Les orientations données dès le début de son quinquennat par le Président de la République ont déçu bien des électeurs de gauche - et pas seulement les ralliés du second tour - qui ont voté Hollande en 2012. La déception est le revers de l'enthousiasme d'une élection qui, comme toute élection présidentielle, offre le plus souvent une caricature de débats tronqués cachant d'autres vrais débats occultés. Une illusion le temps d’une campagne, par des engagements qui finalement se retrouvent ré-interprétables au gré des circonstances comme autant de renoncements.
La politique économique et sociale du Président élu continuatrice du Président sortant à quelques nuances près ;
l'échec patent de sa politique de l'emploi malgré l'affirmation feuilletonesque, toujours démentie de « l'inflexion de la courbe du chômage » et la persévérance de choix économiques erronés ;
le renoncement sans mot dire à bien des engagements majeurs de campagne [lire ici] (fusion RDS/IRPP et prélèvement à la source, réforme du CSM, fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, assistance médicale en fin de vie, vote des étrangers aux élections locales...) ;
son entêtement à maintenir coûte que coûte des projets polémiques, coûteux et destructeurs, (Notre Dames des Landes, TGV Rhin-Rhône...) ;
le choix d'un Premier Ministre plus à droite que jamais, d'un ministre des finances venu directement de la finance ;
l'éviction des trublions Batho/Montebourg/Hamon/Filipetti qui avaient fait le pari illusoire d'un Valls à Matignon pour infléchir la politique économique et sociale ;
les affaires et démêlés judiciaires des pourris des affaires et de la politique avec, au sommet, l'ex-Ministre du budget Cahuzac.
Tous ces éléments ont creusé un divorce, un abîme avec cette partie de l'électorat de gauche qui n'attendait pas une si consternante évolution après le quinquennat d'un Sarkozy-bling-bling. Ni la loi sur les « carrières longues », ni la calamiteuse période conduisant à l'adoption de la loi sur « le mariage pour tous » n'ont rien changé. Ils ont amené une perte de confiance envers le Président, envers ce gouvernement, la classe politique au pouvoir dans son ensemble tandis que la composition du gouvernement évoluait sur une base des plus réduites. Ils ont fait exploser l'espérance d'une inflexion à gauche de cette politique.
Assurer sa réélection par tous les moyens quelles que soient les conséquences
Peu à peu, est apparu le seul objectif véritable d'un Président au plus bas dans les sondages dès le début de sa présidence : sa propre réélection à quelque prix que ce fut, par tous les moyens du jeu politicien. Un aspect choquant pour un démocrate qui rabaisse ainsi l'intérêt général, l'ambition politique, au seul niveau de son intérêt personnel maquillé à grand peine ; quelque chose de choquant de voir ces politicards se presser autour du chef suprême pour espérer, obtenir, garder un poste, une rente, un avantage ; quelque chose de choquant cette perversion du langage qui maquille tout, qui justifie tout par un stupéfiant déni du réel, avec une rhétorique huilée par les communicants à travers des éléments de langage stéréotypés. Perdre les élections municipales ? pas grave ; perdre les élections départementales ? pas grave ; perdre les élections régionales ? pas grave pourvu que soit assurée sa réélection ! Etre le champion de la démocratie au deuxième tour contre la Présidente du FN !
Du divorce à la loi sur le renseignement
Il y eut encore au printemps 2015, la loi sur le renseignement, réponse opportuniste aux attentats de janvier 2015, qui a manifesté une orientation liberticide, une loi dénoncée par l'ensemble des organisations, des organismes, des associations qui œuvrent pour les libertés concrètes, la démocratie vivante, les droits des citoyens et de l'homme... Dès le printemps 2015, cette loi a divisé la population, fracturé un peu plus la France et son peuple sous la pression d'une dérive extrémiste de la société française et de ses partis politiques du PS jusqu'au FN, la gauche menant une politique de droite, la droite appelant des mesures d'extrême-droite.
Du divorce à la politique tout-répressif liberticide …
Et il y eut ce 13 novembre de carnages et la réaction en urgence :
L'état d'urgence, décidé dans la nuit de l'urgence, prolongé dans la foulée pour trois mois par une écrasante majorité de l'Assemblée (hors six députés héroïques) incapables de se hisser au-dessus de l'émotion et de l'effroi ;
les assignations à résidence de toute personne qui pourrait, peut-être un jour, on ne sait jamais, basculer dans le « terrorisme », suspect désigné par ses voisins, fiches S bricolées dans le plus grand secret ;
les assignations de ces militants écologiques qui, à la faveur de la COP21 aurait pu gêner nos forces de l'ordre !
Les interventions brutales et nocturnes, parfois filmées, des forces de l'ordre ;
Les « « musulmans » dénomination-fiction aussi inexacte que commode pour désigner un à peu près de tous ceux qui pourraient être « basanés », « musulmans », « apparemment syriens ou irakiens » ou « réfugiés », bouc-émissaires faciles, sommés de condamner à tout propos, dans le même temps où les terroristes passés à l'acte sont français, bien français, où la carence des services secrets est manifeste si ce n'est au-delà [lire ici], celle de la coopération internationale de ces services tout aussi manifeste. Parce que des imposteurs se réclament sans connaître rien de l'islam quand ils ne sont que des tueurs masqués et paumés, incapables de penser et pourtant nos enfants [voir ici]! Ne sommes-nous pas aussi responsables d'eux ?
Bientôt la réforme constitutionnelle veut inscrire dans le marbre de la République, l'état d'urgence et la déchéance de nationalité ; bientôt la réforme pénale [lire ici], dont on apprend qu'elle pourrait passer par des ordonnances, pour donner aux forces de police et aux préfets, hors l'état d'urgence, l'essentiel des moyens administratifs de l'état d'urgence ! Un tour de passe-passe pour pouvoir proclamer le respect de l'état de droit. On tripatouille la démocratie pour que le droit coïncide avec l'arbitraire !
Pour les démocrates, la voie choisie est effrayante, lourde de menaces et de conséquences néfastes majeures : elle est celle de tous les régimes autoritaires et cette voie vient d'un gouvernement de gauche (enfin à l'origine le président a été élu par la gauche quand même !) Cette fois, c'est l'équilibre des pouvoirs qui est en cause, équilibre se trouvant modifiée dans la réforme constitutionnelle [lire ici]. La marginalisation du judiciaire, l'accroissement des pouvoirs des forces de répression (policiers, gendarmes, militaires déployés, douaniers) avec « l'irresponsabilité pénale [en cas de tir avec son arme] en état de nécessité », la modification de l'équilibre des pouvoirs au seul profit de l'exécutif oriente la République vers un pouvoir autoritaire.
En matière de sécurité, cette politique est dans le sillage d'une politique d'extrême-droite qui mêle arbitraire et pouvoir concentré par l'exécutif. Quelle irresponsabilité ! Quelle chance pour l'extrême-droite qui n'en espérait pas tant ! Quel danger extrême pour la démocratie et la République si un pouvoir encore plus autoritaire, plus extrême était élu en 2017 ! Quelle irresponsabilité devant l'Histoire ! Ouvrir les portes à toutes les aventures avec un arsenal répressif hors contrôle qui serait encore renforcé sans nul doute ! Quelles mesures encore plus autoritaires prendrait ce gouvernement si un ou d'autres attentats survenaient ? Jusqu'où pourrait aller cette politique liberticide ?
… au désespoir politique de commentaires excessifs ou extrémistes, résignés
Face à ces dispositions en cascade, bien des commentaires dans ce journal et dans d'autres ont traduit cet abîme dans un langage souvent caricatural, parfois extrémiste et violent, donnant la mesure de cette désespérance qui ronge, l'amertume, l'aigreur de celle ou celui qui s'estime trahit ; rancœur et blessure de l'impuissance et de la trahison. Bien des commentaires se sont lâchés, manifestant parfois jusqu'à la haine, ce cancer mortel pour la démocratie. Certains ont exprimé que nous ne sommes plus en démocratie, que nous ne l'avons jamais été. Propos outranciers qui signent plus le désespoir et la blessure que la réflexion et la responsabilité.
Suis-je encore démocrate et républicain, pénétré-e des valeurs de justice et de droit si j'épouse la haine, maquillage du dépit, du désespoir politique ? La haine, compagne de toujours de l'extrémisme quel qu'il soit.
Elle est effrayante cette politique, l'affaire est entendue mais là n'est pas mon propos. La question urgente c'est : Comment faire face ? Comment empêcher cette dérive de la République vers l'extrême ? L'affaire n'est pas faite. Aux démocrates de tout faire pour la refuser et la réorienter.
Oui il est possible par lucidité, par effroi, de se sentir désespéré, impuissant face ce mur d'inconséquences. Qu'est-ce qui nous désespère finalement ?
Sommes-nous désespéré-e-s de n'avoir pas vu venir ou d'avoir vu venir ?
Sommes-nous désespéré-e-s alors que nous nous croyons vaccinés contre les illusions des politiques ?
Sommes-nous désespéré-e-s parce que nous ne savons plus quoi faire ? Parce que nous imaginons que nous allons dans le trou noir irrésistiblement ?
L'inflexion des commentaires vers un rejet plus ou moins haineux (avec toutes ses gradations, d'excessif à extrémiste) de tous ceux qui bougent, qui proposent, même modestement, se sont multipliés. Ce n'est ni une expression politique ni une expression responsable, seulement émotive.
Est-il possible, malgré le désespoir politique, de garder la tête froide, son sang-froid, de penser la situation plutôt que de se perdre en invectives tous azimuts ? Bon, un peu de désespoir, passager, ponctuel c'est assez compréhensible mais au-delà, c'est regarder passer les trains ou la caravane, c'est abandonner un combat nécessaire, déserter le combat pour la démocratie en un moment crucial, face aux dangers : déserter. L'ennemi ne sont pas des personnes mais l'extrémisme et d'abord celui qui sommeille en nous (endogène) prêt à s'auto-justifier par l'extrémisme exogène. Hollande justifie sa politique extrémiste par l'extrémisme du terrorisme. Certains commentaires justifient leur extrémisme par l'extrémisme de Hollande etc... on n'en finit plus.
Désespérer face à cette situation qui présente le double danger de la menace terroriste et d'un pouvoir liberticide autoritaire c'est renoncer à éviter le pire, se replier dans une fatalité comme certains dans l'Histoire se sont résignés alors que d'autres se sont levés souvent bien seuls au début d'un combat perdu d'avance qu'ils ont gagné. La résistance est à l'opposé de la résignation. La fatalité n'est pas de gauche ! Plus que cela, elle n'est pas républicaine ! Se résigner NON ! Se résigner c'est hâter le pire, auto-justifier son regard défaitiste en considérant la menace comme échéance inévitable.
Face à ce double défi, résister, sans haine, avec intelligence
Cette épreuve historique - menace terroriste/ réponse tout-sécuritaire - peut amener un désastre démocratique aux conséquences nationales et européennes incalculables. Elle nous appelle à surmonter, rejeter, dépasser la résignation désespérée qui n'est que facilité et paresse de la pensée, énergie gaspillée.
Elle nous appelle au contraire à entrer en Résistance pour trouver les voies de sorties positives d'une situation inédite et durable pour engager une dynamique fondatrice d'une nouvelle République ancrée dans des valeurs de justice, d'égalités, de libertés et bien plus de fraternité avec la sécurité que donne le peuple en marche.
Pour quoi refonder la République ? D'abord pour en finir avec l'extrémisme, tous les extrémismes d'où qu'ils viennent et toutes ses auto-justifications ! Renoncer à son extrémisme c'est pouvoir lutter contre les extrémismes pour les valeurs de la République. L'extrémisme ne combat pas l'extrémisme elle le nourrit, elle s'en nourrit. Ceux qui cèdent à ces sirènes toxiques sont des égarés, néanmoins responsables de leurs actes et de leurs écrits.
Refonder la démocratie, la République
« Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent » a écrit Victor Hugo lui qui s'est tant battu contre l'abolition de la peine de mort, un autre combat perdu d'avance ; c'est l'intelligence et l'obstination d'un Robert Badinter pendant tant d'années, même combat perdu d'avance pourtant gagné en 1981 ! Jamais dans une période contemporaine depuis la guerre d'Algérie, peut-être même depuis l'Occupation, la lutte pour la démocratie n'aura été aussi urgente et vitale, lutte sans haine, sans violence avec la froide détermination de l'intelligence, l'implacable détermination de ceux qui se battent pour une idée redevenue révolutionnaire : Refonder la démocratie, refonder la République d'abord en s'opposant à la réforme constitutionnelle, à l'arbitraire d'un état policier basé sur la présomption de culpabilité, l'éventualité d'un futur criminel possible !
La sécurité n'est pas le tout-sécuritaire, le tout-répressif, nouvelle ligne Maginot qui affaiblit la Nation et la République sans pour autant assurer une sécurité optimale. Nous sommes entrés dans un nouveau monde où la menace terroriste est réelle, sanguinaire et durable peut-être même au-delà de Daech comme il en est désormais dans ces guerres asymétriques où le plus faible, combat par le terrorisme et l'attentat. La seule réponse répressive conduit inexorablement à un état autoritaire qui liquiderait nos libertés sans assurer réellement la sécurité. Il y eut assez de lois scélérates votées dans notre Histoire pour s'en convaincre.
Nous avons à apprendre à vivre avec nos libertés avec lucidité sous la menace durable qu'aucun dispositif législatif et répressif ne peut totalement écarter. Nous devons apprendre à vivre avec nos libertés publiques en se mobilisant par l'intelligence, le débat, l'inventivité citoyenne pour plus de démocratie vivante : mobiliser les ressources de la mobilisation populaire non déléguées exclusivement aux forces répressives sous contrôle judiciaire et non préfectoral ; une mobilisation non dictée par la peur ou l'émotion mais par la force des idées d'une Nation debout. La manifestation du 11 janvier suite à l'attentat contre « Charlie-Hebdo » était une Nation debout mobilisée.
Il est vain de chercher la martingale d'un combat gagné d'avance, d'un moyen infaillible pour revenir à un statu-quo ante d'une société minée depuis plus de quarante ans par la corruption, les conflits d'intérêts, le clientélisme, la démagogie, l'intérêt personnel noyé dans des discours vertueux, les carrières politiques sans fin, carrières trop souvent fondées sur la seule ambition personnelle camouflée en intérêt supérieur, de compromissions et de vases communicants entre financiers et politiques. A ce titre, les attentats et les réactions de ceux qui nous gouvernent sont un accélérateur de décomposition de la démocratie et non la décomposition elle-même commencée il y a bien longtemps dès le référendum organisant l'élection du Président au suffrage universel de 1962 voire dès l'avènement de la Vème République en 1958.
Il n'est plus temps de dénoncer le Pouvoir, ses « acolytes », les politiques. Il n'est plus temps d'annoncer l'apocalypse démocratique. Il n'est plus temps de se complaire dans un extrémisme verbal, stérile, finalement compatible pour ne pas dire complice.
Il est temps de se dresser dans l'action pour faire face à ce défi qui nous est imposé : le désastre démocratique ou la régénérescence de la République et de la démocratie, de la Justice et du droit, des valeurs républicaines affirmées dans les choix, dans les actes, des femmes et des hommes qui nous représentent et nous gouvernent.
Utopie ? Les philosophes des Lumières aussi étaient des utopistes. De Gaulle de juin 40 était un utopiste. Les Résistants sous l'occupation étaient des utopistes, Gandhi, Mandela également comme tant d'autres. L'Histoire est en marche. Elle n'est pas écrite. L'utopie de la démocratie est une marche, une force, un combat. A nous de l'amener vers la lumière et rejeter ces ténèbres qui s'avancent.
Pour la réflexion, l'action, la solidarité de tous les démocrates
En rejetant l'extrémisme, en rejetant l'anathème, en ouvrant l'action et la réflexion à tous, en agissant pour la mobilisation du peuple républicain, les vrais démocrates dont certains politiques sauront faire entendre leurs voix discordantes et justes. Des recompositions politiques deviennent probables dans une coalition démocratique. Le peuple républicain qui tient aux libertés, s'émancipera peu à peu, peut-être plus vite qu'espéré, des politiques de la peur.
Inventons les formes locales et nationales de cette coalition démocratique. Un appel est lancé pour un « Conseil d'urgence citoyenne » articulé avec des « comités locaux d'urgence citoyenne » (surtout pas des milices parfois initiés par quelques municipalités). Rien n'est dicté, tout est à inventer dans l'union des forces et des énergies démocrates [lire ici]. Et si cette initiative ne débouche où vous vivez, il y aurait encore d'autres espaces à explorer, à inventer pour une mobilisation des forces vives de la Nation : Défense Nationale et non état policier.
Levons-nous ! Participons, organisons ces « comités de vigilance citoyenne ». Usons de notre parole, responsable, patiente, confiante, non pour démoraliser, démobiliser, désespérer mais pour mobiliser, expliquer, proposer, agir. Utilisons tous les réseaux et canaux d'information, tous les médias possibles, les réseaux sociaux pour diffuser, informer, écouter, proposer, rebondir, agir.
En rejetant la haine, l'aigreur, la désespérance, en construisant des ponts d'échanges entre les citoyens dans la richesse des différences, les "conseils d'urgence citoyenne" ou d'autres formes de débats et d'actions peuvent participer à la construction d'une autre vie démocratique que nous voulons, que nous devons construire pour rejeter les ténèbres de la haine et de l'arbitraire.
Serge Escalé [ici] - Georges...[ici]
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