Pour en revenir au choc que j’ai éprouvé, il est dû au traitement médiatique de ce qui se passe en ce moment au Proche-Orient. Certes les informations ne manquent pas mais au nom de la lutte contre l’antisémitisme nous sommes prévenus : gare à ceux qui critiqueraient l’État d’Israël.
Dire qu’il y a quelques années, alors qu’apparaissaient des autocollants avec l’inscription : « Marre d’être traité d’antisémite lorsque je critique Israël », je conseillais d’ignorer ces accusations d’antisémitisme. À celui qui m’en montrait un exemplaire, je faisais remarquer que cette seule phrase, en mettant l’accent sur l’accusation d’antisémitisme dont il faudrait se défendre, empêchait la critique du gouvernement israélien, contrairement à ce qu’il croyait. Pourquoi ? Parce qu’au lieu d’attirer l’attention sur des faits qu’il y aurait à reprocher à cet État, elle interrogeait les motivations de celles et ceux qui s’adonneraient à une telle critique. En ces temps déjà lointains, alors que M. Netanyahou démontrait le peu de cas qu’il faisait des accords d’Oslo[i], je ne voyais pas l’urgence qu’il y avait à refuser cette épithète, préférant que l’on mette de l’énergie pour que cesse enfin cette guerre.
À notre époque, depuis l’épouvantable massacre du 7 octobre commis par le Hamas, il est difficile d’ignorer la riposte hallucinante d’un gouvernement Israélien qui s’emploie à massacrer un maximum de palestiniens. Il est difficile d’ignorer les projets de ceux qui sont au pouvoir en Israël depuis la fin des accords d’Oslo, ces accords qui avaient été symbolisés par la poignée de main entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat en 1993. Bref il vaudrait mieux ne pas attendre pour se soucier du sort des palestiniens et tant pis s’il y a des gens d’assez mauvaise foi pour crier à l’antisémitisme. Cette instrumentalisation n’est pas nouvelle et parfois elle peut même prêter à sourire lorsque certaines personnes, certains partis se déclarent soudain amis des juifs. Comment se fait-il que cette accusation d’antisémitisme ait un tel effet de nos jours, comme si nous étions en train de vivre sous l’Occupation ? Je n’ai pas la réponse mais je déteste cette utilisation malsaine de ce qualificatif.
Ce qui ajoute de l’intérêt à cette histoire – la découverte d’affiches datant de la révolution russe, c’est le lieu où elle s’est déroulée. Cette promenade est réellement ce qu’on appelle un lieu de mémoire[ii]. Mais la mémoire de quoi, de qui ? Impossible de le savoir sans faire une enquête. Les chapiteaux étaient installés sur les allées Maillol nouveau nom de la promenade des Platanes en hommage au sculpteur Aristide Maillol. Il s’y trouve une statue de femme nue œuvre de ce sculpteur, la baigneuse drapée. Ces allées vont de l’espace Dina Vierny à la statue, encore une femme nue en bronze, « hommage de la Ville de Perpignan au Maître Pau Casals ». Pablo Casals était un violoncelliste célèbre, catalan antifranquiste et antifasciste[iii]… Dina Vierny, née à Kichinev de famille « juive russe », était connue comme « la Muse d’Aristide Maillol » et son exécuteur testamentaire. Quant à Aristide Maillol il aurait, grâce à ses relations, sauvé Dina Vierny de la déportation[iv]. Et me voilà ramené à ma perplexité face à ces affiches. Je savais qu’un certain nombre de juifs comme Zinoviev, Kamenev, Trotsky[v] s’étaient trouvé à l’avant-garde de combats émancipateurs, mais jamais je n’avais entendu parler de campagne contre l’antisémitisme en Union Soviétique. Par contre j’avais entendu parler d’épouvantables pogroms qui avaient eu lieu avant la révolution d’octobre, en particulier ceux de Kichinev[vi]. Et ma mère me disait que sa mère à elle, née en 1882, avait dû courir devant les cosaques lorsqu’elle résidait à Saratov.
[i] Lire par exemple cet article du Monde publié le 04 avril 1997 : M. Nétanyahou, l'homme qui fait ce qu'il dit. Benyamin Netanyahou était premier ministre d'Israël de 1996 à 1999.
[ii] Selon Pierre Nora : « Les lieux de mémoire, ce sont d’abord des restes. La forme extrême où subsiste une conscience commémorative dans une histoire qui l’appelle, parce qu’elle l’ignore. (…) Musées, archives, cimetières et collections, fêtes, anniversaires, traités, procès-verbaux, monuments, sanctuaires, associations, ce sont les buttes témoins d’un autre âge, des illusions d’éternité. (…)» Pierre Nora, sous la direction de. Les lieux de mémoire, vol. 1, Paris, Quarto-Gallimard, 1997.
[iii] Dans ce cas particulier je peux dire que j’avais entendu parler de Pablo (Pau) Casals : nous avions à la maison le disque du concert qu’il avait donné à Prades, en 1952, avec Isaac Stern et Myra Hess le Trio pour piano et cordes no 1 en si majeur opus 8 de Brahms.
[iv] Dina Vierny, Histoire de ma vie racontée à Alain Jaubert, Gallimard, coll. « Témoins de l’art », Paris, 2009.
[v] Léon Trotsky, Sous le signe de l'affaire Beylis, «Die Neue Zeit», magazine mensuel du Parti social-démocrate d'Allemagne, le 28 novembre 1913. https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1913/11/beilis.htm
[vi] « Les pogroms de Kichinev sont deux émeutes antisémites qui se sont déroulées à Kichinev/Chișinău, capitale de la Bessarabie alors russe (maintenant capitale de la Moldavie) les 6 et 7 avril 1903 et les 19 et 20 octobre 1905. Ils font partie des deux vagues de pogroms, la première due à des journalistes antisémites, la seconde à l'antisémitisme du clergé orthodoxe, qui ont simultanément endeuillé Odessa et plusieurs shtetls de Podolie. » https://fr.wikipedia.org/wiki/Pogroms_de_Kichinev