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La coexistence du ciel, de la ville et de la mer, la diversité, le multiculturalisme, les rencontres, ouvrent ici des conditions enrichissantes de vie. Marseille active des vibrations uniques. Il faut croire que le temps qui passe attise également l’expression des artistes (de passage, ou résidents). Ces considérations expliqueraient pourquoi j’ai assisté sur la scène de La Vieille Charité, à l’une des plus fantastiques prestations de Brad Mehldau (j’ai dû en voir vingt : jamais déçu). Le trio de l’Américain a enivré le public, cristallisant au fond du vieux Quartier du Panier, les flux surpuissants du talent et de la créativité. La hauteur d’inspiration surplombait l’Himalaya. A chaque instant, la béatitude. A chaque phrase, les spectateurs - éberlués - se tournaient vers les voisins, afin de partager les délices ; ou simplement pour se persuader que les sensations étaient bien réelles. Ou alors parce que cette œuvre rapproche résolument les humains. Brad Mehldau n’a pas regardé une seule fois le clavier ! La moindre note se déhanchait sous les doigts du maître. Un langage d’une pureté absolue se métissait pour devenir émotion, folie, soul, gospel. Un alliage d’alchimiste. La pierre philosophale qui roule. Une perfection. Quel secret réside derrière ce dépassement ?
Je m’entretiens sur le site avec le directeur de Marseille Jazz des Cinq Continents, Hughes Kieffer. Le programmateur brosse l’une des idées du festival : « ici pas de frontières entre les genres ». Pour lui, une évidence : le festival « nourrit les musiciens ». D’un continent à l’autre ; d’un genre vers l’autre ; d’un artiste vers l’autre ; cela quelque soit le niveau. Suivant une vision cohérente, le projet des deux créateurs en 2000 du festival (Roger Luccioni, ancien adjoint au maire délégué aux musées, contrebassiste - Bernard Souroque, metteur en scène, ancien organisateur de la Feria de Nîmes), auxquels s’est joint Régis Guerbois (actuel président) et lui-même comme directeur en 2015, ce projet progresse dans la quête du progrès escompté : « la fusion des musiques ». Entre les populations de musiciens. Entre les musiques et les styles. Entre les personnalités. Et surtout : avec le public. La baisse de la subvention de la Ville (30% pour la 23e édition), ceci après deux années de COVID, ne décourage pas Hughes Kieffer : « nous n’en tenons pas rigueur. L’argent de Marseille reste le principal soutien. On essaye de se battre pour faire passer l’idée que le projet sert au bien commun. La billetterie affiche des résultats fastes. Le festival se répand dans la ville, en dépit des contrariétés. Nous invitons toujours les très grands artistes ».
Côté pointures, confirmation : le public a été servi. Brad Mehldau a partagé son âme à La Vieille Charité, dans la cour de l’espace pour indigents édifié en 1676, actuellement des locaux sociaux ! Parmi les cinq premiers titres, quatre de sa main (#26 - Sehnsucht - Twiggy - Estate). Quatre morceaux gorgés de groove, signés du pianiste de jazz certainement le plus intellectuel des années 2000 à aujourd’hui. Contrairement au titan de la génération précédente (Keith Jarrett), Brad Mehldau ne tâtonne pas jusqu’au point d’incandescence. Il s’élance dès les premières secondes. Puis défriche sans répit, pour que souvent s’épanouissent d'autres développements au thème initial. Durant les premiers titres, la main gauche reste singulièrement discrète, sauf dans la composition de Wayne Shorter (Angola). La main gauche cette fois s’envole sur My Favorite Things (Rodgers/Hammerstein), échafaudant l’improvisation impétueuse de la main droite. Les chorus de Larry Grenadier et de Jeff Ballard se hisseront à la hauteur. Suivront Estate (Bruno Martino) ; Long Ago and Far Away (Kern/Gershwin) ; Secret Love (Fain/Webster) ; No Moon at All (Mann/Evans). Autant de ballades. Autant de douces élévations. Autant de félicités. Jeff Ballard tricotera sur No Moon at All une improvisation toute en subtilité, d'une dextérité que la plus habile dentellière du monde n’hésiterait pas à signer. Après trois rappels s’applique la dure loi des concerts. Brad Mehldau a donné le maximum. C’est fini. Lorsque la star salue, la foule déchaîne sa joie depuis plusieurs minutes (standing ovation). La banane sur chaque visage. Un moment d'histoire plein la tête. Heureux chacun d’avoir été là. Les amateurs auront du mal à quitter l’endroit. On les comprend. Le jazz de demain prend sa source ici.
Bruno Pfeiffer
CD's
Your Mother Should Know (Brad Mehldau plays The Beatles/Solo). Label NONESUCH (2023). Un disque de chevet. Le concert sublimissime à La Philharmonie de Paris en septembre 2020.
Brad Mehldau solo : April 2020 (Warner)
LIVRE
Brad Mehldau : « Formation: Building a Personal Canon, Part I » - Editeur : Equinox Publishing (2023).
CONCERTS 2023
Christina Rosmini jusqu'au 30 juillet (attention dernière semaine!), chaque soir au festival Off d'Avignon (Théâtre du Chêne noir - 21h45 à 23h). La vocaliste, forte du septième album INTI (Couleur d'Orange/L'Autre Distribution) - une alchimie originale de chansons à texte et de musiques méditerranéennes - développe un rapport intense avec ses auditoires. Une figure unique dans le paysage de la tradition française, Christina Rosmini (autrice, compositrice, interprète, joueuse de scie, ensorceleuse) sera accompagnée de Bruno Caviglia : guitares - Bernard Menu : basse - Xavier Sanchez : batterie, percussions - Sébastien Debard : accordéon, bandonéon, claviers, accordina. Chaudement recommandé.
Jazz à Junas (Gard), du 18 au 22 juillet 2023, dont - pour la 30ème édition - la programmation reprendra l'histoire du festival. Une histoire haute en sons actuels, en couleurs, en plaisirs à venir. Beaucoup d'événements retentiront entre les roches des carrières de Junas. Relevons les concerts suivants : le projet S.h.a.m.a.n.e.s de l'épatante percussionniste Anne Paceo/le quartet de l'inventif batteur Daniel Humair, une stature/l'émouvant trompettiste sarde Paolo Fresu/le quartet du briscard Lars Danielson, le contrebassiste suédois/la sidérante vocaliste Sandra Nkaké/le trio du lumineux accordéoniste Vincent Peirani/l'ébouriffant orchestre Le Sacre du Tympan, dirigé par Fred Pallem/l'attendu Kutu, du violoniste Théo Ceccaldi avec son groupe franco-éthiopien/le projet KHMER, chef d'œuvre du trompettiste norvégien Nils Peter Molvaer (ECM, 1997). Et d'autres affiches de haut-vol...
Dianne Reeves le jeudi 20 juillet à Marseille (20h30 - Théâtre Silvain) dans le cadre de Marseille Jazz des Cinq Continents. La star américaine (Détroit, 1956), réputée pour la générosité de ses prestations (les amateurs la surnomment "La Bête de Scène") ne déçoit jamais. Elle n'a prévu que deux concerts en France. Samara Joy se produira, quant à elle, le mardi 25 juillet à Marseille (Jardin du Palais Longchamp - 20h30), dans le cadre du même festival. La vocaliste précoce - née dans le Bronx en 1999 - enflamme les publics, séduit la planète, explose les applaudimètres, cela depuis deux ans. L'unanimité se forme autour de son talent. La surdouée a décroché un Grammy pour l'année 2022. En France, l'Académie du jazz lui a décerné le Prix de l'Art vocal. Les critiques comparent - et pour cause - l'Américaine à Ella Fitzgerald.
En outre, nouveauté à Marseille ; L'Espace 222 - un club de jazz au sein du festival "Jazz des Cinq continents" - ouvre ses portes de façon éphémère pour quatre soirées du lundi 24 au jeudi 27 juillet (Place Carli, 13001). Pour l'initiative, Marseille Jazz des Cinq continents s'associe avec le Conservatoire Paul Barbizet. Enchaînement original : chaque soir en ouverture de soirée, un groupe résident formé par les élèves de la Classe supérieure de Jazz du Conservatoire de Marseille se produira. Qu'on ne s'y trompe pas, le public se retrouve face à des musiciens accomplis. Ils.elles préfigurent la scène de demain. Ensuite, vers 23h, affiche du jour. Enfin, autour de minuit, la Jam Session. Viendront l'enrichir - notamment - les vedettes après leur prestation sur la scène de Longchamp. En clôture le 27 juillet, grand Bal, jazz, chansons, musette, autour du saxophoniste de jazz, chef d'orchestre, compositeur, et nouveau directeur du Conservatoire de Marseille Raphael Imbert (avec ses complices de longue date). JazzClub 222 ? Parce que le club sera ouvert de 22 h à 2 h du matin.
Jazz au Phare (des Baleines, au nord de l'île de Ré) - 14e édition - du 30 juillet au 3 août 2023. Avec Biréli Lagrène (qu'accompagnera un orchestre symphonique) Lavilliers, Murray Head, Roberto Fonseca & La Gran Diversión. Ainsi qu'une trentaine de formations, dont les quartets dynamiteurs de Jean-Michel Proust et de Jean-Pierre Bertrand. Une séduisante affiche, dans un cadre surnaturel.
Laurent Cugny Tentet le 4 août de 21h30 à 23h sur la plage de l'Argentière, dans le cadre du La Londe Jazz festival (Var). La formation de l'ancien directeur de l'ONJ (1994-1997) a offert une prestation fracassante le mercredi 17 mai à l'Auditorium du site Jussieu de Sorbonne Université, lors du festival Jazz à St Germain des Prés. Le gratin des musiciens de jazz français, sous la baguette du compositeur-musicologue (et pianiste), a réveillé sur scène de l'esprit du Miles Davis des années 80 dans un tourbillon inouï de solos, d'unissons et de dialogues improvisés. Cris de joie, délires dans la salle, ovations répétées. Tout le monde collé au fauteuil. Extraordinaire. A défaut de pouvoir rouler vers la mer (c'est le dernier concert de Cugny cet été), procurez-vous Zeitgeist, la musique du concert. Un CD choc. Édité par le label Frémeaux&Associés. Contenu salué partout. On ne fera pas exception.
Michel Bonnet du 4 au 6 août 2023 pour 4 concerts de la Suite Wilson à Nyon (Suisse). Le disque de l'octet (Suite Wilson : "Eeny, Meeny, Mini, Mo"/Camille Productions-Socadisc), animé par le trompettiste, et par le légendaire Jacques Schneck au piano, deux fines lames "swing années trente" s'est retrouvé dans les trois finalistes en 2022 du Prix du jazz classique décerné par L'Académie du jazz. Et a reçu le Prix spécial du jury du Hot Club de France la même année. Je m'intéresse au parcours de Bonnet depuis quelque temps. Son jeu s'inspire (notamment) de Louis Armstrong, Rex Stewart, Cootie Williams et Roy Eldrige. Bonnet porte la même émotion que ses idoles. Les meilleurs l'ont repéré (Premiers gigs chez Gilbert Leroux, fondateur des Haricots rouges, et chez Raymond Fonsèque - six ans titulaire dans le big band de Claude Bolling - six ans avec le groupe Pink Turtle - et maintenant l'un des moteurs de la Suite Wilson). Le groupe rend hommage aux combos que le pianiste Teddy Wilson recrutait pour les enregistrements immortels avec Billie Holiday dans les années trente-cinq à quarante-deux (supervisés par John Hammond). Considérés par beaucoup (moi compris), comme les meilleurs de la chanteuse. La bande a rempli, l'an dernier, le Bal Blomet (Paris, 15e), club réputé pour la qualité de ses affiches. Le concentré de swing de la Suite Wilson ouvrira le premier jour (14/08), le festival Piano dans la Pinède à Grand Village Plage (14 au 18 août). Le rendez-vous jazz classique de la fin de l'été, sur l'Île d'Oléron. La Suite Wilson, c'est - sur le disque - la voix d'Antonella Vuliens; la clarinette et l'alto de Mathieu Verhnes; le ténor de Nicolas Montier; la batterie de Jean-Luc Guiraud; la guitare de Félix Hunot; la basse de Laurent Vanhee. À Nyon et Oléron, Christophe Davot tiendra la guitare. Tous tournés vers un but : restituer dans la Suite Wilson, l'esprit d'un brillantissime pianiste méconnu, Teddy Wilson, incarnation de la Swing Era.
Au Grès du Jazz du 5 au 13 août à La Petite Pierre, dans les Vosges du Nord (Bas - Rhin). Programmation richissime, avec Robin McKelle (sensationnel Impressions of Ella, sur DOXIE Records), Airelle Besson, Rhoda Scott (il serait définitivement étourdi de passer à côté du déchirant Trio Gospel, ou de son pétulant Lady quartet), Laurent Mignard Duke Orchestra, Sébastien Trœndlé (voir ci-dessous), Bireli Lagrene (monarque incontesté des guitaristes actuels), Michael Alizon, Rocky Gresset, et abondance d'autres bonheurs. Le cadre lui aussi vaut résolument le déplacement.
Festival international de boogie-woogie de Laroquebrou, dans le Cantal, du 9 au 13 août. LA référence pour le piano des années 20, 30, 40 ! Laroquebrou est incontestablement le plus grand festival de boogie-woogie du monde. Sébastien Trœndlé, créateur du festival ON THE MISSISSIPPI à Strasbourg (Alsace), vient d’être nommé à sa direction musicale. Un tournant majeur.
Anne Paceo le 8 septembre (20h - Cité de la Musique, Paris 20e) pour le projet S.H.A.M.A.N.E.S dans le cadre de Jazz à La Villette (30 août au 10 septembre 2023). La (remarquable) batteuse et (brillante) compositrice française mène ce programme depuis un an. Je l'ai entendu à Junas (Gard) cet été. Séduit. Le concert valait vraiment le déplacement. Au passage : réservez vite, les carrières de Junas débordaient de monde. Également à l'affiche de La Villette : De La Soul live band, Meshell Ndegeocello, GoGo Penguin, Oumou Sangaré, Mulatu Astatke, Sixun, Ezra Collective, Samara Joy, Lee Fields, Lakecia Benjamin,
Leila Olivesi le 21 septembre à 20h30 au New Morning (Paris 10e). La nouvelle lauréate du prestigieux Prix Django Reinhardt de l'Académie du Jazz présentera (en octet, formation de son superbe CD, Astral), un bijou à la fois bien dans les racines et à l'aise dans ses explorations. Retrouvez la jeune garde du jazz actuel : Leïla Olivesi - piano, composition; Jean-Charles Richard - sax baryton & soprano; Baptiste Herbin - sax alto & flûte; Adrien Sanchez - saxophone ténor; Quentin Ghomari - trompette & bugle; Manu Codjia - guitare; Yoni Zelnik - contrebasse; Donald Kontomanou - batterie.
TriumViret le samedi 23 septembre 2023 (12h), en l'Eglise Notre-Dame de Portbail (Manche) dans le cadre du festival Les Arches en Jazz. Triumviret, un jeu de mots réussi pour le trio du contrebassiste Jean-Philippe Viret et de ses enfants : Adèle (violoncelle) et Oscar (trompette). Comme dans beaucoup de familles, on compose et on improvise. Ici, c'est en musique (jazz), en public, et à un très haut niveau.
Famoudou Don Moye ouvrira le samedi 14 octobre à 20h30 la saison 23/24 de l'Espace Sorano (Vincennes). Le percussionniste fut le pilier de l’Art Ensemble of Chicago, formation phare des années free, collectif d’expérimentateurs soucieux d’ouvrir le jazz aux musiques contemporaines - et aux sons du monde décolonisé. Ce héraut de la Great Black Music poursuit le trajet aux commandes du Percussion and Brass Express Trio : Christophe Leloil (Les Quatre Vents, Archie Shepp) à la trompette, et Simon Sieger, aussi habile au trombone qu’au piano. Parmi les nombreuses affiches séduisantes du programme : Ex Machina le 10 novembre, Dal Sasso Big Band "Chick Corea's Three quartets revisited" le 8 décembre, Romain Pilon trio avec Jeff Ballard le 4 avril, Camille Bertault le 4 mai, Lisa Cat-Berro "Solaxis" le 8 juin.
Francis Laffon le jeudi 23 novembre 2023 à 20h à fond de cale (et à fond la caisse) à la Péniche Anako (Quai de Loire - Paris 19e). Avec le chansonnier revit le talent des grands paroliers : Boris Vian, Léo Ferré, Jean-Roger Caussimon, Georges Brassens. Pour toute information : info@penicheanako.org.
Sophie Darly le 7 décembre 2023 au studio de L'Ermitage (Paris 20e). Son prochain album, le troisième, (Slow Down Fast, sur le label Broz) sera alors sorti. La vocaliste a composé les huit titres : une abondance de gospel, de blues, de soul, de jazz brûlant, de passion partagée. Partout, grâce, feeling, virtuosité à revendre. Qu'on juge aussi de la qualité de l'ensemble par les présences des musiciens : Pierrick Pedron, Julien Alour, Antoine Reininger, Daniel Mizrahi, Arnaud Gransac, Mathieu Penot, Hector Gomez. Une révélation.