Genèse du chaos Moyen–Oriental (Suite 4 ).
[Article précédent, lien https://blogs.mediapart.fr/edition/lescarbille/article/030217/genese-du-chaos-moyen-oriental-iv ]
B. L’Empire US contre le Droit International
VII- Rappel de la situation.
Les USA – ainsi qu’il est montré dans les précédents billets – se sont affranchis du Droit International. L’OTAN dont la raison d’être était de contrer «le Pacte de Varsovie » -celui-ci est mort en même temps que l’URSS - s’est converti, au pied levé, en second couteau des USA pour imposer « la loi du plus fort » dans le cadre de la Doctrine Carter visant à s‘accaparer des richesses du pétrole moyen-oriental, renforcer les pays alliés – Israël et l’Arabie Saoudite- et déstabiliser les autres.
Comme il a été démontré https://blogs.mediapart.fr/edition/lescarbille/article/281216/moyen-orient-genese-du-chaos-et-si-y-regardait-de-plus-pres, le but du jeu , pour les USA , n’est pas la colonisation « à la grand-papa », ce n’est pas, non plus, investir et s’investir dans les gisements pétroliers directement – c’est trop dangereux , ils y risqueraient inutilement leurs capitaux et la vie de leurs concitoyens – non, on téléguide et sous-traite façon « Roi des roitelets , faiseur de roitelets » :l’essentiel est que la pompe à dollars maintienne, sans heurts, son mouvement perpétuel au bénéfice des USA d’abord , des USA surtout .
VIII- Recyclage de la célèbre «théorie des dominos» de l’ère de la guerre froide
Mark Danner , journaliste au « New-York Times » , écrivait , en octobre 2002http://www.nytimes.com/2002/10/09/opinion/the-struggles-of-democracy-and-empire.html,, que : « l’essentiel de la confusion entourant le débat sur l’Irak[ résultait] du contraste entre l’inconsistance des justifications avancées [à l’encontre de ce pays] et la précision de l’entreprise de géopolitique élaborée qui motivait l’administration Bush (…) » .
Rappelons que le rapport officiel de la CIA concluait à la culpabilité de Bin Laden et d’Al-Qaeda dans l’attentat du 11 septembre 2001 et que leurs alliés, les Talibans, se trouvaient en Afghanistan.
Or, Selon Paul Wolfowitz, cité par Mark Danner http://www.nybooks.com/articles/2013/12/19/rumsfelds-war-and-its-consequences-now/« (…) L’Afghanistan ne serait pas un endroit particulièrement intéressant pour mener une guerre et ce, dans la mesure où ce pays est si primitif, qu’il ne possède guère de cibles ; l’Irak, lui, présente de nombreux objectifs et partant, permettra une action militaire qui tournera à la démonstration de la puissance US (…)».
Ainsi donc, ce ne fut pas la culpabilité de l’Irak qui le désigna à l’immolation : c’est sa vulnérabilité manifeste et ses nombreuses cibles potentielles qui firent de lui le « bouc émissaire » sacrifié sur l’hôtel de la guerre préventive de G.W. Bush et ce, pour l’exemple. Car, dans cette phase du déroulement de la Doctrine Carter - consistant à s’accaparer le Moyen-Orient pétrolier - graver dans l’esprit de tous, amis et ennemis, par une démonstration éclatante, l’image de la puissance américaine, désormais hégémonique, était capital pour la suite du plan prévisionnel explicité ci-dessous par le Général Clarke et par Paul Wolfowitz lui-même.
Citant Paul Wolfowitz toujours, Mark Danner poursuit http://www.nybooks.com/articles/2013/12/19/rumsfelds-war-and-its-consequences-now/ : «l’intervention américaine ferait de l’Irak« la première démocratie arabe(…)» .On envisage même un Irak post-Saddam Husseïn, séculier, de classe moyenne, enrichi par le pétrole , qui viendrait remplacer l’autocratie saoudienne comme clé du dispositif allié des USA au Moyen-Orient [cela éloignerait les forces américaines des lieux saints de l’Islam et satisferait bon nombre de pays musulmans qui regimbaient ]. La présence de l’armée US victorieuse en Irak agirait alors comme un élément dissuasif sur le voisin iranien, le forcerait à la modération et l’obligerait à se débarrasser des Mollahs. Une telle évolution à Téhéran entraînerait la suppression de l’aide iranienne au Hezbollah libanais et partant, isolerait la Syrie et réduirait la pression autour d’Israël. Cet affaiblissement des radicaux sur la frontière nord d’Israël et à l’intérieur de la bande de Gaza entraînerait la fin de Yasser Arafat et conduirait à une solution favorable du conflit israélo-arabe ».
Mais ce n’est pas tout. Le Général Clarke témoigna https://www.youtube.com/watch?v=zXcu29fFs2Mque “ [pour faire court, allez à la minute 1:20/8:24] : “(…) avons-nous établi un lien entre Saddam Hussein et les attentats du 11 septembre? “Non” me répondit-il. (…)” Sommes-nous sur le point de faire la guerre à l’Irak? “C’est pire! Voici le mémo qui décrit comment nous allons nous y prendre pour éreinter 7 pays en 5 ans en commençant par l’Irak, puis la Syrie , puis le Liban , puis la Lybie puis la Somalie , puis le Soudan et pour finir l’Iran.”
La guerre en Irak, bien après que le Président G.W. Bush l’eut déclarée gagnée, se poursuivit.Volontairement mise à l’écart des affaires d’après-guerre par Paul Bremer, « proconsul » américain, l’armée résiduelle de Saddam Hussein – la composante d’extraction sunnite, du moins –violemment renvoyée à son obédience religieuse, se replia sur ses bases tribales et finit par créer DAESH en s’alliant avec les « Djihadistes » en provenance de tous les continents. DAESH a manifestement fait sienne la proclamation de Charles Masson selon laquelle « il vaut mieux être roi, même d’un royaume de bidonvilles », en l’occurrence,d’un pays en ruines et d’un peuple martyr éparpillé sur les routes du monde, en butte, au quotidien, à une révoltante négation de son humanité (un mépris et un reniement flagrants des conventions et protocoles relatifs au statut des réfugiés http://www.unhcr.org/fr/4b14f4a62)
Les troupes US s’enlisèrent peu à peu : une résistance farouche transforma de nombreuses cités en « Beyrouth de la fin des années 70 ».Le nombre grandissant de cercueils de militaires US arrivant en Amérique sema le doute. L’armée d’occupation s’exposa de moins en moins et finit par se retirer, en 2011, laissant derrière elle un pays dans un chaos indescriptible : ce n’était franchement pas le résultat escompté par les boutefeux du « groupe Vulcain ».
IX- L’Afghanistan, le retour.
Un autre conflit fut impulsé par les USA, durant cette période : la lutte contre les Talibans afghans. Là aussi, dans un premier temps, la guerre fut déclarée gagnée car, dès les premiers bombardements, comme une volée de moineaux, les Talibans abandonnèrent le pays – dans le sillage de la moto du mollah Omar, leur chef - pour les zones tribales à la frontière pakistanaise. Cette fuite fut considérée comme la preuve de leur faiblesse .Cependant, le Pentagone n’allait pas tarder à regretter de les avoir sous-estimés. Et ce, d’autant plus que la dispendieuse guerre d’Irak – « essorant » totalement le budget militaire US - priva le Front Afghan du « nerf de la guerre » et partant du matériel sensible indispensable : l’assaillant devint l’assiégé : maître de l’Afghanistan le jour- interposant toutefois des « harkis » afghans- il s’enfermait, la nuit venue, dans Kandahar et ailleurs.
A l’Irak et l’Afghanistan s’ajouta la crise systémique de 2007 .La récession s’installa durablement, balayant les rustines apposées par les grands argentiers ici et là sur un « radeau de la méduse » destiné au sauvetage du système et des banques. Ces dernières, responsables du scandale des surprimes, sachant la quantité phénoménale de produits dérivés toxiques injectés dans les circuits financiers, en arrivaient à se claquemurer et éviter les échanges entre elles – échanges qui, en temps normal, sont leur quotidien. Parmi ces rustines, le « quantitative easing », vendu comme nouvel outil, mais qui n’avait de nouveau que le nom : il consistait à faire tourner la planche à dollars, désormais une addiction US.
Aux yeux des électeurs américains – aux USA, l’économie est la faiseuse de rois - G.W.Bush passait pour responsable du chaos économique et de la dépression : cela hypothéqua les chances des Républicains aux présidentielles. En outre, la gestion de la guerre d’Irak s’était révélée extrêmement coûteuse : elle fut ruineuse sur le plan financier et impacta sévèrement l’image de marque et le prestige des USA. Tout cela simplifia grandement la tâche du Parti Démocrate et du candidat Obama en 2008.
Aux yeux d’Obama, la guerre d’Irak fut une erreur, mais pas celle d’Afghanistan. Aussi dès sa prise de fonction promit-il de mettre fin à la première et de gagner la seconde.
Focalisant l’attention de l’opinion sur le « clou » afghan qui devait chasser le « clou » irakien, Obama éluda la question de l’illégitimité des guerres nées de la Doctrine Carter .Quoi qu’il en soit, l’électeur américain fut une fois de plus, sinon mystifié, du moins frustré d’un débat salutaire. À peine ce dernier esquissé que déjà Obama détournait l’attention de tous.
L’homme se révéla un maestro du «jeu de bonneteau lexical ». Dans son discours du Caire, il en appela à une nouvelle ère dans les rapports des USA avec l’Islam ; Il promit en outre le respect des lois, la démocratie, la promotion des droits des femmes et le retour de la croissance. "Yes, we can ! " clamait son slogan ravageur . Chacun entendit ce qu’il voulut entendre. Et, jusqu’à ceux d’Oslo qui crurent voir en lui l’archange de la paix : énamourés, ils lui décernèrent, aussitôt, le Prix Nobel.
Mais, bientôt, la guerre reprit de plus belle en Afghanistan et jusque dans les zones tribales pakistanaises où les bombardements firent de nombreuses victimes civiles. Robert Gates, patron du Pentagone, en accord avec Obama, accrut de 50% les effectifs engagés dans ce pays. Le général Mac Chrystal, nouveau commandant en chef, fut chargé de mettre sur pied un plan d’ensemble coordonnant les efforts de l’Armée US et ceux de l’OTAN. Il se faisait fort de protéger le peuple, de gagner sa confiance et de lui reconstruire un état.
Dans son discours aux cadets de West-Point, en 01décembre 2009,https://www.youtube.com/watch?v=3u4eWnd9_NQObama annonça une augmentation des subsides destinés à l’Afghanistan, ainsi qu’un envoi de 30 000 hommes de troupes supplémentaires. Ces moyens devraient contrer l’insurrection talibane, sécuriser la population et former les forces armées indigènes qui seraient ensuite injectées dans les combats.
Il rappela en outre que [minute 2 :52/8 :54] « Juste quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001, le congrès autorisait l’emploi de la force contre Al-Qaeda et ceux qui lui donnaient asile (…) l’Otan invoquait l’article 5 de son traité selon lequel une attaque contre un de ses membres serait une attaque contre tous les membres de l’organisation ».
Remarquons que le Congrès et l’OTAN avaient désigné comme objectif Al-Qaeda et ses alliés Talibans. Pourquoi l’Irak, alors ?
Sous le trop-plein de cynisme de ces propos, les légions d’orphelins - résultant de la guerre préventive de G.W.Bush en Irak - l’indignation frémissante et la douleur lancinante, ne pouvaient qu’accuser le coup : que n’aviez-vous, messieurs les maîtres autoproclamés du monde, démiurges inconséquents, puni les Talibans afghans et Al-Qaeda que, déjà, vous saviez coupables de porter assistance à une organisation criminelle ! Pourquoi le martyr des enfants d’Irak dont la CIA même attestait l’innocence ?
X- L’autisme américain.
Les USA étaient attaqués. Infime fut le nombre d’Américains qui esquissa un doute quant à la légitimité de la guerre américaine pour le Moyen-Orient pétrolier .Il ne vint pas à l’esprit de beaucoup de se demander : ces attentats du 11 septembre 2001 ne seraient-ils pas une sorte de ‘‘retour de boomerang’’, après tant d’années d’injustice ?
Le 24 septembre 2001, Susan Sontag osa fustiger cet autismehttp://www.newyorker.com/magazine/2001/09/24/tuesday-and-after-talk-of-the-town. ; elle écrivit dans le New Yorker“la déconnexion entre les monstrueux [attentats du 11 septembre] et les radotages d’autojustification et les tromperies manifestes colportés par des responsables publics et des commentateurs de télévision, sont effrayants et déprimants. Des officiels suivant les évènements semblent fusionner dans une campagne d’infantilisation du public ». Croyez–vous qu’ils aient faitamende honorable et « montré enfin qu’il ne s’agit pas d’une « lâche » attaque de notre « civilisation » de notre « liberté » de notre « humanité » ou de notre « monde libre »mais qu’il s’agit plutôt d’une attaque contre un superpouvoir mondial , autoproclamé, d’une réaction à des agissements et des alliances américains spécifiques ».
Quoi qu’il en soit, pour Washington, les choses étaient et sont claires : éliminer par la guerre préventive tout obstacle, apparent ou avéré, à l’expression de son pouvoir hégémonique.