Depuis le 18 octobre, la lecture des quatre premiers billets de cette série "Réalités de inclusion scolaire" soit la scolarisation des enfants et jeunes en situation de handicap, vous ont permis de comprendre l'importance majeure du travail des assistantes d'élèves en situation de handicap (AESH) et la situation indigne faite à ces personnes, femmes - ce n'est pas un hasard - pour la grande majorité, en matière de salaire et de conditions de travail malgré un discours officiel lénifiant prodomo. Ce fut l'objet du premier billet. Le second a livré des témoignages directs du quotidien de ces personnels à l'occasion de la 3ème journée de grève des AESH de l'année, le 19 octobre, avec son rassemblement réussi avec les organisations syndicales devant le rectorat. Dans le troisième billet, vous avez pu prendre connaissance des témoignages de plusieurs AESH qui précisent sans détour la réalité de leur travail et de celle de l'inclusion scolaire mise à mal par tous les bouts. Le quatrième billet a donné la parole à Eléonor, parent et présidente de l'association Handi Cap'vers le droit à l'école qui apporte le point de vue des parents et de son association impliquée dès les discussions en MDPH au côté de parents, bien souvent désemparés, et sur le terrain.
Nous publions aujourd'hui la deuxième partie de cette interview sans fard qui aborde notamment la question de la formation et de l'expertise que peut apporter son association mais aussi des conséquences de l'insuffisance et des manques par rapport aux besoins de l'Ecole pour une inclusion accompagnée satisfaisante. Dans quelques jours, Le dernier billet de ce dossier complet de l'inclusion scolaire vu du terrain abordera la question des enjeux et des contraintes d'une inclusion scolaire qui concerne bien plus que les personnes en situation de handicap. Nous remercions chaleureusement toutes celles qui ont participé à ce travail, pris du temps et sur elles pour dire ce qui ne va pas de soi.
Reçu par l'association le 23/09/2021
" Je suis très en colère. On se fout de nous, de nos enfants, des AESH. On rajoute encore davantage au désarroi et au désespoir face à un avenir scolaire bien sombre, en évoquant un soi-disant de l’inclusion avec moyen humain et/ou matériel pour nos enfants
Lors d'une réunion avec l’école la semaine passée, j'apprends, malgré les déclarations dans les médias, qu'il n'y aura plus de recrutement d'AESH car il n’y a plus de budget… Je rage, je gronde, pas de recrutement fait par l’établissement scolaire. Eux-mêmes sont dépassés, sans solution... On est face à un désengagement de l'Education nationale sur les établissements, mais aussi de l'Etat par rapport à l’inclusion scolaire.
Il est en classe ordinaire depuis la maternelle avec aide, cette année nous avons besoin de votre aide, l’association, car il ne peut plus aller en classe depuis septembre, j’ai épuisé mes congés et maintenant demandé un congé sans solde.
Ma demande est URGENTE aidez-moi je ne sais plus comment faire. Dois-je faire un buzz médiatique, vos contacts et vos ressources pourront-elle être suffisantes ? Bref, ils nous vendent du blabla, toujours du blabla, de la poudre aux yeux ... Y en a vraiment marre ! C'est épuisant
C'est la faute de moyens ! La loi de 2005 est ambitieuse mais, en l'absence de budget, elle n'est pas viable. Pas la peine de voter des décrets si les financements ne suivent pas."
Lire l'excellent article d"Alternatives Economiques", toujours d'actualité : " Les accompagnants d’élèves handicapés veulent sortir de la précarité" du 1 Juin 2021, signé Eva Mignot.
Interview du 21 septembre (2ème partie)
Eléonor PERISE, "Handi-Cap'vers le droit à l'école "
Q : Travaillez-vous avec d'autres organisations ?
Nous ne pouvons pas travailler sans les autres associations. Pour nous c'est primordial le partage avec les autres associations. Nous faisons donc partie du collectif départemental d'inclusion des personnes en situation de handicap (CDIPH) de Clermont-Ferrand avec son président Jean-Claude MONTAGNE. Ce collectif approche la trentaine d'associations, tout confondu : adulte, enfant, les personnes sourdes, mal-entendantes, mal-voyantes, aveugles... bien sûr l'APF (paralysés de France), AMH. Très nombreux, nous discutons, à la fois de l'inclusion scolaire, de l'environnement, de la ruralité, de l'accessibilité. C'est vraiment pouvoir ensemble construire, aller plus loin dans notre façon de travailler, dans notre façon d'apporter de l'inclusion quelle soit scolaire ou extérieure.
On se retrouve une fois par trimestre on se rassemble (sans le Covid !). Il y a un certain nombre de questions, la question de l'enfance nous la représentons avec l'APF. On essaie au maximum de trouver des solutions, notamment au niveau de la partie MDPH où on a beaucoup de difficultés.
Hier, Le conciliateur désigné de la MDPH, Maurice DAUBANNAY m'expliquait qu'il n'avait eu depuis trois ans (Période Covid inclue), que deux conciliations à mener.
La conciliation
Sur le site de la MDPH 63, un texte sibyllin : « Si vous estimez que la décision de la CDAPH a été prise en méconnaissance de vos droits. Vous pouvez exercer un recours ou demander une conciliation. Cela afin qu’une personne qualifiée mais extérieure à la MDPH se charge de réétudier votre dossier. » Un peu court pour exercer un droit non ?
Pour bien comprendre la conciliation : « La conciliation : une procédure trop méconnue » qui introduit le sujet par « Il semble que certaines MDPH ne mettent guère de bonne volonté pour indiquer aux parents la conciliation parmi les voies de recours à leur disposition. » Le cas de la MDPH du Puy-de-Dôme ?
C'est à la MDPH que se passent les commissions, et les dossiers traités. Quand un dossier est traité, on défend adultes et enfants. Quand on est en commission, nos adhérents aussi, on maîtrise les dossiers et on sait si des refus arrivent, si injustifiés auquel cas, faut les défendre. Les refus peuvent concerner plein de choses : de reconnaissance de handicap, d'auxiliaire de vie scolaire, d'un matériel adapté comme un ordinateur, de plan de compensation handicap. Quand je dis refus. Il y a énormément de refus possibles, comme il y a des accords évidemment possibles, et heureusement il y en a. Mais le nombre de refus est important, nous avons besoin d'être solidaires entre associations. Par rapport au collectif c'est important d'être entre nous, puisque lors de cette commission il y a un vote, il se fait par dossier. Quand il y a des remontées, nous essayons entre association autant que possible d'être solidaires pour que le dossier d'un enfant ou d'un adulte, jeune ou pas, puisse être voté de manière juste pour lui, ses besoins essentiels et pas juste par rapport au niveau du budget alloué.
Q : Selon vous quelles sont les carences les plus significatives ?
La formation de toutes les parties prenantes dans une école parce que la situation de handicap ne s'arrête pas à la classe. Elle va aussi dans la cour dans les cantines, les pauses méridiennes, le périscolaire, donc aujourd'hui l'enfant qui est en situation de handicap ne l'est pas seulement en classe, surtout si en plus il a une attribution d'AESH, mais durant toute le temps à l'école.
Il manque la formation des enseignants. Notre association avait proposé à l'Inspecteur d'académie de proposer bénévolement aux écoles une sensibilisation au handicap sous la forme d'ateliers à destination des enseignants, Rased, Atsem... refus net, très certainement pour que notre parole, trop favorable, trop revendicative n'y arrive pas.
Q : Vous proposez des formations ?
Pas des formations mais des ateliers de sensibilisation. Notre association peut les organiser sur des demi-journées voire une journée complète pour les établissements qui le souhaitent. Il faut que ce soit les établissements scolaires qui nous en fassent la demande et on vient. On a des petits ateliers dans lesquels on met les élèves qui ne sont pas en situation de handicap, en situation ludique de handicap. On demande aux enseignants présents de s'y mettre aussi. Ce sont de grandes découvertes pour tous quand les élèves en situation de handicap dans la classe se reconnaissent tout de suite. On les voit même un peu rougir de se rendre compte que c'est d'eux dont il s'agit. Ils se rendent bien compte que les autres sont en train de découvrir, enfants et enseignants. Après ces ateliers, des enseignants nous demandent de venir dans l'association parce qu'ils ont besoin de comprendre, qu'ils étaient parfois à mille lieux de s'imaginer comment perçoit un enfant dyspraxique, comment perçoit un enfant avec des troubles du spectre autistique, comment perçoit un autiste, tous ces troubles-là, ils étaient à mille lieux de s'imaginer comment pouvoir les aider. Nous montrons, sensibilisons, expliquons : dédoubler des lignes, faire des espacements plus grands... C'est vrai que si on pouvait le faire avec des AESH qui, elles aussi connaissent quand elles ont été formées, les répercussions et les aides qu'on peut leur apporter et bien, on gagnerait des années de formation, sauf qu'aujourd'hui notre association essuie systématiquement un refus de la part de l'Inspecteur d'académie.
Nous étions deux associations, AEMPH et nous-même qui avions proposé en face à face avec l'Inspecteur d'académie juste, avant le COVID en 2019, de proposer cette sensibilisation dans les écoles. Nous avons eu une fin de non-recevoir en disant que les formations existaient déjà dans le plan de formation sauf que voilà les plans de formation, souvent les professeurs en font la demande mais la réponse est : c'est pas la priorité l'inclusion scolaire. Il vaut mieux demander une formation en anglais ou une autre pédagogie ou ce que vous voulez mais l'inclusion scolaire ne fait pas partie des priorités.
Reçu par l'association le 17 septembre
"Notre fille « Dom », aînée de 4 enfants et âgée actuellement de 11 ans et demi, est scolarisée au collège en classe de 6ème. Elle présente des troubles du spectre autistique de type Asperger. Diagnostiquée comme tel alors qu’elle était en classe de grande section de maternelle (soit à l’âge de 6 ans), Dom est depuis lors accompagnée par une AESH.
Dans le cadre d’une méthode de type « développemental 2 », « Dom » a pu suivre une scolarité adaptée à ses besoins, à temps partiel et désormais à plein temps, grâce à l’attention constante et au dévouement admirable de cette AESH. Du jour au lendemain, le financement de l’AESH n’était plus supporté par l’Etat alors que la MDPH confirmait la nécessité pour notre fille de continuer à être accompagnée. Depuis cette rentrée parce que le collège a bien voulu sans AESH l’accueillir elle est scolarisée partiellement.
Eléonor, nous avons besoin de vous pour faire en sorte qu’elle retrouve son AESH. Je vous en supplie sans celle-ci, « Dom » ne tiendra pas au-delà du premier trimestre sans aide. Je vous laisse m’appeler comme vous le pouvez. Vous êtes notre petite étoile."
Q : Avez-vous des contacts avec l'administration scolaire, les établissements scolaires premier et second degré?
Oui, en sept ans, de plus en plus de directeurs et directrices, des professeurs font appel à nous, même des enseignants référents qui font des GEVA-sco nous appellent pour nous dire qu'ils ont la situation d'une famille, d'un enfant où ils nous disent qu'ils ne savent plus trop comment les aider, les soutenir, quels aménagements mettre en œuvre pour pouvoir aider leur enfant. Nous avons aussi des professionnels de santé qui le font et redirigent des jeunes vers nous.
Le fait d'accompagner les parents dans ces E.S.S. (Equipe de suivi de la scolarisation) montre qu'on est là pour proposer des solutions, pas pour distribuer aux pédagogues bon ou mauvais point, ensemble trouver ce qu'il y a de mieux pour l'enfant.
Cette réunion de l'E.S.S. est une réunion annuelle, c'est très peu de chose. Il manque déjà au moins la moitié d'enseignants-référents, ils doivent être cinq ou six, il en faudrait le double, parce que, s'ils étaient le double, pourrait se tenir une réunion de rentrée et une réunion de sortie scolaire, pour pouvoir évaluer l'enfant sur l'année scolaire. Aujourd'hui c'est impossible. Quand arrive la période de mars, avril mai, juin où on doit envoyer les dossiers à la MDPH pour les renouvellements d'auxiliaire de vie, d'ordinateur et autres, on se retrouve dans un entonnoir : il n'y a plus de place, les enseignants-référents sont dans l'incapacité de faire deux réunion par an, pourtant la règle voudrait qu'ils en fassent deux.
Q : Quelles sont vos perspectives, quels sont vos axes de travail actuels dans l'association. Au fait combien de membres ?
A la louche, à peu près trois cents enfants sur le Puy de dôme, sachant que des familles peuvent avoir un, deux ou trois enfants en situation de handicap, ce pourquoi je ne compte pas en terme de famille mais en terme d'enfant. On a toutes les pathologies, que ce soit handicap invisible, handicap moteur, handicap mental, même si, pour ce handicap, nous en avons un peu moins parce qu'on s'occupe d'abord de de l'inclusion scolaire. Pour le jeune en situation de handicap mental, on aide davantage les parents à trouver une institution qui, souvent, n'a plus de place. Actuellement nous sommes une équipe de quatre personnes très actives avec deux correspondantes sur l'antenne vichyssoise mais aussi une conseillère, professionnelle de santé qui vient en appui spécifique sur certaines pathologies.
Q : Seriez-vous en capacité d'expertise ? D'association-experte ?
On ne se rend pas compte de la nature du travail que nous faisons. Ce terme d'expertise j'y tiens parce que nous nous sommes formées en université clermontoise, pris sur notre temps, en bénévole. Nous avons voulu comprendre des handicaps, des pathologies, des dysfonctionnements, en comprendre les répercussions, comprendre les besoins. Par exemple, des parents entendent que leur enfant, certes a des troubles dyslexiques mais qui ne justifient pas une auxiliaire de vie, qui ne justifient pas un ordinateur... Cela peut être à dire mais on ne peut pas en faire une généralité. Avec notre expertise, quand nous disons qu'il en a besoin c'est qu'il en a vraiment besoin.
Parce que les parents nous font confiance, et nous montrent les comptes-rendus médicaux, nous pouvons faire une analyse complète et pouvons dire que sur tel ou tel champ de handicap effectivement, il a tel et tel besoin. En MDPH, nous avons les éléments et nous défendons le dossier que nous connaissons dans ces différents volets. Moi je suis désolée, quand je lis sur un document qu'il est primordial que l'enfant ait un accompagnement, sur le volet médical et sur le volet éducatif, je ne peux pas comprendre que la MDPH émette un refus.
Autant au début on se dévalorisait un peu en se disant qu'on était qu'une association, bénévoles, aujourd'hui non, on a une réelle expertise sur les handicaps, une réelle expertise sur la manière d'expliquer aux parents parce que nous avons vécu les mêmes choses que les parents, les mêmes souffrances de l'indifférence qu'on peut ressentir par rapport au handicap de son enfant. Nous avons contacté le cabinet de Madame Sophie CLUZEL, secrétaire d'état chargée des handicapés. Son cabinet me répond que ne nous sommes qu'une petite association et que nous n'avons pas place au niveau du national, ce qui est très dommage, parce que je ne remets en cause en aucun cas, les associations nationales, par contre elles sont peu sur le terrain quand nous y sommes au quotidien en allant dans les écoles avec l'enfant, le professeur, l'AESH, on peut considérer qu'on est capable de faire une expertise de terrain.
Q : Quelle expertise ?
Voilà, cet enfant a tel type de pathologie, il a normalement besoin de telle ou telle aide mais ça ne s'arrête pas là. On s'aperçoit sur les compte-rendus médicaux que le même enfant a des troubles associés : du comportement, peut-être un trouble de l'émotion, tout ça on ne le voit pas. Nous avons cette vue d'ensemble avec le dossier complet. Les parents nous font confiance, alors c'est un choix, si un parent ne souhaite pas nous transmettre les pièces médicales c'est son droit, nous ne les avons pas. Par contre si nous les avons, nous pouvons défendre un dossier dans toutes ces petites lignes qui ne sont pas vues ou lues par ceux qui émettent les accords ou les refus.
Q : Vous avez parlé de formations suivies à l'Université ?
J'ai eu des formations à partir de conférences au niveau de l'Université, au CHU. Elles nous ont permis d'apprendre et de mieux comprendre d'un point de vue neurologique ou pédo-psychiatrique.
Sur l'expertise, je peux dire qu'on a une expertise d'interface entre les champs éducatif, handicap et parental. Le parent a une expertise parentale, le spécialiste médical a une expertise sur les pathologies, handicaps, troubles, et le professeur sur la pédagogie et l'éducatif. Il me paraît que nous sommes en capacité d'une telle expertise parce que nous avons voulu l'acquérir depuis ces sept années. Il nous arrive de parler d'expertise parentale avec le regret que bien souvent les parents ne sont pas écoutés surtout sur ce qui découle des conséquences du handicap pour leur enfant. On leur dit : « Vous êtes trop à les cocooner, trop les chouchouter, etc ». L'école a aussi cette expertise. Quand chacun arrive avec son expertise et nous la nôtre, acceptée et reconnue, nous pouvons aller vraiment jusqu'au bout des besoins de ces jeunes en situation de handicap, dans sa scolarité, en terme de loisirs, de sport, de vie sociale. La vie sociale ? Sans jamais oublier que ces jeunes ont très peu de vie sociale."
On pourra lire aussi un billet fort à propos de François DUBET paru le 20 septembre 2021 qui posent quelques question dérangeantes.
"Doublons le salaire des professeurs débutants, soit ; mais faut-il aussi doubler celui des professeurs de classes préparatoires, aujourd’hui trois fois plus élevés en fin de carrière que ceux des jeunes professeurs des écoles ? Faut-il laisser de côté les revenus extrêmement bas des AVS (auxiliaire de vie scolaire) et AESH (accompagnant d’élève en situation de handicap) comme le propose la candidate ? Bonjour l’ambiance si c’est le cas !"