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Billet de blog 16 mai 2023

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Est 95-1. Une pléthore d'offre de Grands Projets Inutiles, bafouant la demande locale

Sur un territoire qui cumule pauvreté et chômage, des "dysménageurs" irresponsables portent une offre de projets pensée "en chambre", sans aucune analyse de besoins et sans concertation. Dans l’ignorance des pratiques quotidiennes des habitants, comme s’ils avaient raisonné sur un espace vierge, frappé par une bombe à neutrons qui aurait effacé les populations locales.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

DEFINITIONS : les mots-clés utilisés sont définis soit en annexe, soit dans des encadrés. Ils sont désignés dans le texte respectivement par les signes ♦ et ♣.

Depuis bon nombre d’années, l’Est-95 est le théâtre d’une vaste opération de ce que j’appelle le « Dysménagement de Territoire », qui l’enfonce dans une impasse socio-économique et le cantonne dans le rôle habituel d’une banlieue périphérique : un « espace servant » du cœur d’agglomération, accueillant ses équipements nuisants (aéroport de Roissy et du Bourget, entrepôts de logistique, stockage et traitement des déchets…), sans perspectives réelles d’autonomie territoriale.

I. LES DYSMENAGEURS ET LEURS GRANDS PROJETS NUISIBLES ET IMPOSES

N.B. Le terme de GPII : Grand projet Inutile et Imposé est aujourd'hui couramment utilisé, mais je lui préfère GPNI : Nuisible et Imposé.

L’origine de ce dysfonctionnement de l’Est val d’oisien provient d’une illusion entretenue par l’État, la Région, le département et relayée par la plupart des élus locaux :  vanter le rôle structurant du pôle de Roissy sur son territoire environnant, dont il suffirait d’optimiser les bienfaits supposés en termes d’activités économiques et d’emplois. Une fable martelée depuis les années 70 pour justifier tous les projets d’aménagement conçus exclusivement au service de la fonction métropolitaine de l’aéroport, instrumentalisant l’espace alentours.

I.1. Quand les territoires « prescrits » bafouent les « territoires vécus »

On appelle abusivement "Grand Roissy" un territoire, dont le périmètre couvre 50 communes et 711 000 habitants, à cheval sur le Val d’Oise, la Seine-Saint-Denis et le Nord-Ouest de la Seine-et Marne. Nous préférons le désigner par son nom historique et géographique : le « Pays de France ». Au niveau de la Région, cet espace est reconnu comme l’un des 15 « bassins socio-économiques » d'Ile-de-France, déterminés par des découpages institutionnels plus que contestables. En réalité, le Grand Roissy est un ensemble sans unité composé d’un patchwork disparate d’une dizaine de bassins locaux  (voir dans un autre article de ce blog l’historique de la constitution de ce territoire et notamment la carte de synthèse de la figure 7), administré par deux intercommunalités gigantesques : la Communauté d’agglomération de Roissy-Pays de France (CARPF, 350 000 habitants, 42 communes du Val d’Oise et de la Seine-et-Marne) et Paris-Terres d’envol (territoire de la Métropole du Grand Paris intitulé T7, 360 000 habitants, 8 communes de Seine-Saint-Denis). Un périmètre institutionnel et statistique constitué de deux entités qui fonctionnent bien plus en rivalité et compétition qu’en coopération, qui ne travaillent pas ensemble et ne se sont pas réunies depuis la constitution du « Grand Roissy » en 2016.

Il faudrait pourtant se rendre à l’évidence : jamais un aéroport international ne pourra être un pôle d’emploi LOCAL structurant son territoire environnant. Il s’agit d’un pôle ultraspécialisé positionné sur 5 filières d’activités et quelques centaines de métiers (quand on en répertorie en France plus de 10 000), qui nécessite pour trouver sa main-d’œuvre une aire de recrutement diffuse immense s’étalant sur 11 départements, couvrant toute l’Ile-de-France et la moitié de l’ancienne Picardie. Et qui ne correspond en aucun cas à la définition d’un « bassin d’emploi » ♦. C’est pourquoi j’ai dû créer le concept de « pôle d’activités » pour désigner cette concentration d’activités et d’emplois ne générant pas un bassin d’emploi (celui-ci correspond au contraire à une aire de forte attraction de proximité sur la population active alentours, couvrant tout au plus quelques dizaines de communes). Le pôle d'activités de Roissy génère ce que j’ai appelé un « bassin d’activités » qui a pour caractéristique d'être très étendu, avec une « aire directe »♣ de 5 à 6 communes de proximité seulement et une « aire diffuse »♣ gigantesque de près de 2000 communes (Voir définitions, encadré Figure 1). Pour toutes ces raisons, il est illusoire de vouloir organiser le territoire de l 'Est-95 en référence à un pôle qui possède une si faible attractivité locale. Par ailleurs, cette configuration spatiale engendre des flux de déplacements d'actifs considérables, avec toutes ses conséquences (saturation des équipements de transports individuels et collectifs, fatigue et temps perdus des usagers, émissions de GES...)

Illustration 1
Figure 1 © J. Lorthiois

Malheureusement, la présence du pôle métropolitain de Roissy sur le territoire de l’Est-95 a gommé sans les effacer tout à fait les liens sous-jacents de proximité socio-économiques main-d’œuvre / emploi qui existent au niveau local (bassin de Sarcelles, bassin d’Aulnay-sous-Bois..) Ainsi l’organisation du territoire du Pays de France est dominée par ce qu’on appelle les « territoires prescrits »♣ de nature métropolitaine (le Grand Roissy, la CARPF et T7), au détriment de ce qu’on nomme les « territoires vécus »♣ déterminés par le fonctionnement des populations locales dans leur pratiques quotidiennes (voir encadré Figure 2).

Illustration 2
Figure 2 © J. Lorthiois

Au sein du Grand Roissy, considéré comme un « espace stratégique » pour l’Ile-de-France bénéficiant du « moteur de développement de l’aéroport », les opérations de dysménagement de territoire en Pays de France se sont multipliées, comme autant de « Grands Projets Nuisibles et Imposés » (GPNI) – terme que je préfère au concept de GPII (inutiles et imposés), qui minore le rôle destructeur de ces projets XXL -, caractérisées à la fois par leur gigantisme, leur coût élevé, leur localisation excentrée par rapport aux « cœurs de villes » du territoire, leur effet dissuasif sur les relations de coopération et de solidarité entre communes et sur les échanges de proximité au sein des populations locales.

 I.2. Le Triangle de Gonesse, objet de toutes les convoitises des dysménageurs

Cette situation qui existe dès l'implantation de Roissy en 1974, s'est exacerbée avec les années 2010, qui enregistrent une recrudescence de projets de GPNI sur le « Triangle de Gonesse », espace encastré entre l’autoroute A1 à l’Est et les aéroports du Bourget au Sud et de Roissy au Nord, dont il restait 700 ha de terres agricoles jusqu'ici préservés, non en raison de l’exceptionnelle qualité des sols, mais parce que survolés par 1500 avions quotidiens, 24 h sur 24 et 7j /7 qui y interdisent l’habitat permanent. Un tel pactole foncier ne pouvait qu’attiser la fièvre de béton des dysménageurs… qui n’allaient quand même pas laisser un espace soi-disant « vide » (excluant l’habitat humain, mais très densément peuplé par des milliards d’autres espèces…) s’étioler ainsi aux franges de l’agglomération parisienne ! « Interdit à l’habitat ? » se sont dit les bétonneurs,  « qu’à cela ne tienne, on va y mettre des activités ! » Très rapidement, la partie sud du Triangle jadis couverte de champs de tulipes est sacrifiée pour accueillir une zone logistique tout camion fortement consommatrice d'espace et faiblement créatrice d'emplois qui n'a désormais de bucolique que le nom : "zone d'activités des Tulipes". En 2011, les dysménageurs jubilent : le groupe Auchan a jeté son dévolu sur la partie centrale du Triangle pour y implanter un centre commercial et de loisirs XXL intitulé Europacity, qui misait tout à la fois sur l’attractivité internationale du pôle de Roissy et une situation géographique remarquable sur l’axe gallo-romain – la « route des Flandres » - le plus fréquenté d’Europe. Nouvelle victoire pour les dysménageurs : Vianney Mulliez - responsable de la société immobilière d’Auchan porteuse du mégaprojet - obtient au cours d’une visite à l’Élysée la déviation de la ligne du Grand Paris Express 17 Nord qui joignait les deux aéroports du Bourget et de Roissy initialement en ligne droite, dotée désormais d’un coude de 5 km (dont 3,5 en Val d’Oise) pour la modique somme d’un milliard d’€ supplémentaire d'argent public, afin de desservir Europacity.  

Sur la partie nord du Triangle, il existe un projet resté dans les cartons depuis les années 90 à l’emplacement d’un bijou écologique nommé « Vallée verte », visant à sacrifier allègrement 90 ha de terres pour l’implantation d’un nouveau golf (il en existe déjà un à Gonesse), censé ajouter un supplément d’attractivité aux implantations d’entreprises du pôle de Roissy, notamment auprès des investisseurs anglo-saxons. Cet équipement est porté par André Toulouse, à l’époque maire (LR) de Roissy qui y voit son « chant du cygne » lors de son 7ème mandat. Pour la modique somme de 32 millions d’€ financés par l'agglomération, les travaux démarrent en 2015, le golf est inauguré en septembre 2020, avec son cortège d'impacts environnementaux négatifs (privatisation de l'espace, perte de biodiversité, forte consommation d'eau)...

Non loin de là, au nord de Roissy Village, citons un autre projet XXL, intitulé « International Trade Center » (ITC), localisé sur la plateforme aéroportuaire de Roissy, qui proclame de « pouvoir capitaliser sur sa centralité européenne pour rayonner sur le continent » avec des capitaux internationaux. Sur une vidéo destinée à séduire des candidats, une convergence de flèches desservant les différentes capitales européennes se dessinent depuis ITC positionné sur une mappemonde. Un très ambitieux programme de « centre intégré de congrès » est présenté avec force superlatifs : « carrefour stratégique », « environnement exceptionnel », « dynamique territoriale »… Sur 13 ha, il devrait comporter tout à la fois 3 halls d’exposition, un immeuble de bureaux dédié au commerce international (22 600 m²), 7 hôtels (soit 1750 chambres), 8 restaurants et deux parcs de stationnement publics. (Voir Figure 3) Les terrains sont acquis mais la première pierre tarde à être posée. Patatras, en mars 2022, paraît un article qui passe inaperçu, signé Michel Thomas alors maire de Roissy, dans son journal local : « La crise sanitaire aura définitivement mis un terme au projet de construction d’un centre de congrès et de 7 hôtels sur les terrains situés au nord du village. Trop ambitieux financièrement, imaginé il y a plus de dix ans et maintenant obsolète dans le contexte économique mondial, International Trade Center (ITC) ne verra jamais le jour, le dernier permis de construire ayant expiré en milieu d’année dernière ».

Illustration 3
Figure 3 © site www.itc-paris.com

Entretemps, fin 2019, le gouvernement prononce l’abandon d’Europacity, considéré comme "daté et dépassé". Il est probable que sans cette annulation, un tel projet n'aurait pas résisté à la pandémie. On aurait pu croire alors caduc le maintien en plein champ de cette gare de métro conçue sur mesure pour Europacity, désormais inutile. Car dans le dossier de la Déclaration d’Utilité Publique (DUP), les études présentées indiquaient clairement un taux de 48% de la fréquentation de la ligne 17 Nord pour la seule gare du Triangle de Gonesse et seulement une vingtaine de % pour les flux desservant Roissy. Comment maintenir désormais une liaison dont le fonctionnement serait à coup sûr lourdement déficitaire, dans un contexte où ni la Région ni l’État ne savent comment financer l’exploitation du Grand Paris Express ? 

I.3. Une nouvelle salve de Grands Projets Nuisibles et Imposés

Indifférents aux signes du dérèglement climatique qui s'accélère et au retournement de conjoncture économique, les dysménageurs poursuivent leur fuite en avant par la recherche coûte que coûte d’un nouveau GPNI à vocation internationale à se mettre sous la dent. Dans le descriptif d’urbanisation du Triangle destiné au Tribunal Administratif de Cergy, signé par le préfet en 2023, on continue à citer un projet de pôle d’affaires avec un potentiel de 80 000 emplois prétendus, dépourvus de la moindre réalité. Faisant l'impasse sur le fiasco d’ITC et l'avis lucide du maire de Roissy cité plus haut ("trop ambitieux financièrement".. "obsolète dans le contexte économique mondial"...). Mais surtout sans intégrer la désaffection qui a frappé au cours de la pandémie le plus gros quartier d’affaires européen : La Défense dont les tours se sont vidées, sous les effets conjugués de la crise sanitaire et de l’explosion du télétravail. Depuis, le site n’a pas retrouvé sa fréquentation antérieure, car les investisseurs s'orientent vers des bureaux plus petits, mais très bien situés dans l'hypercentre : en témoigne le taux de vacance qui atteint 16% en 2023 à la Défense, contre 2,3% dans le Quartier Central des Affaires (QCA) de la capitale, qui bat tous les records de croissance de l'emploi, dans un scénario de re-concentration qui fait exploser les inégalités territoriales en IDF, comme je le démontre dans un autre article de ce blog.

« Les investisseurs privés boudent le territoire ? Pas grave ! » se disent les dysménageurs, « L’État n’a qu’à prendre le relais ! », suivant le principe bien connu : « quand on ne peut plus privatiser les profits, on socialise les pertes ». Gagné : l’État vole au secours de l’urbanisation du Triangle de Gonesse, avec le Premier ministre Jean Castex qui arrive le 7 mai 2021 avec sa hotte de Père Noël et fait tomber successivement sur l'Est-95 : une Cité scolaire - bien sûr à « caractère international » -, une annexe du Marché International de Rungis  porté par la société d'économie mixte Semmaris, une administration d’État (qui devait être désignée en décembre 2021 et qu'on attend toujours... y aurait-il quelques problèmes avec les syndicats ?...) et pas moins de 3 BHNS (Bus à Haut Niveau de service) s'additionnant à celui déjà en place (ligne 20) et devant converger vers la gare en plein champ du Triangle. Remarquons au passage que l’équipement éducatif promis ne coûte pas un centime à l’État, c’est le département qui finance la partie Collège et la région la partie Lycée. On ne saurait refiler plus élégamment la patate chaude du coût d’un nouveau GPNI aux dysménageurs !  Et sans aucune analyse de besoins, l’appel d’offres pour la Cité scolaire en plein champ est lancé par la Région au cours de l’été 2022, alors que les besoins les plus criants du Val d’Oise en matière éducative portent plutôt sur l’entretien des bâtiments existants et la création de nouveaux établissements dans les zones urbaines. Voir l'analyse de la demande dans un autre article de ce blog. Dans « l’Écho du Triangle », la newsletter du Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG), le président Bernard Loup s’indigne que l’implantation d’une prison (autre cadeau du Premier ministre) fasse l’objet d’une concertation publique et qu'une localisation à Goussainville soit écartée - entre 6 sites pressentis - , au motif des nuisances de bruit de l’aéroport. A la différence de la Cité scolaire, imposée sans débat sur un seul site. Apparemment, le sort des jeunes et de leurs conditions d'apprentissage dans un établissement survolé par 1500 avions quotidiens, serait moins pris en considération que celui des futurs prisonniers et de leurs conditions d'incarcération.

Citons également, au titre des GPNI, la relance du projet routier de « l’avenue du Parisis » (anciennement appelé Boulevard Intercommunal du Parisis -BIP-), concernant le bouclage d’une voie routière express, frappée de léthargie après avoir été invalidée par deux recours juridiques. Un GPNI totalement démodé correspondant à l’ancienne A 87 (un projet vieux de 80 ans d’une rocade routière encerclant Paris, entre l’A 86 et la francilienne), qui aurait pour but de relier les autoroutes A15 et A1 d’Argenteuil à Bonneuil-en-France, dont j’ai évalué l’utilité pour les 13 communes traversées à 3% des besoins de "déplacements domicile-emploi"♦ dans un précédent article de ce blog. Glosons sur l'entêtement des dysménageurs qui privilégient une rocade routière aussi coûteuse qu’inutile, au détriment d’une rocade ferrée, le tram-train T 11 (ancienne Tangentielle Nord utilisant les voies existantes de la Grande ceinture), qu’il suffisait d’aménager. Et nous examinerons dans un article spécifique la parfaite inutilité de trois autres GPNI : les BHNS indiqués dans le « Plan Val d’Oise » porté par le préfet et le Conseil départemental 95, sans aucune concertation, ni évaluation de la demande de transports.

II. UNE OFFRE D’AMÉNAGEMENT SANS ANALYSE DE BESOINS

Tous les projets cités plus haut ont un point commun : ils font tomber une OFFRE « descendante » sur le territoire, sans aucune écoute « ascendante » de la DEMANDE des habitants, comme s’il suffisait d’implanter une activité n’importe laquelle pour provoquer mécaniquement des embauches et une baisse du chômage, ou encore de construire un équipement de transport quelle que soit sa destination, et comme si un gain de temps de déplacement escompté induisait fatalement l'accès à des emplois. Ce n'est pas parce qu'on arrive plus aisément aux portes des entreprises, qu'elles vont forcément s'ouvrir...

⇒ LA DEMANDE  : Les cartes qui illustrent cet article permettent de localiser la demande de déplacements émanant de la population active qui habite le territoire :

  • les chiffres positionnés à l’emplacement de chaque commune-pôle indiquent les actifs qui travaillent « sur place »♦, dans leur commune de résidence ;
  • les flèches montrent l’importance et la direction des flux domicile-emploi, avec le nombre d’actifs concernés localisés sur le lieu de destination.

En face, nous avons tracé L'OFFRE de transport lourd projeté, constituée par la ligne 17 Nord de métro du Grand Paris Express et notamment la gare du Triangle de Gonesse, située en Val d’Oise. L’observation des cartes prouve, à l’évidence, que cette OFFRE ne correspond que marginalement à la DEMANDE.

Voir le tracé de la ligne 17 N (en pointillés sur les cartes qui suivent), avec une étoile pour la gare du Triangle de Gonesse : il montre clairement une situation très excentrée par rapport aux faisceaux de flux d’actifs qui partent des communes du Val d’Oise et rejoignent leur lieu d'emploi. Les travailleurs se dirigent pour l’essentiel vers le Sud/Sud-Ouest. L’offre de transports prévue ne répond ni à cette demande largement majoritaire, ni aux flux minoritaires qui vont vers le Nord ou l’Ouest.

En synthèse : un métro qui desservirait Roissy est inutile à 95%. D’autant plus que des offres alternatives existent. Et que la demande la plus élevée est locale. Elle réclame bien au contraire des possibilités de déplacements de proximité, ou des transports de rabattement vers des radiales en direction de l'hypercentre de l'agglomération de l'Ile-de-France : des bus "ordinaires" peuvent y suffire.

Il faut aussi tenir compte de la réalité : le pôle de Roissy affiche depuis 15 ans une récession de l'emploi. Depuis son implantation en 1974, le pôle aéroportuaire a enregistré un fort développement de son activité et de ses emplois jusqu’en 2008. A partir de cette date, il y a dissociation entre l’augmentation du trafic qui se poursuit et  le nombre d’emplois qui se réduit. L’Insee enregistre ainsi une forte réduction des postes de travail, malgré une légère remontée en 2016-2019 (Figure 4).

Illustration 4
Figure 4 © J. Lorthiois

Au total, de 2008 à 2019, les pertes s’élèvent à 18 800 emplois. Nous ne disposons pas encore des données des recensements 2020-2021, mais tout porte à croire que la pandémie a entraîné une nouvelle réduction massive des postes de travail. Nous nous trouvons aujourd’hui dans un tournant sans visibilité : les passéistes parient sur un redémarrage de l’activité et des emplois, les réalistes plaident pour la prise en compte de l’urgence climatique et estiment que la page de « Roissy moteur de développement » est définitivement tournée. Une certitude : les années fastes en matière d'emplois sont terminées.

CONCLUSION

Alors qu'on assiste à une re-concentration sans précédent des activités, des emplois et de l'offre de transport au service de la Métropole et notamment de son hypercentre, promouvoir des Grands Projets à caractère métropolitain comme les GPNI qui ont été cités dans cet article, revient à accroître la dépendance socio-économique du Val d'Oise et à aggraver sa fonction d'"espace servant". Le "Plan pour le Val d'Oise" envisagé pour le département et notamment pour l'Est-95 ne risque-t-il pas de devenir un "Plan contre le Val d'Oise" ? L'article Est-95 n°2 qui suit détaille le décalage Offre-Demande observé en matière de transport et plaide pour partir des besoins locaux.

MES DEFINITIONS

Pôle d’emploi : concentration d’activités économiques sur un site géographique restreint.

Bassin d’emploi : aire d’attraction d’un pôle d’emploi sur le territoire environnant.

Pôle de main-d’œuvre : concentration de population active sur un site géographique restreint.

Bassin de main-d’œuvre : aire de diffusion d’un pôle de main-d’œuvre sur le territoire environnant.

Déplacements domicile-emploi : trajets quotidiens des actifs en emploi (chômeurs exclus) entre leur lieu de résidence et leur lieu d’activité. Par convention, ne sont comptabilisés que les flux « aller » qu’il faut évidemment multiplier par deux.

Travail « sur place » : désigne le travail des actifs exerçant leur activité dans leur commune de résidence. Le taux exprimé en pourcentage se calcule par rapport aux actifs en emploi.

« Sortants » : actifs en emploi quittant leur commune de résidence pour aller travailler. Ils partent d’un pôle de main-d’œuvre et se calculent d’après leur lieu de DESTINATION.

Par opposition aux «Entrants » : actifs venant occuper un emploi dans une commune extérieure à leur lieu de résidence. Ils alimentent un pôle d’emploi et se calculent d’après leur lieu d’ORIGINE. Sortants et Entrants constituent ce qu’on appelle des « migrants alternants » ou encore des « navetteurs ».

⇒ Pour en savoir plus, voir site de J. LORTHIOIS, in « Concept généraux ».

https://j-lorthiois.fr/concepts-generaux/distinguer-les-bassins-sans-les-confondre/ 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.