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Portfolio 18 janvier 2025

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2024 en dix pièces de théâtre

Art de la représentation servant à raconter des histoires, à transmettre des idées, à rassembler des gens, le théâtre parce qu'il est dans l'immédiateté, nous fait nous sentir vivant. Voici dix pièces qui ont marqué mon année 2024, un classement forcément subjectif qui, de Caroline Guiela Nguyen à Pascal Rambert, de l'Arsenic au Théâtre national de Bretagne, font grandir.

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  1. Illustration 1
    © Jean-Louis Fernandez

    Lacrima, Caroline Guiela Nguyen, TNS Théâtre national de Strasbourg

    Autour de la fabrication tenue secrète de la robe de mariée de la future princesse d’Angleterre, Caroline Guiela Nguyen met en scène une myriade de récits qui, de Paris à Mumbai en passant par Alençon, racontent la souffrance et le stress des employés. Derrière l’excellence et le luxe de la confection se dévoilent les larmes des petites mains pour lesquelles l’angoisse de la vie professionnelle se double parfois des affres d’une vie privée bouleversée ici par la maladie, là par la violence domestique. Tel le battement d’aile d’un papillon, la pression touche toutes les strates des différentes entreprises qui travaillent sur la robe de mariée, l'inquiétude des uns poussant les autres    à l’agonie, à l’image d’un jeu de dominos qui écrase les êtres, balaye tout sur son passage. « Lacrima » est une pièce bouleversante sur l’emprise qu’elle s’exerce dans la sphère personnelle ou professionnelle. En plaçant le spectateur face à lui-même, elle dépasse largement les frontières du théâtre.

  2. Illustration 2
    © Simon Gosselin

    Neandertal, David Geselson, Théâtre Gérard Philipe CDN de Saint-Denis.

    Récit choral dans lequel les travaux techniques des scientifiques comptent moins que leur quête et le chemin qu’ils empruntent pour y parvenir, la pièce croise les moments décisifs dans la vie intime d’individus pour raconter des moments d’une Histoire qui les dépasse, les déborde, bien qu’ils en soient des acteurs importants. « Nous sommes les seuls vivants à nous interroger sur nos origines » rappelle David Geselson. Magnifique interprète chez Tiago Rodrigues, il signe ici une épopée sur les origines des humains. En remettant en cause les idées dépassées sur les origines, « Neandertal » autorise à penser différemment les conflits géopolitiques et les enjeux écologiques contemporains.

  3. Illustration 3
    © Victor Tonelli

    Le Firmament, Lucy Kirkwood, Chloé Dabert, Théâtre Gérard Philipe CDN de Saint-Denis.

    Pièce pour treize comédiennes, ce qui est assez rare pour être souligné, « Le Firmament » raconte l’histoire de douze femmes choisies par un tribunal pour déterminer de la grossesse d’une condamnée. L’enjeu est de taille : si celle-ci est bien enceinte, elle ne sera pas pendue mais seulement déportée. C’est avant tout un scénario extrêmement bien écrit. Si la pièce prend place en 1759, année où la comète de Halley est passée près de la Terre, elle fait subtilement écho à des préoccupations contemporaines, qu’il s’agisse de la justice, du déterminisme, du passé colonial, de la place des femmes, de leur corps, du patriarcat, du nationalisme… soit autant de sujets qui traversent notre société. Telle une anthropologue, Lucy Kirkwood inscrit la petite histoire de ces femmes dans la grande. Chloé Dabert adapte la pièce anglaise avec maestria, retrouvant pour le plus grand plaisir des spectateurs la comédienne Bénédicte Cerutti dans le rôle d’une sage-femme supposément sans enfant.

  4. Illustration 4
    © Arnaud Bertereau

    Le iench, Eva Doumbia,Théâtre public de Montreuil.

    Drissa rêve d’avoir un chien depuis qu’il a onze ans. Il vit avec ses parents, sa jumelle et son petit frère dans un pavillon flambant neuf de province. Le canidé symbolise la vie banale promettant l’intégration à laquelle il aspire. Avec sa langue au réalisme poétique, Éva Doumbia conte la vie d’une famille afropéenne à travers le récit initiatique implacable de l’ainé. D’emblée, avec un préambule onirique et prémonitoire, elle place les spectateurs devant une évidence. Il n’y aura pas d’échappatoire. La fin est connue d’avance. Le présage annonce déjà le dénouement, comme si cela était écrit, comme si l’histoire se répétait inlassablement. On ne sort pas indemne du « iench ». La pièce, douloureuse et nécessaire, aborde les violences policières et le racisme inhérent, une pièce coup-de-poing qui devrait être jouée partout et tout le temps.

  5. Illustration 5
    © Julien Gosselin

    Léviathan, Lorraine de Sagazan, Guillaume Poix, TNB Théâtre national de Bretagne. 

    Avec « Léviathan », pièce sous chapiteau conçue comme un tribunal improvisé, Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan interrogent la procédure de comparution immédiate permettant de faire juger un prévenu juste après sa garde à vue. Huit interprètes questionnent notre idéal de justice à l’épreuve de la faillite du système pénal à travers trois comparutions immédiates. Affleurant le fantastique, la mise en scène donne à voir l’énormité et la violence de ces comparutions, dénonçant ces procédures expéditives. La pièce, intense, s’achève dans un très long silence dont un chronomètre, installé au fond du plateau, comptabilise la durée. Effrayant.

  6. Illustration 6
    © Cie la Part du pauvre. Photo : Argenis Apolinario

    Autophagies, Eva Doumbia, Théâtre public de Montreuil.

    Invitée dans le cadre « Quartiers d’artistes » par le Théâtre public de Montreuil, Eva Doumbia y poursuivait sa carte blanche au printemps dernier en se faisant maitresse de cérémonie pour inviter les spectateurs à un étonnant voyage, à la fois fascinant et déroutant, sur les traces des aliments et de leur origine, voyage qui s’achèvait par un grand repas partagé avec les spectateurs, concocté sous leurs yeux durant le spectacle. La pièce est aussi poétique que salvatrice, onirique que politique, à l’image de l’œuvre théâtrale que construit Eva Doumbia, terriblement nécessaire.

  7. Illustration 7
    © Dorothée Thébert Filliger

    La magnificité, collectif GREMAUD/ GURTNER/ BOVAY, Arsenic - Centre d'art scénique contemporain, Lausanne.

    Poursuivant son exploration des communautés qui réussissent à faire des choses, le collectif composé de François Grémaud, Michèle Gurtner et Tiphanie Bovay-Klameth, enchante avec cette nouvelle pièce au titre engageant.  Car c’est bien là, dans le fait de faire des choses ensemble plutôt que dans ce qu’elles font précisément, que se situe l’enjeu de la pièce, hilarante dans le dérisoire, dans les décalages qu’elle engendre mais aussi résolument politique dans la critique qu’elle engage de la société actuelle : « Faut rigoler, parce que c’est la seule chose qui nous reste ».

  8. Illustration 8
    © Simon Gosselin

    Sur l’autre rive, librement inspiré de Tchekhov, Cyril Teste, Théâtre du Rond-Point, Paris.

    Cyril Teste s’inspire librement de « Platonov » d’Anton Tchekhov, pièce de l’excès et du débordement, y mêlant les échos de « la Cerisaie », le temps d’une longue fête au travers de laquelle Anna Petrovna célèbre le retour des beaux jours après le long isolement de l’hiver. Entre théâtre et cinéma, la pièce trace un parallèle entre hier et aujourd’hui en multipliant les clin-d’œil à notre époque. Comme toujours chez le metteur en scène, la puissance narrative des caméras autorise des hors-champs éclairant les non-dits, des gros plans révélant les regards. Désespoir, désir, exubérance, rythment cette pièce de jeunesse dont Cyril Teste livre une très belle variation théâtrale.

  9. Illustration 9
    © Pauline Roussille

    Finlandia, Pascal Rambert, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris.

    Alors que « Clôture de l’amour » était à l’honneur cette année au Théâtre de l’Atelier à Paris, treize ans après sa création à Avignon, Pascal Rambert dévoilait la version française de sa pièce créée à Madrid l’an passé, « Finlandia », qui suit la dislocation d’un couple se déchirant pour la garde de leur fille. Celle qui les rassemble malgré eux devient le point focal de cette relation devenue toxique avec le temps. Interprétée par Victoria Quesnel et Joseph Drouet, la pièce évoque la jalousie, non pas amoureuse mais professionnelle, qui s’installe au sein du couple. Elle est une comédienne qui a réussi dans le milieu du cinéma tandis que lui poursuit sa carrière dans l’ombre. Alors qu’elle tourne une grosse production en Finlande, il la rejoint un soir par surprise et une dispute éclate. Tout explose alors. Huis clos sous haute tension, la pièce rend compte du fil infime qui sépare l’amour de la haine.

  10. Illustration 10
    © Philippe lebruman

    La meringue du souterrain, Sophie Perez, Le Zerep, Théâtre du Rond-Point, Paris.

    « La meringue du souterrain »  offre une plongée dans l’univers unique, transgressif, burlesque, grand-guignolesque, de la compagnie du Zerep amenée par Sophie Perez. Traquenard esthétique et psychique qui n’apportera aucune solution, la pièce interroge l’art scénique dans ce qu’il a de plus brut et de plus libre. Entre quizz théâtral et danses tribales, c’est un théâtre désopilant et trash, voire délirant, qui se révèle derrière le jeu de la fabuleuse Sophie Lenoir et du non moins formidable Stéphane Roger, un théâtre survolté, insolent, freak show féroce et tragicomique qui déjoue le romantisme de la vie à deux.

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