
Sur les rayons du Bookclub, pour ouvrir une année de livres, le roman en assises, une règle du jeu et la troublante Madame Chiang.
Elle a vingt ans

Lisez-vous La Règle du jeu, revue dont Bernard-Henri Lévy est le directeur ? Peut-être que non. Elle célèbre pourtant ses vingt ans d’âge avec une copieuse livraison dans laquelle des amis de la revue et d’autres personnalités sont censés exprimer leur vision des vingt années qui viennent. Ce que font certains docilement quand d’autres apportent un simple témoignage. Toujours est-il que cela donne un sommaire des plus varié à la hauteur d’un carnet d’adresses que l’on devine bien rempli.
Il y a là des philosophes, des écrivains, des plasticiens, des architectes, des cinéastes, des musiciens. Et il y a des mots, des images et des notes. Alors juste vous dire ce que j’ai aimé : une photo prise par Bettina Reims, des vœux vengeurs de Salman Rushdie, une lettre de Christine Angot sur la différence entre « je » et « moi », trois « aveux » de Warlikowski, des « brèves » d’Alfredo Arias, des photos de Tellier, des portraits de Vezzoli, un texte magnifique de Guyotat sur la faim, des calligraphies de Murakami, une vision futuriste de Claude Parent, des photos de Ryan McGinley, un entretien de Maurice Olender avec Lévi-Strauss renvoyant aux archives IMEC du premier nommé. Bref, un magnifique album. JD
La Règle du Jeu, 20 Ans, 656 pages, 20 €.
"Le roman : tout dire ?"
Les Assises du roman ont rassemblé en 2010, pour la quatrième année consécutive, une quarantaine d’auteurs du monde entier. Organisées par la Villa Gillet et le journal Le Monde, elles donnent lieu à des débats, des rencontres, elles permettent de croiser les approches autour d’un thème commun - «Le roman : tout dire ?» - déployé en une série de notions et questions : journal intime et roman, biologie et littérature, le corps, réel et fiction, ville et énergie urbaine, la folie à l’œuvre, l’autocensure, les œuvres fantômes et… le roman, un genre fatigué ? Non, à l’évidence et à la lecture de ces plus de 500 pages passionnantes, voyage dans un genre métamorphique, dans cette forme qui observe, informe et invente le monde.

Le format de poche (Bourgois, «Titres»), le prix du volume (10 €), tout rend ce recueil accessible à un public large, un recueil qui permet une lecture curieuse, elle-même nomade. Retrouver Tavares («Maladie, imagination et littérature»), Sara Stridsberg («Madness at work»), Geneviève Brisac («Parler de ce qu’il ne faut pas : autocensure, mode d’emploi – Le deuil, le secret, la littérature»), A. M. Homes («Dire et ne pas dire»), pour prolonger leurs romans que l’on a tant aimés en 2010. À l’inverse, découvrir des auteurs de nous encore inconnus et se promettre de lire leurs romans. Ou lire par thèmes, par appel des titres, parce qu’une phrase, à la volée fait sens («Quand j’écris je deviens invisible. Mon corps est délégué à la page. Si je n’atteins pas ce moment de l’invisibilité, si le corps ne devient pas le texte, ce n’est pas le texte», Marie Darrieussecq), lire pour retrouver le Lexique nomade 2010, qui avait annoncé ces Assises. Et poursuivre la réflexion en 2011. Encore et toujours. CM
« Le Roman : tout dire ? », Assises du roman 2010, Christian Bourgois, « Titres » n° 122, 542 p., 10 €
Avec : Roberto Alajmo, Rabih Alameddine, Jean-Claude Ameisen, Aharon Appelfeld, Sefi Atta, Florence Aubenas, Gwenaëlle Aubry, François Beaune, David Boratav, Geneviève Brisac, Antonio Caballero, Emmanuel Carrère, Marie Darrieussecq, Vincent Delecroix, Erri De Luca, Marie Desplechin, Anne Enright, Julia Franck, James Frey, Wendy Guerra, Léonid Guirchovitch, Paul Holdengräber, A.M. Homes, Dany Laferrière, Michèle Lesbre, Laurent Mauvignier, Bernard Pivot, Richard Powers, José Manuel Prieto, Julián Rios, Marilynne Robinson, Olivier Rolin, Luiz Ruffato, Norman Rush, Boualem Sansal, Elif Shafak, Peter Sloterdijk, Sara Stridsberg, Gonçalo M. Tavares, Agata Tuszyńska, Stéphane Velut, Ivan Vladislavić, Yan Lianke.
Prolonger : Le Roman, quelle invention ! 2008, Christian Bourgois, "Titres", 2008 - Le Roman hors frontières 2009, Christian Bourgois, "Titres", 2009 - Lexique nomade 2009, Christian Bourgois, "Titres", 2009 - Lexique nomade 2010, Christian Bourgois, "Titres", 2010.
La troublante Madame Chiang

Agrandissement : Illustration 4

Journaliste et sinologue, Philippe Paquet consacre une copieuse biographie à l’étonnante Mayling Chiang Kai-shek, épouse du président de la République chinoise puis, après la victoire de Mao, de Taiwan. Étonnante parce qu’elle fut une véritable « femme d’État », qui circula sans trêve de par le monde pour assurer à la Chine un statut de grande puissance. Étonnante encore parce que, morte centenaire, elle incarna le vingtième siècle mais un vingtième siècle vu d’Asie. Étonnante enfin parce que, séduisante, elle rayonna en tant que femme et attira à elle bien des hommes sans que l’on sache vraiment quels sentiments l’unissaient à son mari.
Paquet raconte cette vie en s’appuyant sur un grand luxe de documents. Avec un sens éprouvé du récit, il nous fait découvrir un destin aussi complexe que riche d’intensité et de passion, estimant que Mayling Chang est une figure bien plus intéressante que son mari. Il excelle par ailleurs à humaniser son personnage en faisant toute la part au quotidien et à l’intime d’une vie. On découvrira par exemple combien son entreprenante héroïne était dévorée d’angoisses et de souffrances psychiques qu’elle n’a jamais cessé de somatiser. Dans tout cela, il est bien peu question de Mao-Zedong — que l’on voit tout de même apparaître sur une photo affublé d’un casque colonial. Et pourtant… JD
Philippe Paquet, Madame Chiang Kai-shek. Un siècle d’histoire de la Chine, préface de Simon Leys, Gallimard, 28 €.
Jacques Dubois & Christine Marcandier-Bry