14 Février 2018
La révolte étudiante de Mai 68 n’est pas totalement étrangère au Cinéma. L’affaire de la Cinémathèque française participa modestement, en rassemblant artistes et intellectuels et en faisant surtout reculer le régime, à la révolte de Mai.
La Cinémathèque française, c’était depuis 1936 Henri Langlois, son fondateur et délégué général,“le dragon qui veille sur nos trésors” selon l’expression de Cocteau, “un homme obsédé, un homme animé par une idée fixe, un homme hanté”, a écrit François Truffaut.
Le 9 février 68, Henri Langlois est démis de ses fonctions sur demande du gouvernement. Ce renvoi suscite une énorme émotion non seulement dans les milieux du cinéma, français et internationaux, mais dans tout le monde culturel.
Truffaut commence alors à agiter le milieu pour soutenir Langlois. “Scandale à la Cinémathèque : le révoltant limogeage d’Henri Langlois” : titre Henry Chapier dans le quotidien Combat. Le Monde parle de “décision surprenante”et publie le lendemain une pétition signée par quarante cinéastes français, d’Abel Gance à Jean Eustache. Sur proposition de Langlois de nombreux cinéastes du monde entier interdisent la programmation de leurs films à la Cinémathèque.
Le 12 février, les partisans de Langlois, accompagnés de Michel Simon déconseillent aux spectateurs d’assister aux séances. Chabrol déclare aux journalistes : “Ce sera une guerre totale. Et nous sommes sûrs de la gagner.”
Tout se joue alors le 14 février, « journée des matraques ». Trois mille personnes se dirigent vers la Cinémathèque. Les flics chargent. On soigne Truffaut sous un porche, puis Tavernier le visage en sang. Godard donne le signal de la dispersion. J'y étais, un peu déçu...Malraux, ministre des Affaires culturelles de De Gaulle, engueulera le préfet de police pour ne pas avoir su tenir ses hommes.
Le 15, conférence de presse du Comité de défense de la Cinémathèque, avec rien de moins que Rouch, Godard, Rivette, et Renoir . Dans la salle, les étoiles du cinéma français, dont Nicholas Ray, Marcel Carné, Simone Signoret, Michel Piccoli ou Jacques Prévert…
Paris-Jour titre “B. B. s’en va-t-en guerre pour Langlois”. Le 18 mars, Jean Marais prend la tête d’une manifestation en brandissant un portrait de Langlois. Les bureaux de la Cinémathèque sont envahis. Chabrol, poussé par un certain Daniel Cohn-Bendit…va parlementer avec la police et lui arrache un manifestant qui vient d'être arrêté.
Le 23 avril, Langlois retrouve ses fonctions et déclare: “Eisenstein aurait pu régler la mise en scène de vos manifestations, puisque vous avez joué d’abord Potemkine sur les marches du palais de Chaillot et Octobre rue de Courcelles.” Baisers volés de Truffaut sortira en salles le 4 septembre 68, dédié à « la Cinémathèque française d’Henri Langlois ».
Conclusion de François Truffaut en juillet:"Ce gouvernement s’est vite aperçu de la gaffe monumentale qui avait été faite à propos de Langlois, et il a reculé. On peut dire que cela nous a prouvé qu’il faut demander dans la rue ce qu’on n’obtient pas dans les bureaux ». Vieille leçon du mouvement ouvrier...
L'annulation du Festival de Cannes sera traité le jour correspondant, le 19 mai. Quant à l'impact de 68 sur la production cinématographique, il fera l’objet d’un autre article, au moment des bilans, dans le second semestre de ce 50 ème anniversaire.
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Articles déjà publiés dans ma série "Mai 68 au jour" qui offrira plus de 70 articles dans l’année:
- 5 Janvier 68: Dubcek accède au pouvoir en Tchécoslovaquie
- "Eh bien non, nous n'allons pas enterrer Mai 68", par A. Krivine et A. Cyroulnik
- 26 Janvier 68: Caen prend les devants
- 27 janvier 68: les lycéens font collection de képis de policiers
- 29 Janvier 68: Fidel écarte les dirigeants pro-soviétiques
- 31 janvier 68: Vietnam, l’offensive d’un peuple héroïque
- Mai 2018 : sous les pavés la rage, par Jacques Chastaing
- Mai 68 vu des Suds
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