Ce billet est en fait une re-publication, après lecture du billet de Frédéric Lemaire : "Un imaginaire de conquête pour la gauche", et quelques modifications.
Les 14 et 15 décembre ce tenaient à Paris "les entretiens du nouveau monde industriel" où il fut entre autre question des réalités d'ores et déjà en action du politique reconfiguré à l'ère de la réticulation numérique mondialisée.
Par ailleurs, à la faveur de la révolution technologique du numérique un changement de modèle économique est en train de s'imposer à marche forcée, dont le feuilleton Uber n'est que la mousse superficielle à usage médiatique, tandis qu'en profondeur la plupart des secteurs de production, de biens comme de services, sont peu à peu bouleversés par le transfert des compétences cognitives de leurs salariés vers des algorithmes. Cette nouvelle étape d'application du numériques succède et accélère les effets de la première, machinique, qui depuis des décennies n'en finit pas et n'en a pas encore fini d'automatiser les procès de fabrication des objets de notre consommation. Désormais c'est la prise en charge robotique de quantités de fonctions tertiaires qui est à l'ordre du jour (recherche, formation, ingénierie, management etc...).
Au total, ce seront donc des emplois par millions qui vont être supprimés, de plus en plus rapidement.
Certes, l'hypothèse fait débat.
Voir ici, là et encore là.
Mais il y a fort à parier que l'adaptation à cette nouvelle révolution technologique dans un monde dominé par la concurrence effrénée pour la captation des marchés, et des profits qui vont avec, sera bien plus motivée massivement par la recherche permanente de la baisse des coûts de production, autrement dit la suppression d'emplois que par le désir d'entreprendre, et de créer au passage des emplois.
Et les succès fulgurant de quelques start-up hypermédiatisés ne compenseront pas et ne doivent pas faire illusion, quoiqu'on puisse en dire, ne serait-ce que parce qu'ils sont justement basés sur l'économie des moyens humains mobilisés, ridiculement réduits au regard des montants des capitalisations boursières visées.
C'est à l'aune de cette réalité complexe,
esquivée ou dissimulée par la gauche de gouvernement,
ignorée de la gauche qui se veut à gauche de la gauche, voire "radicale",
et soigneusement occultée par une droite parfaitement lucide sur ce genre de question,
mais tous unis dans leurs discours (sincère ou fallacieux c'est selon) sur les sempiternels mythe de la souveraineté nationale, de la lutte contre le chômage, pour le retour au plein emploi et pour la défense de notre "modèle social",
qu'il faut lire (éventuellement relire) mon précédent billet :
"La société du spectacle, dernier acte ? Et pour en finir avec l'europhobie régrévolutionnaire".
On pourra utilement visionner cette très courte vidéo (7 minutes) qui précise bien la problématique sociale que pose cette réalité, et rétroactivement les crises politiques aigues à venir qu'elle sous-tend.
Certes doit-on probablement ne pas se laisser hypnotiser par l'effet "scoop" de ce genre de communication.
Pour autant, il fixe on ne peut mieux la réalité des enjeux politiques de notre présent immédiat et toutes les limites de l'exercice démocratique enfermé dans les états-nations auquel on veut de toutes parts continuer à nous faire croire.
Du côté des "gauches critiques" dont le rôle est d'anticiper et de nous alerter, la carence cultivée sous la houlette de quelques intellectuels gourous enfermés dans leur obsession monomaniaque d'une souveraineté monétaire ou prétendument populaire et démocratique parce que nationale, tient essentiellement d'un idéalisme totalement anachronique. Un idéalisme démocratique, certes agréablement romantique, mais totalement déconnecté de la réalité des faits.
Contribuant à nourrir l'illusion nationale, dont on voit bien à l'aune des élections régionales et dans le contexte de crise sociale aigue qui est le notre qu'elle ne peut que servir de marche-pied au discours régressif de l'extrème droite dans une dynamique de surenchère sécuritaire et démagogique sans fin dont elle seule peut sortir vainqueur, cette carence de la pensée critique est proprement et scandaleusement coupable.
(A peu près du même tonneau que cette autre qui consiste à cautionner le retour du religieux en politique et à contribuer ainsi à la déconstruction de l'avancée émancipatrice que fut la laïcisation de l'état, au nom de la lutte contre la si mal nommée "islamophobie" quand il ne s'agit que de servir de marche-pied aux boutefeux de l'islam le plus régressif. Nous venons d'en discuter là, et ce n'est probablement pas fini.)
Il n'y aura pas de revitalisation du politique ni de nouvelle avancée pour l'émancipation démocratique à défaut d'un retour préalable à la réalité, et d'une relance préalable, volontariste et internationaliste de la pensée critique, comme l'imposent aussi bien les réalités de la crise environnementale que celles de la révolution numérique ou celles encore de la dérive du capitalisme spéculatif.
Et l'internationalisme progressiste tel que par exemple Lordon le met en perspective d'une réaffirmation préalable de souverainetés nationales progressistes n'est qu'une lubie, le produit d'une illusion stratégique qui ne voit pas que les solidarités sociales, ou de classes, ne peuvent avoir plus que jamais de perspectives d'expression et de réalités mobilisatrices que déliées du carcan des idéologies nationales qui n'ont aucune espèce de prise sur les transformations en cours et les réalités d'ores et déjà acquise du capitalisme spéculatif mondialisé.
Bien au contraire, ce n'est qu'à la condition d'affronter préalablement la réalité désormais et irrémédiablement internationale des modalités ou processus de l'aliénation sociale que les dynamiques d'émancipation inscrites dans les territoires pourront renaître.
Il n'y a pas là matière à nier le fait national, simplement motif à ne pas en faire l'outil qu'il ne peut plus être.
On relira avec intérêt les billets publiés ici par Antoinette Rouvroy :
De même y-a-t-il à piocher sur le site des "entretiens du nouveau monde industriel" dans les onglets ressources ou dans les vidéos des différentes sessions de ces journées.