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Journaliste engagé pour l'Ecole. Fondateur et rédacteur en chef (2001-2023) du Café pédagogique.

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Billet de blog 2 juillet 2025

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Violences : Le rapport Vannier Spillebout appelle un important travail législatif

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La violence "un produit d'appel"

Illustration 1
F Keloua Hachi, P Vannier et V Spillebout © Flux vidéo de l'Assemblée nationale

"On est à un moment ou nous pourrions changer les choses à travers la loi". L'imposant rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale pilotée par P. Vannier (LFI) et V. Spillebout (EPR) atteste du très important travail réalisé. En un trimestre, les rapporteurs ont multiplié les auditions, les déplacements en régions et les consultations d'archives. Ils n'ont pas toujours trouvé de la bonne volonté, par exemple dans les directions du ministère de l'Education nationale ou dans certains établissements catholiques. Mais l'horreur des violences subies par des milliers d'enfants, le soutien des victimes, leur ont donné l'énergie pour aller au bout de l'enquête et de cet imposant travail.

Même si le rapport parle longuement des violences exercées dans des établissements catholiques, il ne vise pas particulièrement l'enseignement catholique. Il montre que la violence sur les enfants fait partie de l'héritage de l'Ecole, y compris l'école publique. Il rappelle que c'est un héritage vivant : des violences sont encore exercées sur des élèves dans des établissements publics : 1198 faits recensés en 2023-2024 dont 280 faits de violences sexuelles.

Mais l'affaire de Betharram, point de départ de la commission d'enquête, atteste que ces violences ont pris une proportion particulière dans l'enseignement catholique. Les rapporteurs montrent par exemple l'importance de la culture de l'omerta dans le privé, beaucoup plus forte que le "pas de vague" du public. Les auditions des représentants des personnels du privé et du public avaient été très claires là dessus.

La discipline violente dans certains établissements catholiques a pu être "un produit d'appel" pour attirer les parents. Les pouvoirs étendus des chefs d'établissement catholiques et la large autonomie dont ils disposent, fort bien analysés dans le rapport, ont facilité les dérapages violents plus qu'ailleurs. La loi Debré , reconnaissant le "caractère propre" des établissements, fait obstacle aux controles.

Changer les rapports entre l'Etat et le privé

De nombreuses recommandations concernent donc l'enseignement catholique. Les rapporteurs veulent d'abord remettre de l'ordre dans la gestion des relations Etat - privé. Dans un précédent rapport, réalisé avec C Weissberg, P. Vannier avait pu montrer que la réalité de la gestion de l'enseignement catholique s'est affranchie des textes de loi.

Le rapport Vannier Spillebout demande que la gestion du privé passe de la Direction des affaires financières du ministère à la Dgesco. Ce changement n'est pas symbolique. C'est assimiler le controle des établissements sous contrat à celui des établissements publics. Dans le même esprit, ils demandent que les recteurs signent les contrats des établissements privés. Le rapport Vannier Weissberg a montré que les contrats, actuellement signés par le préfet, ne sont pas un instrument de gestion pour l'éducation nationale. La plupart d'ailleurs ont matériellement disparu. Etablir une signature annuelle des contrats par les recteurs c'est faire des contrats des instruments administratifs et inverser le lien de dépendance. C'est aussi une façon de contourner le Secrétariat général de l'enseignement catholique. Cette instance non prévue par la loi Debré se comporte en "ministre bis" de l'éducation nationale pour les rapporteurs. Avec un contrat annuel au niveau local, la gestion des établissements privés sera controlée au lieu de disparaitre dans le brouillard du Sgec.

Sauter l'obstacle du caractère propre

Un autre point important concerne le "caractère propre" des établissements. Depuis la loi Debré, il permet au SGEC et aux établissements de s'opposer au controle de tout ce qui n'est pas heure d'enseignement. Les auditions des inspecteurs et les documents recueillis par la commission montrent que c'est un véritable rempart dressé par les établissements. Le rapport demande de " conforter dans la loi la possibilité pour les inspecteurs de contrôler la vie scolaire et adresser une circulaire à l’ensemble des chefs d’établissement de l’enseignement public et privé sous contrat pour rappeler le périmètre des contrôles et les prérogatives des inspecteurs". Il demande aussi des controles périodiques (tous les 5 ans) des établissements privés alors que le rapport Vannier Weissberg a montré qu'un établissement était controlable tous les 1200 ans ! Les internats seraient contrôlés tous les ans.

Autre modification substantielle :l'exemple de Betharram montre le role de filtre de l'association unique de parents d'élèves du privé, l'Apel. Le rapport demande le pluralisme des associations de parents d'élèves dans le privé. Il demande aussi que les gestionnaires du privé, qui sont l'autorité officielle des établissements, aient accès aux casiers judiciaires de tous leurs salariés.

Libérer l'Inspection

D'autres recommandations concernent l'Education nationale. Et d'abord les corps d'inspection. " L’indépendance des inspecteurs généraux pourrait être affectée, dans les années à venir, par leur affaiblissement statutaire", précise le rapport. "La réforme de la fonction publique, si elle dépasse largement l’éducation nationale, a mis en extinction le corps des inspecteurs généraux au 1er janvier 2023, remplacés par le détachement sur des fonctions d’inspection générale d’agents relevant d’autres corps et de contractuels. Alors qu’auparavant, l’appartenance au corps des inspecteurs généraux était une garantie pour effectuer des aller-retours sur d’autres missions au sein de l’administration, tout en ayant une place à l’inspection générale, la réforme tend à favoriser le passage temporaire au sein de celle-ci, rendant les agents concernés – pour l’essentiel des administrateurs de l’État – davantage tributaires, pour la suite de leur carrière, de l’appréciation qui aura été portée sur eux par leurs supérieurs hiérarchiques successifs". Le rapport demande de donner à l'Inspection générale "un pouvoir collégial d'autosaisine" qui lui permette de s'affranchir du controle de la cheffe de service. Il rappelle par exemple la manipulation par C Pascal lors de la transmission du rapport sur Stanislas.

D'autres recommandations concernent les inspections académiques chargées de controler les établissements privés. Le rapport veut " clarifier et mettre en cohérence les règles régissant l’inspection et le contrôle des établissements : prérogatives des différents acteurs, critères d’intervention, etc. (article L.241-4 du code de l’éducation notamment)". Il s'agit de préciser le champ des contrôles obéré aujourd'hui par le "caractère propre" qui empêche par exemple le controle des internats. D'autres recommandations demandent des règles pour l'écoute des élèves lors des contrôles, leur caractère inopiné.

Assurer les signalements

Le troisième axe concerne les victimes et les signalements. Les auditions ont montré qu'il n'y a aucun suivi des signalements effectués aussi bien dans le public que dans le privé. Et que la culture hiérarchique pèse sur l'opportunité de faire ces signalements. Aussi les rapporteurs demandent la création de Signal Educ, une cellule nationale dédiée aux personnels et représentants des parents d'élèves ne souhaitant pas emprunter la voie hiérarchique. Ils demandent aussi que les lanceurs d'alerte soient informés de la réception de leur plainte et de son suivi. Enfin le directeur d 'école ou le chef d'établissements devraient rappeler lors de la journée de rentrée les obligations de signalement et les modes d'emploi (article 40, IP etc.).

Un début et non une fin

Ce rapport n'est donc pas une fin. C'est le début d'un long processus législatif. Il implique des modifications importantes à la loi Debré , incluse dans le Code de l'Education. Les rapporteurs appellent à un travail transpartisan pour faire évoluer les textes. Il faudra au moins une loi, probablement plusieurs, pour faire passer les recommandations de ce rapport dans la loi.

Les rapporteurs semblent optimistes. Ils comptent sur le poids du #MeTooScolaire pour faire avancer leur cause. Ils touchent pourtant à des questions très politiques. Ils demandent pas moins que le retour à l'esprit contractuel de la loi Debré de 1959 tout en brisant le tabou du "caractère propre". C'est modifier complètement un équilibre politique. La droite sénatoriale a déjà manifesté son opposition et pourra arguer de la relance de la guerre scolaire. E Borne manifeste un enthousiasme très modéré : " A l’issue de l'analyse qui sera menée par les équipes ministérielles, la ministre d'État examinera s'il y a lieu d'adapter le plan 'Brisons le silence, agissons ensemble", fait-elle savoir.

Soyons optimiste. Après le rapport Vannier Weissberg, le rapport Spillebout Vannier montre que des parlementaires de camps bien différents (macroniste - LFI) peuvent travailler ensemble de façon remarquable et dépasser leurs différences pour le bien commun.

François Jarraud

Le rapport

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