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Billet de blog 29 août 2010

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Droit au séjour des travailleurs étrangers: ça casse ou ça casse

Début août nous posions la question: les 6769 étrangers grévistes seront-ils vraiment régularisés? Réponse un mois plus tard: on n'en prend pas le chemin. Seront-ils 677?... 68?... ou 7? Et parmi les salariés non grévistes, dont le cas sera traité plus tard, combien réussiront? En novembre 2009, le ministre de l'immigration tablait sur 500 à 1000 régularisations, alors que ces travailleurs se comptent plus probablement par centaines de milliers.

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Début août nous posions la question: les 6769 étrangers grévistes seront-ils vraiment régularisés? Réponse un mois plus tard: on n'en prend pas le chemin. Seront-ils 677?... 68?... ou 7? Et parmi les salariés non grévistes, dont le cas sera traité plus tard, combien réussiront? En novembre 2009, le ministre de l'immigration tablait sur 500 à 1000 régularisations, alors que ces travailleurs se comptent plus probablement par centaines de milliers.

Le contexte est connu: il faut bloquer l'invasion qui menacerait notre beau pays et décourager ceux qui, étant passés entre les mailles du filet, persistent à vouloir y vivre et y travailler. Donc, de révisions en remaniements de la loi, on serre la vis. On en expulse une partie et on fait peur aux autres, en maintenant sous pression toute une population installée à son corps défendant dans le séjour irrégulier.

On arrive ainsi à la situation rocambolesque de travailleurs pauvres, omniprésents dans les activités non délocalisables de grands groupes, de PME, de particuliers (bâtiment, services aux familles, restauration, nettoyage, sécurité), salariés et payant toutes les taxes afférentes, sans grand espoir de retour de la solidarité sociale, puisqu'ils n'ont pas le droit au séjour. Avec, au passage, une pression à la baisse sur la dignité du travail, puisque leur situation les contraint à accepter des conditions de travail et de salaire que refusent ceux qui peuvent se le permettre.

Alors, puisque l'on prétend aussi lutter contre le travail illégal, on a ajouté dans la loi de 2007 un article qui devait permettre d'autoriser le séjour de ces travailleurs. En janvier 2008, une circulaire adressée aux préfets par le ministre de l'immigration précisait les conditions d'application de la loi. Des instructions si bien conçues que le Conseil d'Etat a partiellement annulé la circulaire en 2009. En novembre 2009, nouvelle circulaire, affublée d'un "Document de synthèse des bonnes pratiques des services instructeurs", c'est à dire les préfectures, auxquelles le ministre de l'intérieur, vers 2003 ou 2004, avait déjà recommandé d'exercer pleinement leur liberté d'appréciation des situations.

Tout cela permit quelques régularisations spectaculaires dans les cuisines de restaurant huppés, et beaucoup de refus avec obligation de quitter le pays, dans une imprévisibilité totale pour les intéressés. Cela provoqua aussi un espoir et, en avril 2008, un premier mouvement de grève puis, devant le manque de résultats, un rebond d'octobre 2009 à juin 2010. Une grève historique par sa durée, son ampleur (plus de 6700 grévistes de 40 départements) et le regroupement inédit de onze syndicats, mouvements et associations pour les soutenir. Les grévistes et leurs soutiens considèrent ce mouvement comme un conflit du travail, puisqu'il s'agit de donner à ces travailleurs, discriminés par l'interdiction de séjour, les mêmes droits qu'aux autres.

Les discussions avec le ministère du travail supervisées par le ministère de l'immigration conduisirent finalement ce dernier à produire le 18 juin 2010 un "Addendum au document de synthèse" et un calendrier. Les grévistes doivent déposer leurs dossiers, comportant une promesse d'embauche, entre le 1er juillet et le 30 septembre et les autres salariés ont jusqu'au 31 mars 2011.

Résumons: un article de loi en novembre 2007, une circulaire de janvier 2008 qui sera annulée, une nouvelle circulaire en novembre 2009 avec une annexe de "bonnes pratiques" non impérative, et finalement une extension de cette annexe, publiée le 18 juin pour entrer en application dès le 1er juillet suivant. On pouvait difficilement faire mieux pour que rien ne marche.

Et, bien entendu, c'est ce que l'on observe.

Les syndicats et les autres soutiens de la grève ont relevé le défi de leur impréparation supposée et plusieurs centaines de dossiers complets ont déjà été déposés. C'est que la longue durée de la grève avait été mise à profit pour anticiper ces dépôts en préparant les dossiers - pour chacun, des dizaines de photocopies de fiches de paie et autres documents administratifs montrant l'intégration dans la société française.

Du côté de l'administration, la préparation ne semble pas être au rendez-vous. Ou faut-il parler d'impréparation organisée?

=> Selon les instructions du ministère de l'immigration, les dossiers doivent être déposés au ministère du travail, plus précisément dans la "direction régionale des entreprise, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi" (DIRECCTE) dont relève le lieu de travail. C'est une réponse à l'exigence des syndicats. Pour eux, "il s'agit d'une régularisation par le travail et, de plus, les DIRECCTE ont une appréciation de terrain sur les entreprises". Après visa par la DIRECCTE en question, le dossier repart à la préfecture du lieu de résidence de la personne, pour que lui soit délivrée une première autorisation lui permettant de reprendre le travail, en attendant le résultat de l'étude de son droit au séjour. Mais la préfecture de police de Paris a refusé d'appliquer cette disposition, et l'on entend dire que d'autres préfectures songent à lui emboiter le pas, ce qui va sûrement tout simplifier.

=> A Paris, près d'un millier de dossiers ont été déposés en plusieurs fois par les syndicats. Malgré les contacts répétés pris par les syndicats, impossible d'obtenir la moindre information sur leur examen. C'est l'été, le personnel, déjà insuffisant en temps normal, est sans doute en partie en congé. Rappelons que les délais de dépôt ont été fixés par le gouvernement. A en juger par un rapport de la CFDT de Bobigny, les conditions de travail de certains services de étrangers sont étiques (sans h).

=> La publication de l'Addendum était accompagnée d'engagements oraux pour une certaine souplesse sur les dossiers difficiles (travail au noir, prise en compte de la période de grève, ancienneté de séjour inférieure à cinq ans mais travail, …). A l'encontre de ces accords, la préfecture de police de Paris empile les demandes de documents supplémentaires. Les syndicats, en particulier la CGT, sont dans une négociation très dure, et ils doivent en plus tenter de faire digérer aux délégués des grévistes qu'après l'énorme effort de leur grève, les accords oraux obtenus peuvent se révéler sans valeur. Un travail de titan que les onze et quelques militants assurent dans leurs heures de temps libre.

=> Malgré la distribution par le ministère de l'immigration d'un texte assurant que les grévistes peuvent reprendre immédiatement le travail et qu'ils ne doivent pas être expulsés, les arrestations de grévistes, avec menace d'expulsion, sont fréquentes. L'intervention des militants parvient à les sortir de la nasse, mais la pression est là. Et puis, accessoirement, cela permet aux membres des forces de l'ordre de bien figurer dans la politique du chiffre (appelée "batonnite" à la Police de l'Air et des Frontières de Guyane, car tous les soirs, les policiers dessinent des barres sur un tableau pour chiffrer leurs arrestations de la journée).

Une partie des travailleurs a du mal à retrouver une promesse d'embauche à joindre à son dossier. On peut incriminer la crise, mais on sait aussi que certaines entreprises, apparemment sans craindre les fortes condamnations prévues par la loi, les ont déjà remplacés... par d'autres sans papiers.

Pour les anciens salariés du bâtiment, le ministère du travail pourrait peut-être leur trouver quelque chose du côté de l'île d'Arros?

Martine et Jean-Claude Vernier

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