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Journaliste engagé pour l'Ecole. Fondateur et rédacteur en chef (2001-2023) du Café pédagogique.

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Billet de blog 8 juillet 2024

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Législatives : Rien n'est acquis pour l'Ecole

Le gouvernement issu de la majorité relative du 7 juillet ne devra pas seulement faire face à une situation budgétaire désastreuse. Il ne disposera pas non plus d'une majorité pour changer de politique éducative. Seule une forte mobilisation des acteurs de l'Ecole peut impulser un changement.

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Une situation budgétaire préoccupante

Illustration 1
Une classe d'école primaire © François Jarraud

Ce n'est pas par hasard. Le gouvernement sortant a attendu le Journal Officiel assez extraordinaire du lundi 8 juillet, lendemain du second tour des élections législatives, pour publier la situation mensuelle de l'Etat, c'est à dire l'état des comptes de l'Etat arrêté fin mai 2024. Ce que montre ce document officiel c'est un solde d'exécution budgétaire en rouge de 113 milliards fin mai, soit 7 milliards de plus qu'en mai 2023. En mai 2024, l'Etat a dépensé 22 milliards pour sa dette, dont 21 pour le paiement des intérêts. Cette dette de l'Etat s'établit à 2 568 milliards. Elle a augmenté de 107 milliards depuis le début de l'année 2024. Le déficit public attendu est de 5.1% en 2024. C'est ce qui a amené la Commission européenne à placer le pays en procédure de "déficit excessif". La France devra présenter le 20 septembre un plan budgétaire sur 5 ans pour ramener le déficit dans les clous pour éviter des sanctions.

Pour une majorité très relative

C'est ce bilan budgétaire que le futur gouvernement sorti du second tour des élections législatives le 7 juillet doit affronter. Et c'est sa première tâche car le calendrier s'impose. En année normale, les principales données du budget sont envoyées au Parlement courant juillet. La loi de finances est prête fin juillet. Et elle est mise en débat à l'automne. Cette année il faut y adjoindre le plan national budgétaire demandé par la Commission européenne et peut-être une loi de finances complémentaire pour atténuer le déficit de 2024.

Le budget que le futur gouvernement présentera devra être voté par la nouvelle Assemblée. Pour cela, il ne devra pas rencontrer plus de 288 votes négatifs. Or la nouvelle assemblée compte 143 députés d'extrême droite, 60 de droite et 168 macronistes. Ceux-ci, nettement plus nombreux que la majorité relative du Nouveau Front Populaire (NFP) et ses 182 députés, pesaient 250 députés. Pourtant ils n'ont pu faire adopter le budget 2024 qu'en utilisant le 49-3.

Qui voterait le programme du NFP ?

Le nouveau Front populaire a inscrit à son programme "dans les 15 premier jours" des mesures coûteuses comme l'augmentation du Smic et du point Fonction publique (de 10%) et l'abrogation de la réforme des retraites. Le NFP estimait ces coûts à 25 milliards, financés par une taxe sur les super profits et un nouvel impôt sur la fortune. C'était envisageable avec une majorité absolue. Ca ne le reste que si le Rassemblement National n'ajoute pas ses voix à une opposition annoncée des macronistes et de la droite au relèvement du Smic et des salaires des fonctionnaires. Si le Rassemblement national vote contre, le gouvernement tombe ou les mesures ne sont pas adoptées.

Des annonces budgétaires du programme du NFP concernent l'Ecole. Dans les 15 premiers jours, le NFP a promis la gratuité intégrale de l'école (cantine, périscolaire, transport) ce qui implique des compensations financières pour les collectivités territoriales. Dans les 100 premiers jours, le programme prévoit de réduire les effectifs des classes à moins de 19 élèves. Or, dans le seul premier degré, seulement un quart des classes sont sous ce seuil. Il faudrait donc une embauche massive, étalée sur plusieurs années, pour atteindre cet objectif dont le cout pourrait atteindre 2 milliards. Rétablir le bac professionnel en 4 ans suppose de recruter un tiers de professeurs de  lycée professionnel supplémentaires, soit près de 15 000 (coût : environ 750 millions). Renforcer la médecine et la vie scolaire aurait aussi un coût. Toutes ces mesures ne sont envisageables qu'à la condition qu'elles ne rencontrent pas un vote hostile d'au moins 289 députés, c'est à dire d'une coalition des macronistes et de l'extrême droite. Les premiers ont mené une politique d'austérité dans les écoles en supprimant des postes dans le second degré pour les dédoublements du premier. Les seconds ne portent pas les enseignants et l'école publique dans leur coeur.

Il faut le constater. Avec 182 députés, le groupe NFP est plus éloigné de la majorité absolue que la majorité précédente. Il n'est pas tenu d'appliquer son programme pour l'Ecole. S'il s'y essaie, il risque fort d'être censuré par l'Assemblée et de tomber.

Un programme éducatif minoritaire

Mais son programme éducatif va rencontre un autre obstacle. Abroger le "choc des savoirs" et "préserver la liberté pédagogique" sont des mesures qui sont attendues des enseignants. Et qui ne coutent rien. Elles ne nécessitent pas de voter une loi et relèvent d'un décret ou même de simples circulaires.

Pourtant le futur gouvernement devra y regarder à deux fois. Car il ne dispose pas non plus d'une majorité à l'Assemblée pour revenir sur la politique éducative lancée par Emmanuel Macron comme je l'ai expliqué ici.  Roger Chudeau, le responsable "éducation" du Rassemblement national dans la précédente assemblée, avait eu beau jeu de souligner, le 20 décembre 2023 en Commission de l'éducation, que les projets du "choc des savoirs" reprenaient les idées du programme du RN. Le DNB comme examen d'entré au lycée, la fin du collège unique, la labellisation des manuels scolaires, l'imposition de méthodes pédagogiques et l'évaluation des résultats des enseignants, la méthode syllabique stricte, l'accent sur les fondamentaux, l'autorité et la criminalisation de la discipline scolaire, la transformation des directeurs d'école en supérieurs hiérarchiques, la réforme de l'éducation prioritaire en passant de moyens ciblés en contrats locaux : toutes ces mesures, lancées par le gouvernement d'Emmanuel Macron, ont eu le soutien des Républicains et du Rassemblement national. Il y a une porosité complète entre le modèle d'Ecole du RN, de la droite "républicaine" et les réformes portées par Emmanuel Macron. Vouloir les abroger c'est prendre le risque de susciter une coalition pour faire tomber le ministre qui oserait remettre en question une politique qui fait l'unanimité du centre à l'extrême droite.

Tester la marge de manoeuvre

Il est de toutes façons trop tard en juillet pour décréter la fin du "choc des savoirs" pour la rentrée de septembre 2024. Les principaux des collèges ont déjà préparé la rentrée et organisé des groupes de niveau comme le demandait la ministre de l'éducation. Une éventuelle suppression viserait la rentrée 2025.

Mais il est une autre réforme qui doit passer dans les textes très rapidement. C'est la réforme de la formation des enseignants. Celle-ci aussi, comme nous l'avons montré ici, bénéficie du soutien de la droite et l'extrême droite. Le rapport des sénateurs de droite  Brisson et Billon reprend le projet d'E Macron et le pousse juste un peu plus loin. L'entretien accordé par Roger Chudeau (RN) aux Echos confirme que la politique éducative de l'extrême droite sera dans la continuité de celle d'E. Macron. Il y annonce qu'il appliquera la réforme d'E Macron en confiant à des écoles académiques la formation des professeurs. La mise en sommeil de cette réforme par le nouveau gouvernement peut être le bon test de sa liberté d'action en matière éducative.

Faut-il faire le deuil d'une autre politique éducative ?

Est-ce à dire que le futur gouvernement issu des élections n'aura aucune marge de manoeuvre ? Il est certain qu'il en aura moins que le gouvernement Attal. Il devra beaucoup plus prendre en compte les équilibres politiques et chercher le compromis. D'autant qu'il n'aura pas non plus le soutien de l'Elysée. Il n'est donc pas certain que les responsables les plus ambitieux de la gauche se battent pour accéder au pouvoir dans ces conditions...

Est-ce à dire que les enseignants doivent faire le deuil du changement et soient condamnés à subir les réformes managériales imposées depuis 2017 ? La privatisation de l'Ecole, c'est à dire sa gestion comme une entreprise privée, peut sembler inévitable. Mais elle dépend des réactions des Français qui semblent attachés aux communs de l'Ecole républicaine. Elle dépend, plus encore, des enseignants et des acteurs de l'Ecole. S'ils veulent du changement dans l'Ecole, il va falloir qu'ils l'imposent. Ils n'auront que ce qu'ils arracheront. Et s'ils arrivent à construire un Front républicain dans l'Ecole.

François Jarraud

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