Aujourd'hui, lundi 6 mai, l'armée israélienne a commencé à bombarder Rafah, ville de l'extrême sud de la bande de Gaza où des centaines de milliers de Palestiniens ont trouvé refuge. La détermination d'Israël à envahir Rafah a été un point d'achoppement dans les négociations avec le Hamas en vue d'un cessez-le-feu. Le chef de la diplomatie de l'Union européenne Josep Borrell juge "inacceptable" la détermination israélienne, prédisant "davantage de guerre et de famine" tandis que Paris (qui n'est pas exempt, loin s'en faut, de toute critique s'agissant de ce dossier) rappelle que le déplacement forcé d'une population civile constitue "un crime de guerre au sens du droit international". L'Unicef, enfin, manifeste son inquiétude quant au sort des 600 000 enfants entassés à Rafah.
Ce serait assez pour que tout commentateur du conflit entre Israël et le Hamas et surtout du carnage perpétré par les forces israéliennes dans la bande de Gaza depuis sept mois s'en indigne. Parmi ces commentateurs, je me suis une fois de plus intéressé à trois personnages très prompts à fustiger l'indignité supposée de tout critique de la politique d'Israël. Le 5 mai, la chroniqueuse Rachel Khan, traduisant une fois de plus les propos de la militante franco-palestinienne Rima Hassan à sa façon, l'accusait sur X de faire "des juifs et d'Israël les bourreaux de l'humanité... La nausée". Les propos tenus par Rima Hassan auxquels il était fait référence peuvent être entendus sous le commentaire de Rachel Khan : https://twitter.com/search?q=rachel%20khan&src=typed_query
On notera que dans le passage incriminé Rima Hassan ne parle à aucun moment des juifs contrairement à ce que laisse croire le commentaire de Rachel Khan : Hassan critique l'action d'un État, Israël. On a là un parfait exemple de ce qui fonde les fausses accusations d'antisémitisme : supportant visiblement mal que Rima Hassan évoque les violations du droit international perpétrées par Israël, Khan l'accuse de s'en prendre aux juifs. Ce qui est plutôt ironique de la part d'une chroniqueuse fustigeant volontiers les fixations identitaires (supposées)... des autres. Rachel Khan affirmait en effet dans son livre Racée, et elle le soutient à longueur de temps, que les personnes qui se disent racisées auraient un profil à la fois identitaire et victimaire : elles seraient obsédées par leur apparence plutôt que fatiguées de constater combien celle-ci leur est préjudiciable dans une société non débarrassée de son racisme.
C'est donc ici Rachel Khan qui, au lieu d'accepter la critique politique, en revient à l'identité (comme c'est elle qui ramène les racisés à l'obsession identitaire). Le raccourci qu'elle opère est transparent : critiquer Israël, c'est être antisémite.
En d'autres termes : ce que fait Israël, État au-dessus de la critique, serait moins grave que le fait d'en rendre compte (je ne peux pas ne pas penser ici à ce propos passé d'Emmanuel Macron selon qui il n'était pas acceptable de parler de violences policières dans un État de droit : le fait de mentionner des faits désagréables serait plus critiquable que les faits eux-mêmes, et l'on retrouve là aussi Rachel Khan https://blogs.mediapart.fr/frederic-debomy/blog/240424/professer-des-valeurs-que-lon-trahit-rachel-khan-israel-et-la-palestine)
Faut-il dès lors être surpris de ne trouver sur son compte X, un espace qu'elle investit largement, aucune allusion à la détermination d'Israël de s'en prendre à Rafah ? Il y avait sans doute plus d'urgence à fustiger, hier, Rima Hassan parlant de violations du droit international qu'à évoquer de nouvelles violations de ce droit.
Ainsi Rachel Khan ne nous parle-t-elle, aujourd'hui, que de la mort de l'animateur d'émissions culturelles télévisées Bernard Pivot.
Demain peut-être ?
Raphaël Enthoven alors ? C'est un homme qui n'a pas sa langue dans sa poche lorsqu'il est indigné et les attentats du 7 octobre 2023 n'ont (à bon droit) cessé de l'indigner.
Lui aussi nous parle de Bernard Pivot. Mais il évoque aussi sur X "L'antisémitisme à @sciencespo par ceux qui le vivent" en renvoyant à une publication de l'Union des Étudiants Juifs de France (UEJF). Suivent des propos qui, s'ils sont avérés, sont insupportables et je n'ai pas de raison de douter que la situation actuelle entraîne des débordements antisémites : c'est, d'après la chercheuse Nonna Mayer, le cas chaque fois que le conflit israélo-palestinien s'intensifie, sans compter que les préjugés antisémites n'ont de toute façon pas disparu de la société française. En aucun cas les injustes accusations d'antisémitisme proférées par des organisations comme l'UEJF (https://blogs.mediapart.fr/frederic-debomy/blog/040524/quand-luejf-entend-dialoguer-deux-comprehensions-du-plus-jamais-ca) ne doivent empêcher de les écouter lorsqu'elles rapportent des propos véritablement antisémites.
Enthoven relaie aussi un message de la journaliste Judith Beller évoquant "la campagne de haine dont [elle a été] victime sur les réseaux sociaux, à la suite de la publication par @ZinebElRhazoui d’un de nos échanges privés." Je ne sais absolument pas de quoi il s'agit donc je ne me prononcerai pas sinon pour dire que si une campagne de haine a effectivement eu lieu, c'est inacceptable. Pour le reste, l'idée de départager une journaliste relayant les propos d'Enthoven sur la non-affaire des mains rouges (https://blogs.mediapart.fr/frederic-debomy/blog/300424/entretenir-des-polemiques-plutot-que-mettre-la-pression-sur-netanyahou) et des propos possiblement diffamatoires sur Rima Hassan (qui a porté plainte contre celui qui les a tenus) et la journaliste Zineb El Rhazoui, qui souhaitait il n'y a pas si longtemps que la police tire "à balles réelles" sur des habitants des quartiers populaires, est probablement au-dessus de mes forces.
En tous les cas, pas un mot d'Enthoven sur l'offensive israélienne à Rafah et les 600 000 enfants qu'elle met en danger.
Peut-être demain ?
Caroline Fourest, alors ? Rien sur X aujourd'hui, après des publications, ces jours derniers, pour nourrir encore la non-affaire des mains rouges, déjà caduque, et critiquer (à la suite de Raphaël Enthoven) Rima Hassan.
Peut-être demain ?
Rachel Khan, Raphaël Enthoven et Caroline Fourest trouvent la motivation nécessaire pour critiquer une militante franco-palestinienne à laquelle on ne saurait aujourd'hui reprocher aucun propos haineux. Comme je l'écrivais déjà il y a deux jours (https://blogs.mediapart.fr/frederic-debomy/blog/040524/quand-luejf-entend-dialoguer-deux-comprehensions-du-plus-jamais-ca), tout se passe comme si Rima Hassan, par sa simple existence, renvoyait les pro-Israéliens (qu'ils s'assument ou non comme tels) à la réalité, qu'ils s'emploient à dénier autant qu'ils le peuvent, de l'injustice israélienne envers les Palestiniens. Qu'Hassan existe, et plus encore qu'elle s'exprime, leur est visiblement moins supportable que la nouvelle offensive du gouvernement Netanyahou, dont ils n'auront aujourd'hui, sur X, pas dit un mot.
Frédéric Debomy
Références :
https://twitter.com/search?q=rachel%20khan&src=typed_query
https://twitter.com/uejf/status/1787387014200897682
https://twitter.com/Enthoven_R/status/1784540574386622684
https://twitter.com/ftapiro/status/1784601382286143952
https://twitter.com/canarymission/status/1787165365321281630
https://twitter.com/Enthoven_R/status/1787186049128538374
Post-scriptum du 8 mai 2024 : le 7 mai, une humoriste, Sophia Aram, aura mis l'accent sur les souffrances israéliennes provoquées par l'attaque du 7 octobre 2023 et la détention d'otages par le Hamas lors de la cérémonie des Molières, évoquant un "silence assourdissant" du milieu de la culture (comme l'on dit) s'agissant de ces victimes. Elle aurait pu évoquer aussi le "silence assourdissant" du même monde (un silence il me semble plus marqué) envers les victimes palestiniennes de l'État d'Israël (au moins plus de 28 fois plus nombreuses) mais non. De ces victimes là, en pleine offensive d'Israël à Rafah, elle ne dira quasiment rien : "comment être solidaire des milliers de civils morts à Gaza sans être aussi solidaires des victimes israéliennes ?" Ainsi ce sont toujours les victimes israéliennes, même infiniment moins nombreuses, qui priment.
"Comment exiger d'Israël le cessez-le-feu sans exiger la libération des otages israéliens ?" Est-ce à dire qu'Israël est en droit de continuer à tuer des civils tant que les otages israéliens ne seront pas libérés ? Aram considèrerait-elle justifié que le Hamas multiplie les 7 octobre pour libérer les Palestiniens injustement détenus par Israël ? Pas moi, et aucun individu soucieux des droits humains ne le pourrait.
Sophia Aram a précisément justifié son propos par son attachement aux droits humains. Soyons net : aucune ONG de défense des droits de l'homme ne tiendra ni n'approuvera jamais un tel discours.