la programmation d'un spectacle à l'Opéra (lire ici et là) et l'édition d'une affiche aussi déclinée en carte postale. La native de Grenade appréciait paraît-il beaucoup les pastilles Vichy, dont l'originalité aurait été « reconnue en 1885 par décret impérial [sic] ».

Dans l'ancien chalet de la Compagnie fermière construit en 1857, que la famille Decoret a investi en 2008, il est possible de dormir sous le regard de Napoléon III.

Alain Carteret, qui n'est pas historien, est le président depuis 2004 des Amis de Napoléon III à Vichy, c'est-à-dire de l'association qui depuis quarante ans a co-construit avec les maires successifs (MM. Lacarin, Malhuret et Aguilera) le revival bonapartiste. M. Carteret intervient dans un récent épisode du magazine Secrets d'histoire (à partir de 1h29), dont la voix off assure que « Vichy est aujourd'hui la ville de province française qui porte le plus la marque du Second Empire ». L'animateur royaliste et « historien de garde » Stéphane Bern conclut comme suit : « Napoléon III n'a pas la place qu'il mérite dans notre histoire. »

Un magazine d'Arte a choisi d'aborder la ville thermale sous l'angle exclusif du Second Empire. Extraits du commentaire : « Le souvenir de Napoléon III est glorifié à Vichy. [...] Il incarne le profil radieux d'une cité à la réputation entachée. Une ville qui, avant de vivre des heures sombres, de devenir la capitale d'un maréchal, fut la terre d'élection d'un empereur. [...] A chacun de ses séjours, Napoléon III draine avec lui toute la bonne société de l'époque, des bourgeois et des aristocrates pour qui les parcs sont des vitrines, des lieux où l'on se croise et où l'on se toise [...] Vilipendé pour avoir instauré un régime autoritaire, Napoléon III n'en est pas moins apprécié à Vichy pour ses largesses. [...] En braquant les projecteurs sur sa part de lumière, Vichy tient à distance les fantômes du passé, cette mauvaise réputation que la ville s'acharne à balayer. »

Réactualisation du 24.03.2024 : suite à la mise en ligne de ce portfolio le 2 décembre dernier, j'ai d'abord constaté que l'agence vichyssoise de La Montagne a consacré pas moins de cinq articles aux Bonaparte entre le 10 décembre et le 14 février (lire notamment ici, là et là), puis découvert que le dernier palace de la cité thermale (le Vichy Célestins Spa Hôtel) avait baptisé son restaurant gastronomique « le N3 ». C'est l'occasion de rappeler que, pour permettre la construction de l'hôtel au début des années 1990, on avait non seulement détruit l'ancien Queen's, mais aussi la Villa Thérapia, c'est-à-dire l'un des sept chalets de l'Empereur (qui ne sont donc plus que six depuis 1988).