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Billet de blog 30 mai 2023

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Pétain : Macron a tort sur toute la ligne

Emmanuel Macron a taclé Elisabeth Borne après que celle-ci ait qualifié le RN de "parti héritier de Pétain". Mais pourquoi le président Renaissance s'acharne-t-il à dédouaner l'extrême droite de ce qu'elle par essence ?

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Texte tiré d'une chronique lue sur le plateau de l'Émission Populaire le 30 mai 2023.

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Quelques lignes ce soir sur un échange un peu lunaire qui a eu lieu aujourd’hui, à distance, entre Emmanuel Macron et sa première ministre Elisabeth Borne.

Tout commence ce dimanche 28 mai, dans une interview lors de laquelle Elisabeth Borne s’en prend au Rassemblement National, parti d’extrême droite, qu’elle qualifie de “parti héritier de Pétain”. Une sortie qui a fait réagir jusqu’à Marine Le Pen, qui n’a bien sûr pas manqué de pleurer de grosses larmes de crocodiles, vexée et outrée par une telle attaque… évidemment, la dédiabolisation à fond la caisse.

Jusque là, deux choses. D’abord, on se dit que ce qu’a dit Borne n’est pas faux… et on se demande ensuite pourquoi, si la Première Ministre est consciente de ce qu’elle dit, les macronistes acceptent de dealer avec les députés RN à l’Assemblée nationale, après en avoir fait élire des dizaines face à des candidats NUPES en juin 2022, et pourquoi Macron et ses amis reprennent les mots et les expressions venant de l’extrême droite, ce qui a encore eu récemment lieu avec le terme de “décivilisation” dans la bouche du président de la république.

Eh bien... voici sûrement la réponse ! Figurez-vous qu’aujourd’hui, le 30 mai, Emmanuel Macron a sèchement recadré Borne lors du Conseil des ministres, estimant qu’il fallait je cite “éviter les jugements moraux” et “les mots des années 1990” lorsqu’on parle du Rassemblement National. Si certains se demandaient encore pourquoi une vilaine sensation de porosité entre la macronie et l’extrême droite les dérangeaient depuis quelques temps déjà, ils ont maintenant l’explication.

Macron a tort sur toute la ligne

D’abord, il faut dire que Macron a tort sur toute la ligne concernant le RN, en rappelant que le RN compte parmi ses fondateurs de nombreuses figures de la collaboration avec l’Allemagne nazie, comme Pierre Bousquet (volontaire dans la division Charlemagne qui regroupait des Waffen SS français) ou François Brigneau (milicien du gouvernement Vichy). Collaboration précisément décidée, organisée et mise en place par un certain… Philippe Pétain.

Rappeler également que Jean-Marie Le Pen, longtemps à la tête du RN lorsqu’il s'appelait “Front National”, fut entouré toute sa carrière par des fascistes, comme Victor Barthélémy, bras droit de Doriot, André Dufraisse, membre du parti de Doriot et volontaire pour se battre avec la Wehrmacht, d’où son surnom de “Tonton Panzer” ou encore Paul Malaguti, auxiliaire à la gestapo jusqu’à août 1944.

Marteler enfin que les stratégies du RN ne sont que les adaptations modernes des stratégies classiques de l’extrême droite dans l’Histoire, allant de la dénonciation d’ennemis de l’intérieur et de traîtres à la patrie, utilisant ainsi le terme “islamo-gauchisme” aujourd'hui comme les fachos des années 30 parlaient de “judéo-bolchévisme”, à l’affirmation d’un clivage profond entre la France rurale et celle des traîtres, passant de “la IIIème République, la gauche et les juifs” par le passé à “ la gauche, les woke et les immigrés” aujourd’hui. Une stratégie d’ailleurs elle-même pensée et largement utilisée par… Philippe Pétain, qui clamait en son temps que “la Terre, elle, ne ment pas”, en opposition avec les gauchistes des villes, qui, eux, mentaient et complotaient.

Bref, la démonstration est faite : Macron se trompe lourdement et dédouane l’extrême droite de ce qu’elle est pas essence. Mais la question intéressante à se poser ici, est de savoir quel intérêt pourrait bien y trouver le chef de l’État ?

Fin stratège, Macron pense réaliser un coup double... ou pas.

D’abord, en créant de toutes pièces une polémique stérile, une opposition factice sur le sujet avec Elisabeth Borne, il veut avant tout faire du bruit sur la lutte contre l’extrême droite. Accusé d’autoritarisme et de complaisance vis-à-vis de Le Pen, Bardella et leurs amis, il tente de reprendre un beau rôle sur le sujet, qu’on parle de lui comme un barrage à l’extrême droite.

Et ce faisant, il tente également d’enfiler le costume de la raison, de la mesure, justifiant ses dires par un souci d’efficacité. Une nouvelle façon, donc, de s’en prendre à son opposition de gauche, de remettre en question sa méthode, son action, et donc… de lui faire porter le chapeau. Comprenez : si l’extrême droite progresse, ce n’est pas la faute du pouvoir en place, mais bien celle de ceux qui la combattent ! Et voilà comment Macron pense, avec cette rhétorique grossière et abjecte, se placer une fois de plus comme seul rempart face au chaos, mettant ainsi dos à dos la gauche et l’extrême droite. Rien de bien nouveau, et plutôt logique de sa part : élu 2 fois grâce au rejet de Le Pen, Macron sait combien le RN est la meilleure assurance-vie du système libéral et de ses candidats, et sait aussi qu’il a besoin d’un RN fort pour espérer garder le pouvoir.

Problème : entre 2017 et 2022, les 5 années du premier quinquennat Macron, le RN a gagné plus de 2 millions de voix au premier tour de l’élection présidentielle et compte aujourd’hui 88 députés. Macron n’est donc pas en mesure de donner de leçon, à qui que ce soit, sur la lutte contre l’extrême droite.

Pire, en reprenant ses concepts, ses mots, en acceptant de dealer avec lui à l’Assemblée nationale et en le traitant comme un parti d’opposition comme un autre, Macron est l’artisan principal de la dédiabolisation du RN, qu’il contribue à renforcer et à crédibiliser dans l’opinion. Mais est-ce bien étonnant, venant de quelqu’un qui était à deux doigts de réhabiliter Pétain en 2018 ?

Du barrage à l’autoroute, Macron semble avoir changé de chantier vis-à-vis de l’extrême droite. Et message de service à Elisabeth Borne : vous voulez lutter contre le RN ? Cessez de mépriser l’Assemblée, cessez de mépriser les Français, cessez de passer constamment en force, cessez de réprimer violemment les manifestants. Partagez les richesses, financez les services publics, faites la planification écologique. Bref, partez vite et laissez-nous faire.

Bastien PARISOT
@BastienParisot

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