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Showgirl, Jonathan Drillet, Marlene Saldana, Théâtre de la Bastille, Paris
(Ce n'est pas tout à fait un solo et Jonathan Drillet me pardonnera j'espère mais Marlène Saldana propose quelque chose de tellement puissant). À travers ce récit se dessinent tous les autres, ceux que l’on imagine nombreux, de ces femmes ayant appris à naviguer en eaux troubles, à se taire constamment humiliées, et dont l’actualité, traversée par une vague de libération de la parole dans le milieu du théâtre et du cinéma, révèle l’ampleur. « Il s’agit de survivre dans un monde peuplé d’ordures » résumait le cinéaste Jacques Rivette à propos de Showgirls, estimant qu’il s’agissait de l’un « des plus grands films américains de ces dernières années, le meilleur film américain de Verhoeven et le plus personnel ». « My ego is not my amigo » déclare – dans la pièce – Nomi Malone lorsqu’elle parvient au sommet. Cette sentence qui sonne comme un mantra pourrait très bien avoir été prononcée par Elizabeth Berkley, ou encore par Marlène Saldana jouant Elizabeth Berkley qui joue Nomi Malone, sans doute pour ne pas répéter la domination qu’induit le pouvoir, ne pas reproduire une nouvelle forme de patriarcat. De la couleur et du bruit, du cynisme et de la vulgarité comme voulu par le réalisateur néerlandais, la pièce à l’esthétique queer, réhabilitation scénique hilarante et frénétique, porte en elle la rage d’une logorrhée libératrice que rien ne pourra désormais arrêter, une prise de pouvoir qui, sur scène, se traduit par un formidable plaidoyer féministe.
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Silence Vacarme, Pauline Ringeade, Théâtre en mai, Dijon
Seule en scène, entourée d’instruments et de supports d’enregistrement qui forment aussi la maquette du village où elle a grandi, Claire Rapin évoque par l’intime les bruits du monde et le murmure des oiseaux. Née du désir de la metteure en scène Pauline Ringeade d’écrire un solo pour Claire Rappin, actrice, chanteuse et musicienne, interprète de la plupart de ses précédentes créations, la pièce est un voyage à l’écoute des lieux qui la constituent – montagnes, jardins, sentiers – et des vivants qui les peuplent. « Silence Vacarme » est un spectacle sensible à l’immense beauté.
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L la nuit, Jana Klein, Cours du 7ème art, Paris
Forme nomade immersive pour une interprète dont la monture contemporaine est ici le vélo, ce western urbain au milieu de la cité suit une femme qui se voulait Clint Eastwood et va changer d’aspiration en rencontrant Calamity Jane. Jana Klein se fait autrice d’une épopée taillée sur mesure pour mieux s’affranchir du regard masculin et s’inventer soi-même dans cette fable contemporaine qui interroge la place des femmes dans l’espace public. Le texte, magnifique, publié aux Éditions Esse que, est une véritable révélation. Poétique et pénétrant, il porte en lui un espoir immense que la bande son, réalisée par Pierre Fruchard, transcende. « Ça commencerait comme ça. Avec une parole de femme. Une femme que j’ai rencontrée au printemps en banlieue parisienne pas loin d’ici ».
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Dans ton intérieur, Julia Perazzini, Arsenic - Centre d'art scénique contemporain, Lausanne
La nouvelle création de Julia Perazzini, bouleversant seul-en-scène dans lequel elle mène l’enquête sur un grand-père dont elle ne connaît rien si ce n’est ce nom qui est aussi le sien. En quête d’identité, la comédienne suisse incarne tous les personnages de l’investigation dans un troublant voyage introspectif qui parle aussi de nous. La pièce redonne corps aux absents, vie aux disparus. Elle fait basculer l’histoire personnelle dans un espace de projection collectif pour mieux interroger les récits qui nous constituent, qu’ils soient intimes ou publics. Finalement, cette quête a peu à voir avec la généalogie mais tout avec la force d’activation des récits lorsqu’on prend soin de les déplacer. « Dans ton intérieur » est une bouleversante mise à nu. Espérons que Julia Perazzini poursuive encore longtemps son exploration des identités. Elle a tant à dire de nous.
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« Quartier de femmes » est le tout premier spectacle mis en scène par l’artiste plasticien Mohamed Bourouissa qui, pour l’occasion, s’est entouré de l’autrice Zazon Castro et de la comédienne Lou-Adriana Bouziane, dont on se souvient de la performance puissante dans « Désobéir »(2017) de Julie Berès. Avec une énergie folle et beaucoup d’humour, L. A. Bouziane campe une ancienne détenue racontant son expérience de l’incarcération. Construit comme un patchwork réunissant différentes paroles de femmes recueillies dans un centre pénitentiaire, la pièce, qui lorgne elle-aussi du côté du « stand-up », compose le portrait attachant d’une communauté tenue à bonne distance de la société, et dont l’incommensurable désir de vivre transcende l’enfermement.
Portfolio 30 décembre 2024
Cinq seul-en-scène qui ont marqué 2024
Le seul-en-scène, exercice singulier et spécifique au théâtre, mérite une place à part tant sa réussite repose sur la performance de son interprète, qui est aussi souvent son propre auteur, parfois même son metteur en scène. Un palmarès arbitraire, éminemment subjectif et quelque peu tronqué cette année, les cinq soli étant dominés par la formidable puissance d'empowerment de Marlène Saldana.
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