
Sans doute n’avez-vous jamais entendu parler de Robin Black : Des nouvelles d’hier, son premier recueil de short stories, paru en 2010 chez Random House (sous le titre If I loved you, I would tell you this), déjà traduit en France et en cours de traduction dans cinq langues, l’impose pourtant comme l’une des voix majeures de la fiction américaine.

10 nouvelles – huit années d’écriture – dans ce recueil, autant de chocs pour le lecteur, placé face à ces moments de transition, de crise que la vie nous réserve, ces instants qui changent définitivement son cours, qu’il s’agisse d’espoir, de perte ou d’accidents.
Ainsi Jack Snyder, avocat de renom, marié depuis huit ans à une femme qu’il est «parvenu à continuer d’aimer», heureux, «et puis une bombe de peinture orange pourrie explose au visage de votre fille. Dans le garage d’un garçon qu’elle ne connaît pas vraiment». La vie continue, certes, mais. Dans ce «mais», tout ce qu’il faudra réapprendre : voir «alors que Lila ne voit pas», «continuer à parler, à parler, jusqu’à ce que l’enfant comprenne ce qu’aucun enfant de six ans ne devrait avoir à comprendre : ce que signifie exactement jamais». "Le Guide", première nouvelle du recueil, creuse ce «mais», onze ans après. La seconde explore un «si» : «si je vous aimais, je vous dirais ceci». Le «si» de la maladie, le cancer, qui réajuste les perspectives, les priorités.

Robin Black concentre ses nouvelles dans ces moments de bascule. Son trait, sa manière si particulière de toucher à l’intime, s’illustrent dans John Parker immortalisé. Dans cette nouvelle, une femme portraitiste, Clara, 70 ans dont le rapport à la peinture dit, en creux, celui de l’écrivain à la nouvelle : le refus de l’exhaustivité, la révélation par touches, progressives, retournements et chocs, mais aussi «considérer les traits d’un autre», «étudier sa texture particulière», forme de passion, de curiosité mais surtout un «besoin primitif caché en elle, quelque chose de comparable à la faim, la soif, le désir sexuel, l’instinct de survie», un visage qui devient pour le peintre, comme pour l’écrivain, «un portrait du temps lui-même. Le passé, représenté par l’identité qu’[une personne] est en train de perdre».
Robin Black se pose en héritière d’une histoire de la nouvelle : Carver, évidemment, mais aussi Alice Munro, Laurie Colwin, Lorrie Moore ou Leonard Michaels, dans cet art de sonder nos intimités, nos déroutes, nos manques, de dire ces riens qui changent nos existences, ces enjeux qui soudain s’imposent du passé. Robin Black étudie le couple («Le mariage est une drôle de chose. Même quand c’est fini. Peut-être surtout quand c’est fini»), l’identité, l’enfance, des hasards et coïncidences tels que tout devient absurde et drôle, même les moments les plus dramatiques ("De l’électricité dans l’eau"), «l’enchevêtrement» pour chacun de «ce qu’avait été <s>a vie "il-était-une-fois"». Comme Claire, prise entre son passé – le deuil soudain de son mari – et son avenir : sa fille adolescente quittera bientôt la maison, enchevêtrée dans ce double manque qui ne lui autorise aucun présent. Des nouvelles d’hier est un recueil à la fois puissant et lancinant, qui s’imprime en vous, s’impose et ne vous quitte plus. Robin Black : retenez son nom.
CM
Robin Black, Des nouvelles d’hier, traduit de l’anglais (USA) par Michel Marny, Flammarion, 321 p., 20 €