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Billet de blog 22 septembre 2021

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Afrique-France : les singeries de l’APE

L’Accord de Partenariat Économique entre l’Union européenne et l’Afrique de l’Ouest est une nouvelle expression de la volonté d’empêcher toute activité à valeur ajoutée de se développer sur ce continent pour pouvoir continuer en toute impunité de le piller.

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C’est dans le prolongement du « Pacte colonial », pudiquement rebaptisé « Accords de coopération » à l’occasion de ce que certains ont appelé les indépendances, que l’Europe s’engage maintenant sur la voie de « l’Accord de Partenariat Économique » (on notera que la formule est de plus en plus aguichante), inspiré de l’Accord de Cotonou de 2000, conclu en 2014 et devant être signé avant la fin de 2021. Mais que propose-t-on à nos anciens moteurs à bananes ?

Illustration 1
Pirogue à Saint-Louis © A.H.G. Randon

Sur le papier, l’APE semblent émaner d’une ONG, tant il paraît philanthropique, ouvrant sans aucune réserve le marché européens aux producteurs africains tout en permettant à ces derniers de n’ouvrir que très progressivement les leurs aux exportateurs européens. Le hic, c’est que les exportations africaines susceptibles de profiter de cette absence de barrières douanières n’existent pas ou concernent des matières premières non transformées que l’Europe pille déjà depuis le début de la colonisation et dont l’extraction ou la production n’a jamais permis à aucun de ces pays « exportateurs » de se développer. On peut citer ici l’exemple de Total, Elf Aquitaine à l’époque (Vidéo : Comment Elf a pillé le pétrole du Congo), mais aussi, plus récemment, du groupe français Eramet au Sénégal (Zircon : 90 % Eramet) ou encore d’Orano au Niger (Orano au Niger : un partenariat pérenne avec de nombreuses années devant lui), et la liste n’est bien entendu pas exhaustive. Dans ce que la Commission européenne comptabilise également parmi les exportations qui profiteraient de cet accord (à lire ici), on trouve également les produits de la pêche ouest-africaine. Le problème, par exemple au Sénégal, c’est que les bateaux européens (mais aussi chinois ou turcs) qui viennent pêcher en eaux sénégalaises en vertu d’accords « équilibrés » et autres licences (voir cet Article) ruinent chaque jour un peu plus le secteur sénégalais de la pêche (dont les acteurs émigrent traditionnellement vers les Canaries, avec leurs pirogues chargées d’autres affamés).

Même en cherchant bien, on ne voit pas beaucoup en quoi cet accord permettrait, comme le prétend la Commission européenne, « d’augmenter les exportations vers l’UE et de stimuler l’investissement, avec un effet positif sur l’emploi » dans la mesure où ces exportations n’ont à ma connaissance jamais été freinées par des taxes excessives. Ces éléments de langage ressemblent fort à ceux dont Macron a largement fait usage dans son discours de Ouagadougou en 2017 (voir ces billets sur Auchan - ici, la Santé - , les BTP - ici). En revanche il est vrai, comme le souligne la Commission, que « l’APE ouvre à l’UE de nouvelles opportunités commerciales », mais n’est-ce pas là, au fond, l’unique objectif ?

Ce que l’Union européenne ne prévoit pas à ma connaissance, c’est de cesser d’exporter vers l’Afrique tous ses surplus et déchets. J’entends par déchets entre autres l’électroménager (qui constitue entre autres un grave problème environnemental), le mobilier, les fripes et autres biens dits « de seconde main » par conteneurs entiers. Pour les surplus, la question est encore plus grave et mérite quelques éclaircissements, que je me propose de vous livrer sur la base de deux exemples : le lait en poudre et la viande.

Le lait en poudre : L’Union européenne déverse ses surplus de lait en poudre en Afrique (et ailleurs je suppose) à prix cassés. Ce lait en poudre vient directement concurrencer la production laitière sénégalaise, dont le cheptel devrait pourtant suffire à rendre le pays autosuffisant. Les perspectives commerciales du lait sénégalais sont bouchées, les transformateurs préférant incorporer dans leurs produits du lait en poudre bien moins cher issu du dumping européen (les 5 % de taxes d’importation, voués de plus à disparaître avec le temps, ne changent rien à l’équation). L’arrivée de lait en poudre européen risque en outre de s’intensifier en raison des surplus accumulés durant la pandémie. Ce problème, déjà ancien, vient justement d’être rappelé par la presse sénégalaise (voir cet ​Article)

La viande : là aussi, les surplus européens viennent perturber le secteur de l’élevage en Afrique. Un document intitulé « Faut-il et peut-on supprimer les subventions à l’exportation » rédigé par Jean-Christophe Bureau, Alexandre Gohin et Vincent Réquillart, signalait déjà ce problème en 2002 : « Si les exportations européennes subventionnées sont appréciées par certains pays en développement importateurs nets de nourriture, qui y trouvent le moyen de s’approvisionner à bon prix, la plupart des pays du Sud y voient également une concurrence déloyale faite à leurs producteurs ». Oxfam d’indignait, également en 2002, du fait que « les producteurs d’Afrique de l’ouest aient à subir la concurrence de viande bovine à des prix ridiculement bas ». Au cours de cette période, l’Europe subventionnait, dans le cadre d’un programme d’aide au développement, les éleveurs burkinabés, ces derniers se plaignant ensuite de ne pas pouvoir écouler leur viande en raison des arrivées massives à Abidjan de surplus européens également subventionnés par l’Europe, mais cette fois dans le cadre de la PAC.

La ratification définitive de cet APE ferait des dirigeants de l’Afrique de l’Ouest les Bourgeois de Calais du XXIe siècle et de leurs terres un champ du commandant.

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