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Communiste sans parti. Auteur de: "Etrangers, immigrés, bienvenue! vous aussi êtes ici chez vous", "L'Irruption des prolétaires", "Gilets Jaunes une lutte ouvrière décapante", "Réinventer le communisme"

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Billet de blog 26 février 2024

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En quoi le communisme peut-il aider les résistances de Palestine et d’Ukraine ?

Netanyahou et Poutine sont tous deux des anti communistes farouches. Représentants de clans capitalistes corrompus, mobilisant les religions et les religieux, commanditant des assassinats comme celui de Navalny, dirigeants de guerres d’agressions, criminels de guerre, on comprend qu’ils soient anti communistes car le communisme peut être une aide pour les résistances de Palestine et d’Ukraine.

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Poutine a justifié son invasion de l’Ukraine en s’en prenant à Lénine, responsable selon lui de l’émancipation de l’Ukraine. Notons en passant la stupidité des commentateurs occidentaux qui au mépris de la réalité et des diatribes anti communistes de Poutine lui-même, conforte son discours soit disant anti nazi en prétendant que l’agression de l’armée russe est dans le droit fil de l’armée rouge, et Poutine dans celui de Staline.

Les agressions menées par la Russie et Israël, au mépris des règles internationales et des résolutions de l‘ONU, se font toutes les deux au nom de la lutte anti nazie : dénazifier l’Ukraine d’un côté, de l’autre, drapeau de la Shoa en avant, les palestiniens sont eux aussi traités de nazis par les israéliens.

Ce sont les communistes avec l’Union soviétique qui ont pour l’essentiel battu les nazis alors que les agressions soit disant anti nazies actuelles de la Russie et d’Israël, sont anti peuples et anti communistes. Il est donc légitime de se demander en quoi une perspective communiste peut aujourd’hui aider les deux résistances ?

DEUX GUERRES COLONIALES

Tout d’abord en replaçant les deux guerres dans leur perspective historique. Il s’agit de deux agressions coloniales, l’une comme Poutine le proclame, pour tenter de reconstituer la Grande Russie, l’autre pour maintenir un comptoir colonial occidental en terre arabe. Dans les deux cas, en Ukraine comme en Palestine, la réalité, la volonté et le sentiment national des peuples sont niés par les agresseurs. Soutenir les deux résistances c’est les conforter l’une l’autre. Peu de forces politiques, à l’exception des communistes (certains !), soutiennent les deux résistances. Ce faisant les communistes, minoritaires en occident, y expriment cependant la position majoritaire des pays du monde, des pays du Sud en particulier. La Russie est isolée dans tous les votes sur l’Ukraine à l’ONU. Israël et les États-Unis le sont dans tous les votes sur la Palestine.

Contre deux empires coloniaux

La perspective communiste permet de comprendre que l’écroulement des empires féodaux russe et ottoman, d’où ont émergé respectivement les nations ukrainienne et palestinienne, se déroule sur une longue période historique. Les velléités d’empire Grand Russe qui auraient pu disparaitre à l’issue de la première guerre mondiale comme les empires ottoman et austro hongrois, a traversé même la révolution soviétique. Une fois l’accumulation de capital réalisée lors de la tentative de construction  socialiste en Urss, le capitalisme russe se rétablit formellement dans les années 90. Il tente dans la foulée de recontrôler ses ex-colonies, à l’image des empires coloniaux français et anglais des années 50. Mais le rôle de ces derniers est déjà fini. Comme celui de l’empire français dans d’autres régions du monde, l’emprise du capitalisme anglais est déjà terminée en Palestine.  Ces empires coloniaux ont été supplanté par l’empire américain, qui a supplanté ses rivaux et s’est mieux adapté face à la lutte des peuples pour leur émancipation. L’impérialisme américain s’exerce par la finance, les agressions militaires ponctuelles, les collaborateurs locaux, et non, à l’exception d’Israël dans des circonstances particulières, par l’occupation territoriale. Les luttes d’émancipation d’Ukraine et de Palestine sont les convulsions du déclin de ces empires russe et états-uniens. L’affermissement de la Palestine et de l’Ukraine en nations indépendantes participe à l’avènement d’un monde « multipolaire » où toutes les nations jouissent d’une égalité au moins formelle.

Il peut paraitre déroutant que des luttes de libération nationale aient encore cette importance à une époque où le prolétariat pour la première fois dans l’histoire est devenu majoritaire dans le monde. Les phases historiques ne se déroulent pas à l’échelle d’une génération comme nombre de communistes ont pu le penser. Le capitalisme a mis plusieurs siècles à supplanter le féodalisme, dont on l’a vu il reste même encore des traces. Le colonialisme lui aussi met plus de temps qu’attendu à disparaitre. La violence des luttes d’Ukraine et de Palestine nous le rappellent. Voir Palestine, Ukraine, luttes dé coloniales, même combat !

L ’AIDE COMMUNISTE AU COURS DE LA LUTTE

Au-delà de la compréhension générale du contexte des luttes, l’expérience communiste peut être une aide pour mener la lutte elle-même.

Quelles classes sont mobilisées ?

Les communistes constatent que toutes les organisations significatives de travailleurs, aussi bien en Ukraine qu’en Palestine soutiennent la résistance. En Ukraine les syndicats, FPU, KVPU,  le Mouvement social (Sotsialnyi Rukh), les multiples associations soutiennent la résistance armée. Pourtant en même temps elles combattent les mesures anti sociales prises par le gouvernement Zelenski, comme la loi 5371 qui prive 70% des travailleurs de leurs droits. En Palestine, malgré les terribles conséquences pour elle des actions menées par la résistance, la population continue à la soutenir. Ce que confirme la férocité israélienne généralisée.

Se demander quelles classes sociales sont mobilisées permet de mieux mobiliser les forces impliquées. Cela permet d’ anticiper les évolutions de la lutte, qui seront les amis jusqu’au bout, qui lâchera en route ? Voir les travailleurs et les deux guerres. Plus précisément la position bien connue des communistes « Prolétaires de tous les pays unissez-vous » doit permettre d’obtenir l’appui des travailleurs mobilisés par les camps russe et israélien, doit permettre au moins de diviser et d’affaiblir les agresseurs. La recherche de l’unité des travailleurs, au-delà des religions, des frontières et des questions nationales, permet de prendre en compte le point de vue des travailleurs mobilisés dans le camp adverse et de dégager ainsi des portes de sortie du conflit. Par exemple en Palestine prendre en compte que les 7 millions d’israéliens sont pour l’essentiel aussi des travailleurs.

Soutien aux positions des travailleurs sur place.

Dans tous les cas les communistes soutiennent les positions et les décisions des populations concernées elles-mêmes, des travailleurs en particulier. Trop de personnes, parfois même de bonne volonté, interviennent pour imposer ou orienter des solutions à leur convenance. Les communistes eux ne se permettent pas d’avancer des mots d’ordre que les travailleurs sur place ne valident pas. Comme en Ukraine réclamer un « cessez le feu » ou des « négociations ». Nous nous rappelons l’histoire. « Notre » communiste, Missak Manouchian réclamait-il un « cessez le feu » ou des « négociations » aux envahisseurs nazis ? Non ! En revanche ceux de Gaza réclament un cessez le feu et des négociations et nous le relayons. Seuls les travailleurs en lutte sont légitimes à définir leur stratégie qui peut évoluer en fonction des circonstances. Par exemple il est possible que la conduite de la guerre par la bourgeoisie ukrainienne, trop dépendante de la défense des frontières et des armes occidentales, se révèle trop couteuse pour les travailleurs, ukrainiens comme russes. Dans ce cas, uniquement si elle le décidait, une alternative s’offrirait à la résistance ukrainienne  : continuer la lutte avec les autres peuples opprimés et les travailleurs russes eux même au sein de l’empire Grand Russe.

Pour les communistes ce que la communauté internationale peut et doit faire c’est viser la paix, exiger le respect des règles internationales, le retrait des occupants, assurer l’expression de la libre décision des peuples. Parallèlement les communistes soutiennent les travailleurs et les résistances en lutte.

La conduite de la guerre

Les expériences communistes passées elles-mêmes peuvent être utiles dans la conduite de la guerre. Ce qui en Occident freine le soutien massif aux deux résistances est le fait que chacune d’elle est susceptible de recevoir l’appui de l’agresseur de l’autre. Ainsi le soutien des dirigeants occidentaux à l’agression israélienne contre les palestiniens, le « deux poids, deux mesures » en faveur de l’Ukraine, rend à juste titre méfiant et freine le soutien des travailleurs d’Occident à la résistance ukrainienne. La théorie révolutionnaire, les débats de Lénine et de Rosa Luxembourg sur cette question[1], et la pratique même de Lénine utilisant un train allemand pour rejoindre en plein conflit inter impérialiste la révolution russe en 1917, peuvent éclairer ces questions complexes.

Étudier comment mener une « guerre du peuple » et se « battre à l’intérieur des lignes » comme l’ont fait de façon victorieuse les leaders comme Mao Zedong ou Ho chi Minh peut aussi s’avérer précieux. Voir  L’offensive du Hamas une victoire à la Pyrrhus cela permet peut-être aussi de tirer des leçons de la contre-offensive ratée de l’Ukraine à l’été 2023.

La conception laïque de la lutte

La laïcité que défendent les communistes est aussi un atout. Elle mine l’une des composantes de l’idéologie des agresseurs, la religion.  Les agresseurs s’appuient sur la religion orthodoxe pour la Russie, le judaïsme mais aussi le christianisme évangélique américain pour l’état qui se veut juif. Voir Israël, le risque existentiel. Les conceptions laïques permettent de rassembler plus de forces, en particulier de mobiliser les femmes si opprimées par les religions. De ce point de vue la lutte des kurdes, animée par des communistes en donne un bon exemple. En outre la distance à l’égard de la religion permet de réduire le factionnalisme et la division dans le camp de ceux qui luttent. Elle permet aussi d’élargir le soutien international. Surtout elle interdit aux conceptions religieuses de prendre le commandement et de mener, soit aux désastres comme Daech, Al-Qaïda, et même Israël l’ont montré, soit à des victoires décevantes comme en Iran ou en Afghanistan. Décevantes en particulier pour les femmes.

La perspective communiste permet de sortir des discours et des histoires irrationnelles concernant des religions qui se croient uniques et de toujours.  Comme toutes les créations humaines les religions sont datées. Les humains en ont eu besoin dans certaines circonstances, les luttes d’aujourd’hui exigent leur effacement. Or trop souvent les laïques se font déborder s’ils ne s’appuient pas sur une solide conception communiste. Mais c’est vrai aussi des communistes qui se refusent à mener la lutte des idées contre la religion !

Les luttes nationales et leurs limites

Si les causes nationales ukrainienne et palestinienne sont justes, les communistes sont internationalistes et relativisent les discours sur les nations qui elles aussi se croient uniques et de toujours, mais qui elles aussi sont datées. Les luttes victorieuses de l’Algérie, de l’Iran, de l’Afghanistan pour l’indépendance, comme celle victorieuse également de l’Afrique du Sud contre l’apartheid, ont-elles débouché sur des situations satisfaisantes pour les travailleurs ? Non. Il faut donc voir au-delà du but immédiat de la lutte.

L’AIDE COMMUNISTE POUR L’APRÈS :

La lutte de libération nationale exige de faire l’alliance avec des classes qui profitent du capitalisme. Dans ces conditions les idées communistes sont nécessaires pour éviter que les intérêts privés, les inégalités, et la corruption qui va avec, prennent le pas sur l’intérêt général. Car inégalités, corruption, sentiment d’injustice minent les luttes. De nombreuses firmes internationales privées sont déjà impliquées dans ces guerres. Les compagnies d’armement bien sûr, mais aussi les BigTech, Microsoft, Amazon, Google… Starlink d’Elon Musk assure les communications en Ukraine etc.  Contenir ces intérêts privés sera une nécessité aussi après la victoire.

La reconstruction : La reconstruction de l’Ukraine est estimée par la Banque mondiale à 452,8 milliards d’euros sur dix ans. Plus de la moitié des habitations de Gaza étaient déjà détruites mi-février. Des dizaines d'hôpitaux, des centaines d'écoles et de bâtiments gouvernementaux ont été pulvérisés. Ceci après 56 ans d'occupation et un blocus de 17 ans… Les besoins sont probablement du même ordre qu’en Ukraine.

Déjà de nombreuses firmes internationales s’apprêtent à se partager le « gâteau » de la reconstruction. Ainsi le journal Le Monde nous apprend que « Cinquante-six documents ont été signés les 20 et 21 février, en marge de la Conférence de promotion de la croissance économique et de reconstruction de l’Ukraine, une réunion bilatérale organisée par Tokyo au siège du Keidanren, la puissante organisation patronale nippone »…

Se poser la question du caractère économique, social et politique de la nation à reconstruire est une évidence.  Le résultat de la lutte sera-t-elle une société plus égalitaire ou inégalitaire comme en Afrique du Sud ? Cette société sera démocratique ou non ? Se poser la question est d’autant plus nécessaire à une époque où la crise du capitalisme le fait recourir à des politiques de plus en plus illibérales pour surmonter ses crises. Ce n’est pas par accident que Trump est pour la 2ème fois éligible en novembre 2024 à la tête du pays leader du capitalisme. Ce dernier est obligé aujourd’hui de mettre en cause les libertés démocratiques dont il a été un moment porteur : émancipation des peuples, élections libres, libertés individuelles, liberté des choix sexuels, de genre, de grossesse… La structure oligarchique des pouvoirs russe et états-uniens combattus par les résistances ukrainienne et palestinienne pose clairement la nature de l’alternative nécessaire. Si l’on souhaite l’égalité, des biens communs, une écologie responsable, des libertés démocratiques....à part un communisme réinventé[2], ayant tiré les leçons des tentatives initiales, quelle alternative?

Palestine, Ukraine libérées

Même si elles peuvent paraitre comme des luttes d’arrière garde contre les empires coloniaux, Palestine et Ukraine ne passeront pas forcément par les mêmes étapes que les pays qui n’ont pas été confronté aux mêmes agressions. L’histoire procède par bond. L’Afrique a zappé la phase du téléphone fixe et a sauté directement au mobile et même au paiement par mobile.  Les travailleurs d’Ukraine et de Palestine sont et seront confronté aux mêmes échéances que les autres : les inégalités, les dérèglements climatiques et écologiques que les guerres auront encore aggravé localement… Ils sont et seront dans le même environnement technologique, Intelligence artificielle,  physique quantique, maitrise des océans et de l’espace... Ils sont déjà et seront confrontés aux mêmes mutations de société, PMA / GPA, question du genre, vieillissement des populations etc. Il sera alors fort utile, au lieu de laisser cours à une minorité d’intérêts particuliers, d’avoir un point de vue rationnel, basé sur les sciences et prenant en compte l’intérêt général.

Le N° 27 du 24 février de brigades de solidarité avec l’Ukraine est téléchargeable gratuitement.

Urgence Palestine

Association France Palestine solidarité

[1] Lénine « L’impérialisme stade suprême du capitalise » 1917. Et aussi « A propos de la brochure de Junius » (pseudonyme de Rosa Luxembourg) 1916.

[2] Jacques Lancier « Réinventer le communisme, démocratique, écologique, européen, internationaliste » Amazon 2018.

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