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Billet de blog 10 août 2023

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Le son de l'extrême droite

De « Sound of Freedom » à l'affaire Lola, je vous emmène dans le cheminement qui fait que l'extrême droite a fait main basse sur la thématique de la pédocriminalité. Au-delà d'une simple récupération, nous sommes face à un mécanisme complet et bien rodé. C'est dans les rouages de ce mécanisme que je vous emmène aujourd'hui.

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Après avoir écrit un billet sur le "Body count" (je vous remercie pour vos retours au passage), que vous trouverez ici : (La Maman, la Putain, Thais et le "Body count"), je vais m'attaquer dans ce billet à un autre point d'entrée de l'extrême-droite. Le sujet ne se prête pas vraiment à l'humour donc je vais le traiter d'une manière sérieuse mais la plus simple et compréhensible possible. La thématique numéro 2 des points d'entrée de l'ED est :

« Comment la pédocriminalité est devenue le fer de lance de l'extrême-droite ? »

Les événements de ces derniers temps nous ont montré ce que l'on nomme communément une récupération. Mais là aussi, comme pour le "Body Count", je pense qu'on ne pointe que la partie visible de l'iceberg. Au-delà d'une simple récupération, nous sommes face à un mécanisme complet et bien rodé. C'est dans les rouages de ce mécanisme que je vous emmène aujourd'hui car je pense que pour combattre son ennemi, il faut tout d'abord bien le comprendre.


Pour traiter ce sujet, je vais commencer par vous parler du film Sound of Freedom qui a fait couler beaucoup d'encre dans certains milieux cet été. Même la journaliste Laurence Haïm en a parlé et de surcroît en bien alors que tous les fact-checkeurs ont crié au loup.

Illustration 1

Et on va vite comprendre que tout cela est loin d'être aussi simple et manichéen. Je me suis donc procurée le film et je l'ai regardé afin de pouvoir en discuter ici. Tout d'abord, ce film parle d'une organisation qui démantèle les réseaux pédocriminels. Je vais vous en faire une courte description et son analyse avant d'aborder le sujet de sa production et de sa distribution.

Au niveau cinématographique et cinéphilique, c'est un pur navet. Par navet, j'entends un film lent, très lent, très très lent avec une image standardisée à l'américaine. Ça ressemble à un téléfilm haut de gamme qui pourrait être diffusé l'après-midi sur M6. Je m'attendais à un peu plus d'action mais même pas. Clairement, il manque un scénariste et une maîtrise, au moins pour le transformer en vrai film d'action. Ça démarre sur des gosses au Honduras qui disparaissent après avoir été déposés dans une sorte de casting pour enfants. Suite à cette intro et au moment du générique de début, on voit une série de vidéos semblant issues de caméras de surveillance.

Illustration 2

Là j'ai tiqué parce qu'on est en train de sortir du film pour plonger le spectateur dans un écran parallèle qui nous dit : ça c'est la vraie vie. Je n'ai aucun moyen de connaître le contexte de ces images ni si ce que l'on voit sont des rapts d'enfants ou pas. Je ne peux pas non plus savoir si ces images sont vraies ou si ce sont des reconstitutions volontaires avec une impression de réalité. Par contre le spectateur de base les perçoit comme une réalité affirmée et c'est le but de la manœuvre. Faire croire au départ que ce n'est pas un pauvre film américain mais un film qui vous livre la vérité sur un plateau. Alors non, non et encore non, un film c'est un scénario (même mauvais), une mise en scène, un jeu d'acteur. Je fais ici une parenthèse pour dire que pour chacun de mes films, même si documentaires, j'ai toujours mis en avant le regard subjectif que j'ai pu avoir. En tant que réalisatrice, je n'ai jamais prétendu donner la vérité mais toujours un point de vue, un angle, en l’occurrence le mien.

Ce même procédé d'intégration d'images non traçables se fait également au moment du générique de fin. D'ailleurs j'émets un doute sur le plan où l'on voit débarquer la police, plan pris soigneusement au drone de manière bien artistique. Le réalisateur sépare ces scènes du reste du film, au début et à la fin, en les mettant en noir et blanc. On trouve cet effet chez Nolan dans Oppenheimer quand il met certaines scènes se voulant plus véridique en noir et blanc. Par contre dans Sound of Freedom, ça ne se veut pas plus véridique, ça se veut LA vérité vraie.

Le film s'accompagne d'une musique pleurnicharde et le héros grand et blond se balade beaucoup. Le pédophile du début du film, lui, est petit avec les cheveux gras et pas lavés. On baigne dans le cliché le plus pur du mauvais cinéma. Soit. Ce n'est pas une tare en soi. Des mauvais films, il y en à la pelle.

Illustration 3

La question qui se pose est comment en est-on arrivé à faire croire que ce pauvre film qui ne vaut pas une cacahouète de cinéphile est devenu un succès box office américain ? ($166,258,239) à ce jour) Ce film est un objet faisant croire qu'il est censuré donc qu'il touche des points cruciaux de la pédocriminalité . (spoiler : non, il ne touche rien et il n'est pas censuré, il est juste mauvais et aucun distributeur n'en veut).

Illustration 4

On va maintenant s'attacher à ce que nous dit ce cher Karlito et aller voir un peu du côté de l'historique de production et de distribution du film (qui doivent bien se frotter les mains du retour sur investissement). Tout d'abord l'acteur c'est Jim Caviezel, teint en blond pour les nécessités du film (barbe comprise). Il est surtout connu pour avoir interprété Jésus dans La Passion du Christ de Mel Gibson (l'une des stars préférées de QAnon). Depuis 2021, il est connu pour la promotion des croyances de QAnon. Un peu de patience on y arrive. Il faudra passer par l'Adrénochrome et je m'en excuse à l'avance.

Illustration 5
Jim Caviezel dans Sound of Freedom

Le réalisateur du film est Alejandro Monteverde, connu pour son film Bella qui est un manifeste anti-avortement et distribué par la société chrétienne SAJE distribution. Vous pouvez trouver la critique de Cédric Lépine sur dans le Club de Mediapart. Comme par hasard on retrouve dans le casting de ce film le producteur de Sound of Freedom Eduardo Verástegui, activiste engagé dans la lutte contre l'avortement. Le monde est petit.

L'écriture du film a donc débuté en 2015 et son tournage a eu lieu en 2018, ce qui est un délai très classique dans la production voire relativement court. Les droits de distribution avaient été acquis par la 20th Century Fox. Mais quand Disney racheta la filiale de la Fox, le film tomba dans les oubliettes. La souris aux grandes oreilles aurait-elle censuré ce film si dérangeant ? Il a simplement fait partie de la charrette de plus de 200 films abandonnés pour des raisons économiques. Durant 5 ans donc le film n'a pas eu de distributeur.

En 2023 c'est Angel Studios qui reprend les droits de diffusion internationale (pour une somme inconnue) de cette grande œuvre cinématographique. Comme son nom l'indique, c'est une maison de production chrétienne et plus spécifiquement mormone. Ma foi, rien ne l'interdit, on a bien des épopées vendéennes royalistes financées par le CNC sur l'argent du spectateur (et non pas du contribuable comme certains le disent à tort ).

Comme pour tout film, Angel a mis à disposition le dossier de presse que vous pouvez consulter ici :
> Dossier de presse

Vous avez aussi le site suivant où l'on trouve le détail du financement pour la seule distribution, en grande partie un financement participatif :
> Détail du financement

5 millions de dollars (à 14 dollars près) ont été financés par seulement 6.678 personnes ce qui nous fait un don moyen de 748 dollars, ce qui n'est quand même pas rien. Je fais une aparté, en disant que c'est dans ce lot de financeurs qu'un pédophile s'est planqué. C'est un funder (financeur) et non pas un foundeur (créateur) comme cela a été dit à tort par certains.

Sur le site d'Angel Studios, vous trouvez leurs autres œuvres, dont des dessins animés et des programmes chrétiens entre autres. Ils vendent une série de goodies, du tee-shirt au mug également. On se rend compte quand même que derrière c'est un gros truc et c'est pas le petit producteur d'art et d'essai d'Europe de l'Est qui fait des films en noir et blanc. Encore une fois, rien de mal là-dedans, il faut accepter les règles du jeu et donc que quiconque puisse s'exprimer via des films. Y a bien des comédies avec Christian Clavier qui se font encore.

Donc jusqu'ici, à part qu'idéologiquement ça ne colle pas et que c'est nul d'un point de vue de cinéphile, on ne peut pas en dire grand-chose à première vue.

Nous allons maintenant nous intéresser au sujet principal du film qui est Tim Ballard. C'est d'ailleurs lui qui a personnellement demandé à ce que son rôle soit joué par Tim Caviezel. Tim Ballard c'est un peu un super-héros qui au nom de Dieu et des enfants, s'est consacré à la lutte contre la pédocriminalité. Jusque-là, qu'il soit de droite et chrétien mormon ne change rien à son action et nous ne pouvons pas critiquer l'idée en tant que telle, cela serait malhonnête intellectuellement. Il a été conseiller de Trump sur le sujet mais là aussi, on serait en mal de critiquer car pour changer les choses il faut bien se farcir le président en cours.

Illustration 6
Tim Ballard entouré des acteurs de Sound of Freedom Jim Caviezel et Mira Sorvino

Tim Ballard rame depuis un moment pour se faire connaître médiatiquement par le plus grand nombre. Sa société, Operation Underground Railround, a un beau budget communication et événementiel.

Illustration 7
Déclaration IRS de OUR

Sur le site de la société, on voit que Ballard n'est pas à son coup d'essai cinématographique. Avant Sound of Freedom, il y a deux autres films du genre documentaire : The Abolitionist et Opération Toussaint. Vous pouvez acheter le DVD ainsi que, ici aussi, des Goodies (vous avez même des paires de boucles d'oreilles...). Voici le lien : https://ourrescue.org/films

Illustration 8

Ces films sont promus par notre ami Karlito en France mais aussi par "Egalité et Réconciliation" ainsi que par les scientologues. Outch ça fait mal.

Illustration 9

On s'en doutait un peu quand même. Avec tout ce bagage, un scénario faiblard pour ne pas dire nul, il est évident que ce Sound of Freedom était difficilement finançable et surtout difficilement distribuable en salles. Il fallait se créer une communauté pour le faire. Et c'est ce qui a été fait.

Et c'est là que l'on revient sur l'adrénochrome. Car Tim Ballard, tout comme Jim Caviezel, a tenu des propos expliquant que le trafic d'enfants servaient pour de l'adrénochrome. Et là d'un coup le super héros devient très chelou et on commence à douter de ses bons sentiments. De plus, il a été accusé de mettre en scène des fausses actions pour se mettre en valeur et récolter des fonds. Vice a fait un très bon boulot d'enquête qui montre un visage beaucoup moins angélique du personnage et de sa société.
> Dossier de Vice (EN)

Mais qu'est ce donc que l'adrénochrome ? Alors là on rentre dans le dur. Selon Wikipédia, « L’adrénochrome est un composé hétérocyclique à deux noyaux de la famille des indoles de formule C9H9NO3. C’est un pigment biologique bleu issu de l’oxydation de l’adrénaline. Certains collyres contenant de l’adrénaline peuvent provoquer à long terme l’apparition de dépôts sombres d’adrénochrome dans la cornée. »

Concrètement, ce délire est parti d'un livre, puis du film éponyme, Las Vegas Parano où le personnage prend cette drogue. C'est ainsi qu'a commencé le délire du trafic d'adrénochrome. On kidnapperait des enfants afin de leur extraire la substance qu'une riche élite mondiale s’inoculerait et qui maintiendrait sous silence la disparition des enfants. Jusque-là ça ressemblait à une fable monstrueuse jusqu'à ce que QAnon propage ce mythe. Nous discuterons dans un prochain billet de comment QAnon a réussi à convertir une partie de la population y compris la française. Notons que la majorité des gens qui soutiennent Sound of Freedom ne sont pas dans le délire de l'adrénochrome mais plutôt dans la peur du pédocriminel. C'est trop facile de caser tout le monde dans la case illuminé et c'est une grosse erreur de jugement que de le faire. Le pédocriminel existe bien, lui, à la différence de l'adrénochrome.

Tout d'abord le trafic d'enfants, qui existe bien entendu pour divers causes dont essentiellement la pédophilie prend plusieurs formes tout au long de l'histoire de l'humanité. Je vais vous parler de quelques mythes et de quelques traditions barbares avant de décortiquer les faits-divers qui ont forgés la peur dans la mémoire collective.

Illustration 10

On va commencer par des traditions qu'on peut aisément qualifier de primitives malgré le fait de civilisations structurées. On peut d'abord citer les Incas qui sacrifiaient les enfants lors de cérémonies rituelles. La pureté en tant qu'offrande aux Dieux existe également dans la Grèce antique avec le mythe du sacrifice de la jeune fille vierge par le père.

Pureté et enfance sont deux notions intimement liées. Elles se sont transformés en d'autres formes de sacrifices, moins sanglants tel le sacrifice de sa sexualité dans le cas des Vestales puis dans celui des prêtres, moines et nonnes. Le principe est le même mais la mort physique en moins. La société a transformé sa soif de sang en soif de maîtrise du corps, soif sacrificielle dans les deux cas, sacrifice de la pureté et de l’innocence.

Un peu plus tard dans l'Histoire, on retrouve de nouveau le mythe sacrificiel associé à l'image du « Juif » qui devient mangeur d'enfants.

Mais au-delà de cette vision du sacrifice rituel, on trouve la peur de l'étranger qui elle aussi est tenace. En tout premier lieu, on la trouve dans l'Ancien Testament avec le Pharaon qui commet un génocide sur les enfants Hébreux mâles. Moïse en réchappe. C'est le mythe de l'étranger dans son propre pays, qui résonne bizarrement aujourd'hui avec certaines paroles d'Extrême-droite. Nous sommes chez nous mais ils tuent nos enfants.

Le concept génocidaire se retrouve même dans les paroles de la Marseillaise :

« Entendez-vous dans les campagnes
 Mugir ces féroces soldats ?
 Ils viennent jusque dans vos bras
 Égorger vos fils, vos compagnes »

Plus récemment encore, on trouve la peur du gitan, celui qui vole les poules et kidnappe les enfants. Derrière le bohémien on trouve là aussi une rhétorique particulièrement nauséeuse car on vole l'enfant car il est blond, donc dans l'imaginaire beau et objet de convoitise. On s'inscrit dans une extension du génocidaire car cela touche une catégorie de la population : le prétendu enfant blond. À ce sujet, Je vous laisse lire cet excellent article sur France Info.

Le sacrifice génocidaire c'est l'image de l'étranger venu tuer et piller, image qui s'inscrit dans le narratif cher aux nationalistes.

Le sacrifice d'enfants rituel ou génocidaire est donc quelque chose qui effraie l'humanité depuis son origine ou presque. À ces deux éléments fondateurs, s'ajoute la figure du pédocriminel isolé.

Un des faits divers qui a forgé cette peur, c'est celui de la Bête du Gévaudan. Décrite comme un animal sanguinaire, la Bête s'attaque en priorités aux jeunes adolescent.e.s et aux femmes et ce entre le 30 juin 1764 et le 19 juin 1767. Un bref récapitulatif de l'histoire ici.

Illustration 11
Estampe coloriée, vers 1765. © Magné de Marolles, BnF

Beaucoup de théories se sont affrontées sur la nature de la Bête du Gévaudan mais celles qui me semblent les plus plausibles sont soit celle d'un homme s'est déguisé en bête soit celle d'un homme qui a utilisé un loup pour bloquer sa victime. À mon sens, on est face à une affaire purement pédocriminelle car aucun loup ne peut décapiter ses victimes, de surcroît sélectionnées parmi une majorité de jeunes adolescent.e.s. Le mode opératoire interroge forcément. À l'époque on ne parlait pas forcément de viol et encore moins de pédocriminel. La représentation du pervers en animal n'est pas non plus nouvelle vu que dans la mythologie on retrouvait l'image du Satyre aux sabots de bouc, satyre ensuite transformé en diable. Pour revenir au loup, il y a bien entendu la figure de celui qui se trouve dans Le Petit Chaperon Rouge et qui est une métaphore du viol d'enfant. On parle dans le langage commun d'hommes prédateurs, de loups.

Illustration 12
Le Petit Chaperon Rouge © Jessie Willcox Smith, 1911

Après un XIXe siècle émaillé par les attaques de loups en Europe et Grimm qui a fait une reprise du petit chaperon rouge, on commence à parler au début du XXe siècle des affaires pédocriminelles qu'on ose explicitement nommer. On peut citer un des premiers faits divers explicite, celui des « Petites martyrs de St Etienne ». C'est Le Petit Journal, dans son édition du 06 janvier 1910, qui aborde l'affaire. Cela reste un petit encart au milieu d'autres encarts. On y parle à mots couverts de l'abus sexuel du beau-père mettant d'abord en avant les sévices occasionnés par la mère. Je vous laisse lire l'encart en photo ci-dessous :

Illustration 13
Le Petit Journal - 06/01/1910 © Gallica

Je vous ai parlé plus haut de l'image mythologique du satyre qui a été reprise par La Dépêche, également en 1910, pour nommer sa rubrique dédié aux violeurs, pédocriminelles et aux attentats à la pudeur. C'est donc clairement à partir de cette période que la presse s'empare du sujet. Anne-Claude Ambroise Rendu en parle très bien dans Un siècle de pédophilie dans la presse (1880-2000) : accusation, plaidoirie, condamnation :

« Il n’est donc pas absurde d’imputer la recrudescence de ces récits dans la presse à un recul du seuil de tolérance à l’égard de ce type de criminalité. La presse enregistrerait ainsi l’indignation croissante éprouvée un peu partout devant les crimes sexuels, particulièrement lorsqu’ils sont commis sur des enfants. Elle se ferait ainsi l’écho presque direct d’un éveil des sensibilités qui conduit à multiplier les dénonciations. »

Illustration 14
André Le Troquer

Une des premières grandes histoires pédophiles qui secoue la presse en 1959 c'est « l'affaire des Ballets Roses », une sombre histoire d'abus sexuel sur des gamines embrigadées grâce à des faux castings et impliquant André Le Troquer, ancien président de l'Assemblée Nationale, ce qui n'est pas rien. Le faux casting est exactement le début du film Sound of Freedom. Dans l'histoire des Ballets Roses, l'implication d'un homme politique met en jeu le pouvoir donc l'élite. On sort du pédocriminel violent et inéduqué de l'affaire des Martyrs de Saint-Étienne et on rentre dans l'ère de la pédocriminalité générée par une classe sociale élevée.

En somme pour résumer, on est passé doucement de l'image de l'animal à celui de l'homme violent et primaire pour enfin arriver à l'homme éduqué en habit de velours.

C'est dans ce contexte qu'une rumeur s'amplifie à la fin des années 60, celle des parties fines de Claude Pompidou. Ici, on ne parle pas de pédophilie mais de « partouzes » et d'un sombre meurtre pour cacher des clichés compromettants. C'est l'affaire Markovic impliquant le garde du corps d'Alain Delon. On rentre dans la théorie de la perversion sexuelle des élites et du show-biz.

Réalité ou théorie du complot, dans le fond personne ne sait vraiment et cela n'a pas empêché l'élection de Georges Pompidou. On voit bien ici que tout cela n'est pas une nouveauté et que le roman pédocriminel s'étoffe au fur et à mesure du temps.

Illustration 15
Edward Brongersma

Arrivent les années 70 et là on change de discours. On passe de la pédophilie c'est abjecte à la pédophilie comme concept de développement de l'enfant. C'est aux Pays-Bas que se développe le courant d'Apologie de la pédophilie via les propos d’Edward Brongersma, docteur en droit et sénateur, et Frits Bernard, psychologue. Là où ça fout mal c'est que Brongersma fait partie du parti travailliste néerlandais et que tout le courant qui a suivi a brandi fièrement l'étendard de la gauche.

C'est ainsi que, petit à petit, on arrive à la pétition de la honte, en réaction à un procès, signée par Matzneff qui s'intitule « L'enfant, l'amour, l'adulte », sortie le 26 novembre 1977 dans les pages du Monde et ensuite du Libération de Serge July. Ce même Libération qui a employé à partir de 1975, et ce durant 20 ans, le journaliste Christian Hennion, arrêté en 1997 par Interpol au Cambodge et condamné pour pédophilie. Dans son hommage en 1999, Serge July évoquera pudiquement son côté voyageur et son passage par les "prisons khmères". C'est seulement en 2020, après le livre de Vanessa Springora, que le quotidien reconnaitra ouvertement avoir employé et protégé un journaliste pédophile.

On retrouve d'ailleurs la signature de Christian Hennion sous cette pétition aux côtés de celles de Bernard Kouchner, Jack Lang, Sartre et Beauvoir ainsi qu'André Glucksman, Roland Barthes et tant d'autres. À partir de là, en France, la gauche socialiste a signé son arrêt de mort dans le débat pédophile.

Le retour de la pédophilie en une de la presse se fait avec deux affaires, celle de Dutroux d'abord en 1996 puis celle d'Outreau en 2004. Leur point commun, c'est que cela impliquerait des élites locales voire nationales. La peur du pédophile revient dans les foyers. Pauline Beugnies, une excellente photo-journaliste et réalisatrice que je connais, a fait un film documentaire, intitulé Petites, sur le traumatisme occasionné par l'affaire Dutroux au sein des enfants de cette génération. C'est une des rares qui a abordé l'aspect émotionnel et la mémoire traumatique de l'affaire en population générale. Voici l'interview de Pauline sur le site de TV5 Monde.

Je vous invite vraiment à voir son documentaire car il a le grand, grand mérite de soulever un angle qui ne l'est jamais. Et j'insiste vraiment sur cette approche du traumatisme de la population car ces enfants aujourd'hui ont grandi avec la peur du loup (on y revient) caché dans le placard. Sauf que ce loup là a un visage et un nom, celui de Dutroux.

Illustration 16
Marc Dutroux

Et chaque pays a connu des grandes affaires pédocriminelles aux mêmes époques, affaires qui continuent encore de nos jours comme par exemple avec l'affaire Epstein et Maxwell. Alors ces anciens enfants devenus adultes ont toujours cette peur qui est ancrée. Les infos régulières de meurtres ou de disparition d'enfants font toujours un écho violent en eux.

C'est sur ce fond que l'extrême droite s'est judicieusement positionnée en omettant par ailleurs sciemment les scandales pédophiles de l’Église. Et comme l'extrême-droite se positionne auprès de personnes fragilisées en appuyant là où ça fait mal et où ça fait peur, ça ne permet pas à la personne fragilisée de se rendre compte de cette dissonance cognitive entre un discours anti-pédophile et un silence sur les crimes de l’Église.

Les différentes affaires pédocriminelles qui ont secoué la planète depuis bientôt presque 30 ans ont donc à mon sens créé une génération entière traumatisée par cette réalité. Ces enfants choqués sont devenus à leur tour parents et ont reporté cette peur sur leurs enfants. De plus, cette pédocriminalité continue à se développer via le dark web et Le Monde a consacré un très bon dossier sur les nouvelles pratiques criminelles.

C'est donc sur tout ce fond historique que l'extrême-droite, aussi bien américaine que française, s'est positionnée comme défenderesse de l'enfant. Sound of Freedom n'étant qu'un moyen comme un autre de toucher le plus de monde possible. Mais un des buts de tout cela est de revenir également sur l'éternel obsession de l'immigration telle qu'on l'a vue dans l'ignoble récupération du meurtre de Lola. Tout ceci fait oublier l'horreur pédophile de l’Église catholique. N'oublions pas que notre cher Karlito, voix des enfants, est aussi et surtout un fervent chrétien qui reste bien muet sur certains points. Je noterais, par honnêteté intellectuelle, qu'il a diffusé en 2010 dans le cadre de son émission Faits Karl Zéro sur 13e Rue le documentaire de Colm O’Gorman intitulé Vatican : la conspiration du silence. Toutefois les paroles qu'il a tenues ensuite sont très problématiques. Je vous laisse en juger par vous-même :

« L’Église catholique au moins a fait l’effort de s’attaquer au problème, ces dernières années. Il y avait des réseaux constitués au sein de l’Église, et sous Jean-Paul II, la loi du silence était de mise. Mais depuis, ils ont réussi à nettoyer les écuries d’Augias. Pour ça, je leur dis bravo. Ce n’est pas le cas de tous les « cultes ». Je pense à certaines loges de la franc-maçonnerie, par exemple. »

L'église se recrée donc une virginité via l'Extrême-droite qui ne cesse de rappeler à la gauche ses égarement de 1977. Deux poids, deux mesures. Aux USA, on assiste également à la même manœuvre en ne parlant que de Hunter Biden mais en mettant sous les fagots la proximité de Trump avec Epstein. N'oublions pas que Ballard était conseiller de Trump. Et la boucle est bouclée.

Le plus dégueulasse dans l'histoire c'est bien entendu qu'il existe des affaires pédocriminelles et qu'il est hors de question que ces affaires deviennent l'apanage et l'étendard de l'Extrême-droite et de sa politique nauséabonde.

Mais au-delà de l'intérêt présumé porté aux enfants par l'extrême-droite, c'est aussi et surtout l'appareil d’État que l'on vise car l'angle le plus choisi est celui de la pédophilie des élites et du show-biz. C'est donc là qu'on touche aux bulletins de votes et aux urnes. On décrédibilise également le milieu du cinéma, on pratique une espèce d'autodafé littéraire et artistique faisant croire que les artistes sont vecteurs de pédophilie comme cela a été le cas pour l'exposition de Miriam Cahn.

Illustration 17
Miriam Cahn

Pour petit rappel, cette exposition traitait des viols en Ukraine commis par les soldats de Vladimir Poutine. Comme par hasard, la polémique part de nouveau de Karlito puis est reprise par le RN. Le tribunal administratif de Paris a clairement tranché en validant le fait que « le tableau n'a pas de caractère pédopornographique » et qu'il a été clairement sorti de son contexte. Ceci bien entendu aura pour effet de dire que la justice est au service d'élites pédosatanistes dont Zelenski serait une figure. Je pense que l'intérêt réel des enfants est bien loin et qu'on baigne en plein dans une idéologie qu'on fait insidieusement rentrer dans le crâne de personnes fragilisées. "Body count" et pédocriminalité sont plusieurs faces du même combat, celui de l'Extrême droite. C'est également dans le même esprit que l'on combat les films d'auteurs et toute réflexion qui apporterait aux gens des éléments de compréhension et de réflexion ; sauf les films et la littérature idéologiques conseillés tels Sound of Freedom. Et tout cas ceci marche du tonnerre de Dieu car le capitalisme de plus en plus effréné demande du profit. Alors clairement, un film comme celui de Pauline Beugnies ça n'apporte pas de profit à l'encontre d'un film comme Sound of Freedom qui lui a explosé au box office américain ($166,258,239). C'est là où l'on se rend compte que le capitalisme favorise l'émergence d'idéologies descendantes en ligne directe de celle du Troisième Reich, tout ça sous couvert de défense des droits humains et des enfants.

Là aussi comme dans mon article précédent, je veux souligner à quel point l'Internationale de l'Extrême-droite est une pieuvre tentaculaire qui se positionne dans chaque pays avec les mêmes angles d'attaques orientés vers les fractures et les peurs personnelles de chacun. Nous sommes face à un projet politique d'envergure avec des mécanismes et des rouages bien réfléchis et bien huilés. Nous ne sommes plus à l'ère du vieux Borgne, nous devons donc lutter autrement et surtout bien analyser et comprendre les mécanismes de propagation dans la société. Nous devons décriminaliser le voisin, l'ami ou la belle-sœur qui veut voir ou qui est sensible à Sound of Freedom et nous devons attaquer la machine de guerre qui est derrière. Nous devons continuer à écrire, produire des films, à discuter sans rentrer dans le jeu stupide de désigner l'autre comme un imbécile complotiste mais en admettant ses fractures et en comprenant pourquoi nous n'avons pas réussi à répondre aux peurs de manière sensée. Nous devons redéfinir notre manière de combattre l'extrême-droite du tout au tout car force est de constater qu'elle est en train de ronger profondément notre société.

Dans les prochains billets j'aborderai différents sujets tels que la trans-identité, la crise sanitaire, le contrôle social à la chinoise ainsi que l'Ukraine. Tous ces sujets sont des points d'entrée de l'extrême-droite et méritent d'être traités et reliés.

Force à vous, on ne lâche rien, on continue, on réfléchit, on échange et on avance !

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> Transidentité Vs Identitaires, l'étrange obsession

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