Dr BB (avatar)

Dr BB

Pédopsychiatre en CMPP

Abonné·e de Mediapart

139 Billets

0 Édition

Billet de blog 7 juin 2023

Dr BB (avatar)

Dr BB

Pédopsychiatre en CMPP

Abonné·e de Mediapart

Détruire le soin, bafouer le droit : un nouvel impératif gestionnaire ?

Dans le Finistère, un collectif de soignants cherche à défendre le fonctionnement de leurs CMPP face aux dérives très problématiques du management de l’organisme gestionnaire, les PEP 29. Ce témoignage souligne à quel point la résistance est nécessaire, malgré sa dénonciation par la direction.

Dr BB (avatar)

Dr BB

Pédopsychiatre en CMPP

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Dans un précédent billet, il avait été question des stratégies convergentes mobilisées pour détruire les Centre-Médico-Psycho-Pédagogiques, ces institutions thérapeutiques proposant des soins pluridisciplinaires aux enfants et adolescents. Trois leviers avaient alors été identifiés : une propagande omniprésente, une transformation autoritaire de « l’offre » via les Agences Régionales de Santé, ainsi que des réformes nationales du cadre réglementaire.

D’ailleurs, suite à des concertations préparatoires avec les partenaires impliqués, la Direction Générale de la Cohésion Sociale devait présenter sa copie concernant l’évolution de l’organisation du fonctionnement des CMPP et CAMSP (Centre d’Action Médico-Sociale Précoce), à travers un cahier des charges devant faire l’objet d’un décret.

Or, silence radio…la Fédération des CMPP a donc cherché à comprendre les raisons de ce non-respect du calendrier annoncé. Eh bien, ainsi sollicitée, la DGCS a daigné informer les représentants des professionnels que les travaux étaient actuellement suspendus suites aux annonces du Président de la République lors de la dernière Conférence Nationale du Handicap du 26 avril dernier de créer « un service de diagnostic et de repérage précoce ». De fait, le ministère souhaite désormais pouvoir articuler ce nouveau dispositif avec les CMPP et le CAMSP et donc l’intégrer au futur cadre règlementaire. De belles réjouissances en perspective puisque les institutions soignantes vont devoir encore davantage se transformer en plateforme d’étiquetage et de triage…

Illustration 1

Cette volonté politique de démanteler ce qui reste encore de lieux de soin confine indéniablement à l’acharnement, alors même que tous les voyants sont au rouge concernant la santé psychique des enfants et des adolescents…Et c’est sur le terrain, à un niveau très local, que ces injonctions managériales émanant des plus hautes instances peuvent finalement s’incarner, à travers notamment la façon dont elles sont relayées par les associations gestionnaires. Voilà d'ailleurs les incitations proférées par Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme jusqu'à sa nomination récente à la Haute Autorité de Santé, lors d'une audition par la Commission des Affaires Sociales de l'Assemblée Nationale : « le pouvoir de sanction et de coercition appartient à l’employeur, il n’appartient pas à l’État (…). Il appartient aussi aux organismes gestionnaires d’accompagner les changements ». Le message est-il suffisamment explicite ?

Récemment, j’ai été contacté par des collègues travaillant sur des CMPP dans le Finistère, qui souhaitaient que je puisse témoigner de leur expérience : une dislocation pure et simple du cadre institutionnel par la direction associative, induisant à la fois une souffrance des professionnels, mais aussi de tragiques ruptures de soins…

Petite illustration de la destructivité gestionnaire à l’œuvre.

Dans le Finistère, le pôle médico-social de l’association départementale des PEP 29 (Pupilles de l’Enseignement Public) gère 4 CMPP, avec leurs antennes, ainsi qu’un CAMSP, et emploie une centaine de salariés. Cette association appartient à un réseau national de 123 associations de proximité, gérant 600 établissements et employant 23 000 salariés dans toute la France.

Illustration 2

Du fait des contraintes de financement imposées par les tutelles et les directives gouvernementales, avec un canevas idéologique et normatif de plus en plus serré, les associations gestionnaires peuvent être régulièrement amenées à imposer des modifications de l'organisation du travail clinique, afin de garantir leur solvabilité budgétaire. Ces réformes managériales tendent ainsi à se déployer sur un mode de plus en plus autoritaire, en faisant abstraction des réalités du terrain, de l’éthique professionnelle et des conséquences concrètes sur les soins. Les enjeux territoriaux, l’implantation géographiques, le travail partenarial spécifique, l’histoire institutionnelle, la réalité sociale et culturelle des populations accueillies, etc., doivent alors se fondre au sein de protocoles univoques, systématiques, validées, quitte à laisser sur le carreau les usagers les plus vulnérables.

Ainsi, les PEP 29, à l’instar d’autres associations gestionnaires, ont-elles initié des réorganisations « modernisatrices » du fonctionnement institutionnel et des pratiques, afin de garantir un management optimisé, ainsi qu’une mise en conformité selon les critères de qualité et les recommandations de bonne pratique imposées par les plus hautes instances.

Globalement, il s’agit toujours de donner plus de pouvoir aux gestionnaires, de contrôler les modalités d’exercice des soignants en restreignant leur autonomie et leur créativité, indépendamment des enjeux singuliers de la rencontre thérapeutique. Ainsi, la nouvelle organisation imposée par les PEP 29 a-t-elle notamment réduit les responsabilités et les marges de manœuvre des directions médicales dans la dynamique institutionnelle, en les cantonnant strictement à des dimensions techniques. Désormais, il fallait prioritairement appliquer, respecter, valider et mettre en œuvre la politique associative, en relais des injonctions technocratiques des tutelles et des instances ministérielles. Point barre. Si c’est aberrant sur le plan de la clinique et du soin, eh bien tant pis…Les pratiques doivent être normées, les formations contrôlées, les actes formatés, voilà la priorité.

Illustration 3

Comme partout, les PEP 29 s’adaptent à « l’air du temps » : dorénavant, il faudra donc être concurrentiel, audacieux, pour remporter la course à la prestation sociale et empocher les appels d’offre. Les activités thérapeutiques doivent ainsi devenir des prestations économiques, avec à la clef un délitement du sens des engagements, une dégradation de la qualité de travail, une perte de la dimension collective du soin… Et au final, un risque non négligeable quant à la qualité de l’accompagnement des « usagers », et une menace d’exclusion des publics les plus précaires et vulnérables…De fait, les soignants sont sommés de toujours plus accompagner les "parcours inclusifs", d’aller vers l’extérieur, de soutenir et de tisser des dispositifs décentralisés, sans en avoir les moyens. Dans le même temps, il faut faire toujours plus d’actes rentables (c’est-à-dire recevoir les patients à la chaîne), de façon à préserver l’équilibre budgétaire des institutions…

En conformité avec les « préconisations » de l’ANAP (agence nationale pour l’amélioration de la performance), il conviendrait par exemple de valoriser les fonctionnements en « dispositifs », de « prévoir une plus grande transversalité des postes et de la gestion des ressources humaines », c’est-à-dire de démanteler toutes les dynamiques collectives et institutionnelles…

Dans une logique de rentabilité et de publicité, il s’agit également de brandir des slogans, indépendamment des pratiques : virage ambulatoire, parcours inclusif, désinstitutionnalisation, partenariat public-privé, contractualisation, réforme des financements, etc.

De fait, les budgets alloués aux institutions exerçant dans le médico-social vont dépendre de l’objectivation des besoins des personnes accompagnées et de la mise en adéquation des réponses qui leur sont apportées, à travers une nomenclature fermée. Dès lors, il faudrait désormais pouvoir proposer un « panel » de services externalisés, dont dépendront directement les financements, sur le mode d’une tarification à l’acte. Au fond, un telle gouvernance impose la transformation des institutions soignantes en « dispositifs innovants » de type plateformes sans prendre en compte les réseaux interinstitutionnels préexistants. Négligeant la réalité des missions auprès des usagers, l’impératif devient le remplissage d’indicateurs se sédimentant toujours plus en couches successives, tout en créant un marché parasite de cabinets de conseil et d’évaluations siphonnant les budgets.

Comme l’énonçait Michel Laforcade lorsqu’il imposa le démantèlement brutal les CMPP sur la région Nouvelle-Aquitaine, il faut avant tout réaffirmer l'objectif de conformité stricte aux recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de Santé en vigueur et ouvrir une démarche de repositionnement vers un fonctionnement en plateforme ressource médico-social, développant des interventions de coordination et de passages de relais vers des prestataires privés…

Paradoxalement, dans le Finistère comme ailleurs, les institutions qui ont été les plus ouvertes aux « modernisations » des pratiques, qui ont tenté de promouvoir des approches intégratives tout en s’adaptant aux « recommandations » validées, se sont trouvées plus massivement colonisées, autoritairement transformées en plateformes diagnostiques, drastiquement entravées dans leur souci de mettre en place des soins pluridisciplinaires respectant la singularité de la rencontre clinique.
Car dès que l’idéologie managériale met le pied dans la porte, le loup entre dans la bergerie. Manifestement, plus rien ne peut cohabiter avec ce pesticide à pensée, avec cet abrasif toxique pour les liens, avec ce décapant psychophobe. Les indicateurs deviennent alors hégémoniques, les protocoles prennent la place des tissages collectifs, les procédures envahissent tout l’espace, ne laissant derrière elles qu’un champ de ruines. Tout se joue désormais dans l’instantané, avec l’impératif prioritaire de respecter les normes gestionnaires, les critères de « qualité », l’étiquetage conforme, l’optimisation de la mise en filière, l’utilisation d’outils standardisés et basés sur les preuves, l’orthodoxie des rapports d’activité, le muselage des praticiens, leur mise au pas, leur interchangeabilité, leur productivité à la chaîne, etc.
Et si au passage ces réformes induisent de la souffrance au travail, des oppositions voire des démissions, peu importe. Cela n’est que la preuve de la résistance des professionnels, de la défense corporatiste de leurs ignorances archaïques, de leur mentalité arriérée. D’ailleurs, dans cette optique, il faudrait transformer les habitus et les dispositions psychiques des praticiens, expurger les résistants, mettre en place une main d’œuvre docile, voire endoctrinée, détruire les inerties collectives, entraver l’élaboration, l’autonomie, la créativité, laver les cerveaux, rééduquer, bâillonner, pulvériser, écraser…

Comme le suggère la délégation interministériel à l’autisme, il est donc envisager de « créer une nouvelle profession de psychologue en santé habilitée à intervenir dans le champ des TSA, du TDAH, du TDI et des troubles Dys et garantissant le respect des RBPP de la HAS ». Ainsi, il sera garanti que « tous les professionnels des établissements et services médico-sociaux (ESMS) accueillant des publics TSA, TDI, TDAH, DYS sont formés et supervisés à ces troubles pour garantir des interventions éducatives et rééducatives adaptées » - et non plus pour proposer des soins, quelle ineptie.

Michel Laforcade, ancien directeur de l’ARS Nouvelle Aquitaine et chargé au niveau national d’une mission concernant l’attractivité du secteur médico-social, est un porte-parole particulièrement explicite et déterminée de cette idéologie. Voici par exemple ce qu’il peut affirmer, en toute impunité : « Dans certains domaines les acteurs résistent de manière inopportune pour préserver leur tranquillité, leurs habitudes…. Mais ce n’est pas pathologique. Il y a beaucoup de parenté avec le monde de l’enseignement : pour penser librement, il faut sortir de la pensée collective. L’objectif est donc de démontrer aux gens que d’autres manières de voir les choses sont possibles, et donc d’autres manières d’agir ». « Pour favoriser ce changement (…), il ne faut pas hésiter à utiliser toutes les méthodes persuasives et coercitives. Chaque année, l’ARS prélève ainsi de l’argent sur les établissements dont elle conditionne le retour à la mise en place d’actions pour les forcer à avoir des projets innovants ». « Nous avons besoin d’établissements, de plus en plus, qui se présentent comme des pôles ressources ». « La théorie professionnelle est biodégradable ». « Nous avons besoin d’un manager qui sache travailler un peu plus avec les familles, avec l’école, avec l’entreprise, avec l’ARS, avec la MDPH. Ce qui me permet même d’aller jusqu’à souhaiter d’autres types de psychologies, en dehors même des compétences professionnelles » …Sans commentaire, ce type de discours a le mérite de l’honnêteté…

Illustration 4
L'Enfer de Dante © Paul Brizzi, Gaetan Brizzi

Et si au passage le droit du travail est bafoué, le cadre institutionnel démantelé, la possibilité même de soigner et d’accueillir compromise, peu importe. L’objectif, de toute façon, est de produire des chiffres et des données, de virtualiser, afin de créer un marché ubérisable.

Et si au passage des enfants et des familles se retrouvent délaissés, et notamment les plus vulnérables et silenciés, peu importe en vérité. Cela n’est pas la priorité, contrairement au respect docile des dogmes idéologiques et des critères gestionnaires.

Et si au passage on en arrive à détruire non seulement le sens des missions, mais aussi les équipes et le cadre de travail permettant leur effectivité, et bien tant pis…On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs après tout. Et si au passage…

Mais revenons-en plus spécifiquement à la situation des CMPP du Finistère géré par les PEP 29. Suite aux « réorganisations » imposées par le siège, c’est bien la fonction soignante qui est attaquée. D’ailleurs, dans ce contexte, le fonctionnement de la Commission Médicale d’Établissement (CME) s’est vu altéré, aboutissant à une suspension de son activité. De surcroît, l’association gestionnaire, avec la Sauvegarde de l'Enfance et l'AOSJ, ont mandaté le CREAI (Centre Régional d’Études d'Actions et d’Informations) afin de réaliser une étude sur le fonctionnement des CMPP. Un tel audit aurait pour finalité, d’après l’avis du ministère de la santé, « d’inscrire ces structures dans l’évolution des politiques publiques (en particulier dans une logique de parcours de vie) et enfin anticiper et accompagner le changement des pratiques professionnelles », en « identifiant les freins et les facteurs facilitateurs d’un repositionnement » …Tout un programme.

Illustration 5
Frink et Freud © Lionel Richerand

Toutes ces orientations ne sont évidemment pas discutées avec les professionnels ; elles s’imposent d’en-haut, sans dialogue, ni concertation, sans connaissance des réalités du terrain, ni appréhension des conséquences concrètes sur l’activité et sur les usagers.

Dans ce contexte, certains praticiens, et notamment les directions médicales des établissements ont légitimement pu exprimer leurs appréhensions, voire leurs divergences - leur mandat consistant notamment à garantir une offre de soins ajustée aux besoins de la population reçue…

Cela a notamment été le cas du Dr S., directrice médicale du CMPP de Landerneau, clinicienne reconnue pour son investissement et ses qualités professionnelles.

Néanmoins, celle-ci s’est vue reprochée par le siège associatif « une rupture de confiance », « un exercice controversé de la fonction de médecin directeur entravant l’exercice des responsabilités de la direction générale ». Cherchant à défendre le soin, on lui imputait « un rejet des règles d’organisation et de l’organigramme », « une ingérence dans les instances administratives », « une absence de respect des prérogatives statutaires ».

Manifestement, pour le siège des PEP 29, le médecin directeur n’aurait pas à exprimer ses appréhensions conformément à l’impératif de réserve et de discrétion, alors même que les conditions d’exercice des équipes se voyaient mises à mal. De fait, il faudrait avant tout soutenir les orientations associatives, les « choix fondamentaux », se soumettre, fermer sa gueule et surtout, surtout, ne jamais critiquer ni « dénigrer ». Car, cela reviendrait à instaurer un « climat de suspicions, de méfiance et de défiance entretenant un rapport de force » ; inacceptable. Et puis, seuls les technocrates éclairés savent ce qui est bon pour organiser l’activité des soignants : les praticiens n’ont pas leur mot à dire, ils doivent respecter les champs de compétences relevant de la gestion et ne pas contester la culture associative. Par ailleurs, il ne faudrait surtout pas pointer la souffrance au travail, ou suggérer l’imputation d’un management maltraitant dans la dégradation des conditions d’exercice. Tout cela est donc désigné comme de l’insubordination, « un comportement transgressif empêchant l’exercice normal des responsabilités des dirigeants ».

Conséquence logique : une procédure de licenciement est initiée envers le Dr S., quand bien même, d’après tous les professionnels concernés, celle-ci « remplit sa fonction avec constance, engagement, rigueur et professionnalisme tant auprès des usagers que de l’équipe ». Ainsi, un courrier est adressé à l’Agence Régionale de Santé en juin 2020 pour alerter les tutelles de cette situation problématique, et pointer les difficultés de communication récurrentes entre l’Association départementale des PEP 29 et ses salariés. De fait, « les soignants s’inquiètent qu’une telle procédure soudaine entraîne une rupture des soins (prescriptions médicales, orientation des suivis, situations d’urgences) ainsi que de l’insécurité ». « Par ailleurs, les changements de discours entre les différentes instances (président de l’Association, administrateurs, directeur général, directions administratives) mettent à mal le fonctionnement institutionnel des établissements médico-sociaux. Les conditions de travail dans lesquelles se retrouvent les salariés sont délétères, avec pour certains des manifestations de mal-être (stress au travail, anxiété, sentiment d’insécurité, personnels en arrêt maladie). Les risques psychosociaux sont donc avérés ». Pas de réactions ni de réponse…Toutes les interpellations restent lettre morte.

Dès lors, un mouvement collectif de protestations, avec des appels à la grève et des manifestations, se constitue.

Dans la presse locale, le Télégramme se fait l’écho de ces tensions en juillet 2020 : « Si on n’a plus de médecins directeurs, nos seuls interlocuteurs sont les directions administratives, déplore une porte-parole du collectif. Ce sont les médecins directeurs qui garantissent les projets d’établissements, ce sont eux qui réfléchissent avec les praticiens », poursuit-elle ». « Cette menace de départ est la goutte d’eau qui fait déborder le vase », indique la porte-parole. Le collectif demande également plus de dialogue et de bienveillance entre le personnel et les dirigeants ».

Finalement, le Dr S. est licenciée, malgré la mobilisation ; manquement aux obligations de loyauté, intolérable insubordination…Lors de cette procédure, le directeur général manifestera en outre un comportement pour le moins problématique ; face aux manifestants, il exécute des pas de danse, devant la porte du local où se déroulait l’entretien préalable de licenciement, faisant preuve d’une morgue tout à fait indécente, méprisante et inappropriée…

Cependant, le mouvement continue. En septembre 2021, les professionnels poursuivent leur mobilisation, comme en témoigne le Média Social : « dans le Finistère, trois gestionnaires ont mandaté le Creai pour réaliser une étude sur le fonctionnement de leurs centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP). Redoutant des transformations majeures, les professionnels ont débrayé le 13 septembre. Pour la direction, ces craintes n’ont pas lieu d’être ».

Suite à la contestation de la procédure de licenciement du Dr S., les prud’hommes livrent leur jugement le 27 décembre 2022 : cette mise à pied du médecin directeur est « dépourvue de cause réelle et sérieuse ». De surcroît, le tribunal insiste sur les « circonstances vexatoires » et le « préjudice moral », condamnant les PEP 29 à verser des dommages et intérêts conséquents.

Cependant, la direction n’en prend pas ombrage, des excédents budgétaires permettant de régler sans problème ces montants - rappelons tout de même que cet argent est normalement dévolu à une mission de service public à destination d’enfants en souffrance…

Illustration 6

A nouveau, le collectif sollicite l’ARS Bretagne murée dans son silence et son indifférence. Pourtant le Conseil des Prud’hommes souligne dans son jugement que « les courriers adressés à l’ARS témoignent d’un dysfonctionnement interne avéré de l’association… ».

Il est également rappelé que « le climat institutionnel a conduit à la démission de plusieurs professionnels dans les établissements, dont le médecin directeur du CMPP de Quimper, en 2022 ». Et que « les conséquences se lisent d’abord auprès des usagers et de leurs familles. En effet, la pression organisée de la Direction Générale s’amplifie toujours plus, comme le manque de dialogue entre la Direction Générale et les professionnels de terrain. Cela entrave la qualité des soins : rupture de soins, retards dans les diagnostics, limitation des prises en charges précoces, formations collectives ne découlant pas des projets de soins adaptés aux patients… ». Ainsi, les professionnels rapportent par exemple des injonctions d’arrêt de suivis d’adolescents émanant des directions, en contradiction avec l’agrément des CMPP, ce qui attise des conflits éthiques douloureux dans les équipes. De plus, certaines antennes sont menacées de fermeture, avec le risque d’entraver la proximité des lieux de soins avec certains bassins de population…

Illustration 7

En mars 2023, les membres du CSE expriment à nouveau leurs inquiétudes : « les tensions sont importantes et le manque de dialogue social a des retentissements sur les réunions institutionnelles pendant lesquelles régulièrement les salariés pleurent, s’énervent… ». Suite au licenciement du Dr S. et à la démission d’un autre médecin directeur, la pénurie de temps médical tend à fragiliser de plus en plus les équipes. En outre, les départs se multiplient dans les autres champs professionnels, « les arrêts de travail sont nombreux, le turn-over important, des vacances de poste entraînent des surcharges de travail, du fait de glissements de tâches » …Nonobstant, les compétences des salariés sont régulièrement remises en cause, avec des convocations régulières qui alimentent un climat d’insécurité. Lors d’une réunion du Conseil d’Administration, un administrateur énonce explicitement sa volonté « d’extirper les lacaniens », ce qui constitue à l’évidence une forme de discrimination décomplexée, sans rapport avec les compétences des cliniciens ou leur adéquation aux fiches de poste.

Car, tant qu’on y est, c’est le droit du travail qui se trouve également bafoué : la direction désavoue les préconisations de la médecine du travail pour l’aménagement des postes de travail concernant plusieurs salariés, ne répond pas aux interpellations du personnel à l’occasion des réunions de libre expression, refuse les affichages réglementaires, fournit des registres CSE incomplets, suggère des démissions lorsque les professionnels se plaignent des conditions de travail, en lien notamment avec la dégradation des locaux. Une salariée, représentante du personnel au sein du CSE, se voit notifiée par mail que, suite à sa demande de réduction du temps de travail, son mandat CSE et syndical sera interrompu…La priorité sera de vérifier l’impact de cette aménagement d’horaire sur le « compteur annuel qui doit être à l’équilibre », en éliminant notamment le temps de délégation... Décidément, la toute-puissance et la destructivité gestionnaires n'ont pas de limite et, dans cette logique, il faut définitivement réduire au silence les instances représentatives des salariés, par la terreur si besoin...

En mars 2023, l’intersyndical CGT / CFDT interpelle à nouveau la direction par rapport à la situation préoccupante induite par le positionnement de la direction générale des PEP 29 et le manque de dialogue social. A cette occasion, les représentants syndicaux rapportent les éléments circonstanciés du jugement des prud’hommes, témoignant des abus et des dérives.

Qu’à cela ne tienne, voici la réponse de l’association, qui mérite d’être largement citée tant elle dénote de son émancipation à l’égard du droit et de la décence commune : « les prud’hommes se sont prononcés selon leurs règles de droits, leur conviction et la jurisprudence du moment, en constante évolution ».

« Il arrive que des visions entre un salarié et une Association soient diamétralement opposées malgré la volonté d’un dialogue constructif désiré. L’intérêt supérieur d’assumer les objectifs fixés contractuellement est irréfragable pour l’ensemble des salariés, il en est de même pour l’adhésion aux valeurs et le respect des règles de fonctionnement de l’Association ».

« L’Association décide souverainement d’une sanction en appréciant les risques selon ses règles de fonctionnement, quand la situation l’exige, même si les conditions de droit juridique ne sont pas réunies. Ainsi, les deux instances légitimes (Association-employeur et Prud’hommes) ont chacune leurs critères de choix, leurs logiques et leurs points de vue. Elles ont chacune, la force contractuelle exécutoire. L’appréciation des faits peut être jugée suffisante pour l’Association mais son contraire pour les prud’hommes ».

« Il est surprenant de faire du sensationnel sur une situation individuelle. Il serait même indispensable de respecter les règles de protection des données sensibles conformément au RGPD » ….

Promis juré, ce n’est pas un sketch.

Illustration 8

Le 14 avril, le collectif appelle à nouveau à la grève, avec un relais médiatique dans la presse locale. Ouest France rappelle ainsi que les salariés dénoncent « un dialogue devenu impossible avec la direction », des démissions régulières dans les équipes et dans la hiérarchie intermédiaire, des « conditions de travail dégradées » avec « moins de disponibilités pour les enfants à cause de protocoles administratifs plus nombreux ». Dès lors, les professionnels revendiquent « une refonte du fonctionnement institutionnel » et veulent être « assurés de la pérennité de nos outils de travail et du maintien de la qualité des soins auprès des enfants et de leurs familles ». De son côté, le Télégramme soulignent que les salariés, soutenus par l’intersyndical, « sont venus crier leur mal-être, sous les fenêtres du conseil d’administration qui se réunissait au même moment. Dénonçant les conditions de travail qui « se dégradent » et l’absence de « communication avec la direction ».

Cependant, les professionnels engagés pour défendre le soin à destination des enfants en souffrance psychique expriment leur déception vis-à-vis d’une couverture journalistique trop « timide », « neutre », ne témoignant pas suffisant du management maltraitant de la direction associative et des conséquences abjectes en termes de mise à mal des prises en charge.

Ainsi, dans le tract de la manifestation du 14 avril, il est rappelé que « les équipes sont fragilisées, de l’insécurité au travail est observée, une rupture de confiance. Les vacances de postes et l’absence de médecins spécialisés sur certains sites sont dommageables ». Dès lors, les professionnels demandent à être rassurés quant au « maintien de la qualité de soins auprès des enfants et de leurs familles », et exhortent l’ARS à « diligenter une enquête afin de permettre aux équipes soignantes de retrouver de la sérénité dans leur travail soignant ».

Illustration 9

Lors du Conseil d’Administration du 14 avril 2023, les représentants syndicaux prennent la parole. Du côté de la CFDT, il est souligné qu’une « une grève dans une association à orientation sociale et médico-sociale n’est pas banale » et que cela signe « un profond malaise », avec des conséquences non négligeables en termes de santé psychique des salariés et d’altération des relations au travail. « Comment ne pas tenir compte des départs de professionnels investis à la hauteur de ce que ces signes mettent en évidence ? ». De fait, les syndicats sont alertés par le besoin des salariés de se « protéger de situations qui les mettent à mal », refusant de « subir et accepter des fonctionnements qui ne leur garantissent pas d’être bien au travail, qui les mettent en difficulté dans leurs missions », dénonçant « les méthodes utilisées pour écarter des professionnels », s’inquiétant de « l’écart significatif dans la perception de la situation entre les attentes des élus du CA, de la direction et les acteurs de terrain ». Du côté de la CGT, on dénonce les postures « vexatoires » de la direction, le mépris des professionnels, des missions et des pratiques : « un directeur qui faute, une équipe et des usagers qui paient les pots cassés et des bénévoles du CA qui viennent faire la morale à des professionnels sidérés d’une telle audace »…Et de pointer la liste des abus commis par la direction, allant de pressions exercées sur les élus, de chantage auprès des salariés, de non-respect du droit du travail, etc., tout en soulignant les préjudices engendrés par cette gouvernance : « les ruptures de soin, retards dans le diagnostic, retard dans les prises en charge, bref du sale boulot à cause de mauvaises décisions à répétition ».

Lors de la délibération du CA en mai 2023, voici comment s’énoncent les positions de la direction : il est regretté une forme de « dramatisation » de la situation et de remise en cause explicite de deux membres du siège, « dans un contexte propice à des exagérations diverses et variées » … « Les Administrateurs apportent leur ferme soutien aux deux personnes concernées, car un Administrateur (ancien Président) et un directeur général, appliquant loyalement ce que la gouvernance attend de sa fonction, ne peuvent être ainsi personnellement interpellés même s’il s’agit probablement là d’une dénonciation maladroite de leur action liée à leur fonction respective ». Ainsi, « ces dérapages, s’ils se renouvellent, peuvent amener l’Association à envisager des mesures de protection des salariés du siège et des administrateurs conformément aux codes en vigueur » …

Ainsi, les professionnels qui dénoncent les abus et les dérives se voient tout simplement accusés d’être des fauteurs de trouble, ce qui justifie des menaces assez explicites…Là se déploie incontestablement une logique perverse de retournement de la responsabilité, la maltraitance étant de toute façon légitimée par sa convergence avec les objectifs stratégiques de l’association.

Au milieu de ce merdier, qui va en pâtir ? les professionnels, mais surtout les usagers. Et qui va être récompensé de sa gestion audacieuse et de son management efficient, en conformité avec les recommandations idéologiques hégémoniques ? la direction administrative…Dégueulasse

Mais c’est sans doute une situation locale, très exceptionnelle, on ne peut pas extrapoler, penserez-vous peut-être ? ….

Que nenni, les témoignages croulent malheureusement pour illustrer ce genre de dérives.

Illustration 10

Par exemple, dans un article percutant, les Dr J.-J. Giudicelli et C. Jallade ont décrit avec minutie le processus de destruction du CMPP Tony Lainé d’Athis-Mons par La Croix Rouge Française, organisme gestionnaire se revendiquant d’être « une « association-entreprise » avec tout le vocabulaire et l’imaginaire qui s’associe à cette référence quasi transcendante, véritable mantra des décideurs contemporains ». Là aussi, « la réforme s’y avère depuis déjà quelques trop longues années, implacable, nécessaire et incessante ! », aboutissant finalement à une délocalisation de la direction médicale, « au prétexte de mutualisation et de restructuration managériale ». Là aussi se manifeste une volonté destructrice vis-à-vis du travail soignant, afin de « pouvoir en promouvoir un autre, en accord avec les orientations contemporaines, alliant privatisation des soins et référence exclusive et obligatoire aux neurosciences ». Là aussi s’exprime « une indifférence aux soins dispensés, à travers le mépris pour l’expérience, le savoir-faire et la parole des professionnels, que traduisent les positions prises par les instances hiérarchiques ». Là aussi, se déploie « une mise au pas réglée par quelques managers bien intentionnés qui a abouti, en moins de deux ans, à des démissions en cascade de professionnels engagés dans leur pratique de soin, avec pour conséquence lourde l’abandon d’un grand nombre de patients ». Là aussi s’impose une forme d’ « infantilisation de soignants qui avaient jusque-là été considérés comme des cliniciens responsables et autonomes dans leurs choix, leurs prises de décision ». Là aussi la priorité est avant tout la rentabilité gestionnaire, avec des négociations réalisées sans les soignants conduisant à « un engagement de l’établissement à réaliser un nombre d’actes (consultations, séances…) bien supérieur avec ce qui était fixé jusque-là chaque année de manière transparente avec l’ARS de l’Essonne ». Là aussi, la priorité est de démanteler l’existant, c’est-à-dire « l’implantation du CMPP, la situation locale et les liens partenariaux, la connaissance du terrain par les acteurs même du projet de soin, leurs conditions de travail au quotidien, tout cet écosystème rendant l’institution vivante et à même de remplir ses missions de service public était ignoré par nos décideurs ». Là aussi, il fallait dénoncer l’inertie et la résistance des professionnels, malgré l’inanité des modèles managériaux : « c’était plus simple de penser que l’équipe n’avait pas su s’adapter (…). La faute aussi à un médecin chef qui n’accompagnait pas les réformes demandées par les tutelles visant à améliorer la rentabilité d’un modèle jugé dépassé ». Là aussi, l’alerte des soignants auprès des instances de tutelle se voit considérée comme de l’insubordination, déclenchant des procédures disciplinaires pour cause de non-loyauté….

Et ces situations se disséminent également dans le secteur sanitaire, comme le prouve la mise à mal du service de psychiatrie d’Asnières sur Seine, suite à l’alerte du médecin chef, le Dr Bellahsen, pour défendre le droit des patients.

Bref, ces dérives deviennent de plus en plus ubiquitaires, et il apparaît alors nécessaire de les mettre davantage en lumière, afin d’entraver les replis défensifs, les négligences ou les abandons purs et simples. En effet, ce que vivent ces équipes menacées tend finalement à devenir une norme, et il convient donc de converger dans les luttes, de nous rassembler, de nous coaliser, pour défendre ce qui reste encore de soins décents, ouverts et singuliers…

A bon entendeur.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.