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Billet de blog 30 juillet 2025

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Femme au bord de la soumission

Sezar a fui l’Irak en guerre, et elle rêve de Sorbonne, de France des Lumières, de la langue de Gide. Mais il faut manger et elle est caissière. Et harcelée par son chef.

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C’est surtout le désespoir, qui porte à la soumission. La soumission est une résignation. Le désespoir porte par exemple au marxisme ou au héléphisme, à s’engager dans un ordre monacal, dans une secte, etc. D’ailleurs, quand on s’engage ainsi, on fait renaître son espoir ! C’est là le truc. Pourquoi les systèmes vainquent.

Si on cédait ? Si on cédait ? Si on cédait, ai-ai-ai-ai ? Si on cédait, ai-ai-ai-ai ?

Illustration 1

Martin Veyron a créé le personnage de Bernard Lhermite. Sa devise est « Soyez moudougou ! (« moudougou » signifie « mou » en javanais.) Le sort ne s’acharne jamais sur ceux qui baissent les bras. »
Cette devise n’est en fait qu’une tentation universelle. À elle seule, elle explique le paradoxe du contr’1 de La Boétie. Il nous arrive d’avoir à l’affronter. Le tout, c’est d’y résister. 
Sezar va-t-elle plier ?
Eh bien non ! (je divulgâche). Parce qu’elle a un espoir, un nommé Nicolas.

Quatrième article consacré à l’éducation d’une fée nommée Sezar.

https://blogs.mediapart.fr/jean-max-sabatier/blog/060725/education-d-une-fee

https://blogs.mediapart.fr/jean-max-sabatier/blog/190725/ephemere-caissiere

https://blogs.mediapart.fr/jean-max-sabatier/blog/200725/femme-aux-bords-de-l-insoumission

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Parfois je me sens flotter dans une toile d'araignée qui se renforce de semaine en semaine. À la pause, aujourd'hui, Mina et Stéphanie m'ont lancé avec suavité, en me voyant lire le programme des conférences à la Sorbonne :  « Josiane aussi, au départ, elle était venue pour un mois. On y prend goût », ont-elles ajouté d'un air vendeur, et cela voulait dire : on y fait souche. 
Je n'ai rien pu répondre ; je ne dispose d'aucun autre argument que la foi, ce mot qui, en français, semble n'avoir que deux sens : illusion ou intégrisme. Je sais bien que mon avenir est soumis à une boîte aux lettres qui demeure vide. Personne ici ne soupçonne le voyage que j'ai fait, les années d'études et les mois de guerre, les attentes de visa, les humiliations et ce rêve de la France qui m'a permis de tout surmonter, même les deux nuits où je suis restée cachée parmi les cadavres à la frontière iranienne — tout cela pour me retrouver CDD contrat jeune à l'hypermarché de Mantes-Nord. Je sais que je suis fière, que je ne suis pas à ma place, que « je me crois», comme elles disent. Mais quand on vient d'un pays muselé, vampirisé de l'intérieur et affamé par l'embargo, privé de livres, d'alternative et de liberté, leur résignation sous les néons, leurs petits songes mesquins d'un destin planifié, soumis aux coucheries, aux maris, aux bébés, aux promotions, aux dettes, sont peut-être les plus grandes blessures que j'ai reçues dans ma vie, parce que c'est la première fois que je me sens en danger de renoncer. Josiane, Marjorie, Vanessa et les autres commencent à déteindre, je le sens bien. Je n'ai plus personne sur terre pour me redonner des couleurs, depuis que Fabien est en prison et que sa guitare s'est tue. 
Monsieur Nicolas Rockel, carte Visa Premier 4544002826172904, validité 05.01, qui que vous soyez, je vous appelle au secours. Votre fantaisie, votre détresse, vos caddies incompréhensibles et votre attention gentille, sans arrière-pensées, m'empêchaient de sombrer quatre fois par semaine. N'arrêtez pas de venir, s'il vous plaît. Je me dis que c'est pour vous seul que je reste encore dans cette grande surface ; je finis par y croire et vous ne savez pas le bien que cela me fait.

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