A lire, ci-dessous, une part du témoignage de l'incontournable chercheur et journaliste Bruno Paes Manso sur le parcours de Guilherme Derrite, secrétaire d'État à la sécurité publique de l'État de Paulo. L'effarement, après les trois épisodes précédets narrés dans ce blog, ne peut que nous glacer le sang, à nouveau. Il y a 45 millions d'habitants qui sont gouvernés par le bolsonariste Tarcisio de Freitas, élu en janvier 2023 et qui a nommé Derrite.
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" Guilherme Derrite, comme Bolsonaro, a eu une carrière militaire marquée par la punition. Lieutenant, il a perdu du prestige à cause de son volontarisme dans les rues, ce qui l'a amené à être impliqué dans plusieurs affaires d'homicide. L'adrénaline des fusillades, des courses-poursuites et des meurtres le fait vibrer, une vision démodée qui renvoie à la police militaire brésilienne, brutale et cruelle, des années 1980. Derrite a commencé à partager ses opinions sur les médias sociaux, a gagné en popularité parmi les électeurs d'extrême droite et a été élu à l'assemblée nationale fédérale en 2018. Nommé à la tête du secrétariat d'Etat à la sécurité publique de São Paulo, il a réussi à mettre en œuvre sa volonté de partir en guerre et s'est vengé dès le début de son mandat, en janvier 2023, des officiers légalistes qu'il considérait comme ses persécuteurs.
Lors d'interviews sur YouTube, dans des podcasts, Derrite ne s'est jamais lassé pas de raconter des incidents qui se sont soldés par la mort de suspects. Il a été le protagoniste d'au moins cinq d'entre eux. . Il considère ses anciens partenaires comme des héros, des « légendes » comme « Gomão, Badanai, feu le sergent Frederico, Rogerinho, feu Luizinho, qui est mort en faisant des petits boulots, feu Pontual, mon frère ». Il est constamment en alerte tout au long de la conversation et se montre inquiet lorsqu'il entend des bruits à l'extérieur du studio. Il porte un chargeur et des munitions supplémentaires pour son pistolet Glock, qu'il sort de sa ceinture pour le montrer pendant les interviews... Lorsqu'on lui demande si son arme est verrouillée, il répond qu'elle ne l'est jamais car on ne sait pas ce qui peut se passer en une fraction de seconde.
Tout en racontant avec enthousiasme ses aventures en tant qu'officier, Guilherme Derrite ne cache pas sa frustration face au manque de reconnaissance tout au long de sa carrière. Tout d'abord, lorsqu'il a échoué au test psychologique de la police et qu'on lui a dit qu'il ne serait jamais policier en raison de son profil. Cet échec à ce test lors de son premier concours à la police militaire, il s'en est longtemps vanté, avec orgueil, sur le web, dans toutes ses interviews.
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À l'âge de 24 ans, il a tenté de réaliser son rêve en rejoignant le bataillon Rota, qu'il considérait comme « l'équipe brésilienne » de la police. Il n'a pas été accepté en raison du nombre élevé de meurtres figurant sur son CV, ce qu'il considérait comme une preuve de son courage et de sa volonté de patrouiller. Il a été profondément déçu. « Tu n'es pas un exemple pour devenir policier. Tu ne travailleras jamais au bataillon Tobias Aguiar », a déclaré le commandant qui l'a rejeté. Derrite raconte qu'il espérait trouver à la tête de la Rota un officier doté de « pouvoirs spéciaux », plus fort que « Batman et Rambo », mais qu'il s'est retrouvé face à une « roda presa », terme argotique désignant les officiers de police qui répugnent à la confrontation et la fusillade.
Il a finalement été accepté lorsque le colonel Paulo Adriano Telhada a pris le commandement de la Rota en 2009. Comme Derrite, Telhada avait la réputation d'être un policier de première ligne, avec plusieurs fusillades et décès à son actif. Derrite était un ami du fils du colonel, le lieutenant Rafael Telhada. Quatre ans plus tard, il a été démis de ses fonctions en raison de nouveaux meurtres survenus lors d'incidents policiers, comme il l'admet lui-même. Dans l'un d'entre eux, six personnes sont mortes et les policiers commandés par le lieutenant ont été accusés d'avoir torturé des suspects.
Malgré l'évidence, Derrite est resté fidèle à son profil narcissique, immature et brutal, peut-être par fidélité à la mémoire de ses amis décédés, un discours qui mobilise toujours une partie de la police, la plus violente. C'est ainsi qu'il a réussi à diviser et à affaiblir le corps policier, à l'aide de projets visant à augmenter les salaires des policiers et à acheter leur soutien massif. Même le réfléchi Gilberto Kassab, secrétaire d'Etat aux relations institutionnelles de Sao Paulo, ne semble pas en mesure d'éviter l'autosabotage et d'arrêter l'ébranlement et la régression de la police. "
Un autre témoignage de Bruno Paes Manso est audible ICI (plus d'une heure) et encore plus précisément sur Guilherme Derrite, dans la video de 4 minutes, visionnable ci-dessous :
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