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Billet de blog 4 septembre 2023

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Un week-end ivre de théâtre au Moulin de l’Hydre

Le théâtre s’est enrichi d’une nouveau lieu, une pépite en milieu rural dans un village du bocage normand, Saint-Pierre d’Entremont. Simon Falguières et sa bande d’amis ont investi un lieu en déshérence pour en faire une merveille inaugurée par un festival, le tout plébiscité par le public

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Illustration 1
la grande scène du Moulin de l'Hydre © Simon Bayan

C’est une belle histoire du théâtre d’aujourd’hui qui a trouvé son gîte et fortifié son âme au fond de la vallée du Noireau à deux pas du village de Saint Pierre d’Entremont, dans l’Orne, non loin de Flers, en contre-bas du beau domaine de Cerisy-Belle -Etoile. C’est beau comme un secret, déconcertant comme un conte qui finit bien, rêveur juste ce qu’il faut. Aux premiers jours de septembre, deux jours durant, le lieu s’est ouvert à tous.

Il y en a eu des moulins au bord du Noireau au fil des siècles, et, même au XXe au lieu dit Les Vaux du rocher, une usine de filatures. Aujourd’hui, c’est devenu un ensemble nouant l’art et l’amitié rebaptisé Moulin de l’Hydre par sept amis, chiffre d’or (même s’ils ne sont plus que six : Alice Delarue, Louis De Villers, Simon Falguieres,  Leandre Gans, Anastasia Kozlow,  Stephane Maugeri ), formant l’association les Bernards L’Hermite et la compagnie le K de Simon Falguières. Ensemble, il y a deux ans, ils ont acquis l’ancienne filature et la maison d’habitation attenante (à l’emplacement de l’ancien moulin) pour en fait un lieu voué aux arts et métiers du spectacle, « une fabrique théâtrale en milieu rural » comme ils disent, une utopie en acte.

Ils n’ont pas chômé depuis deux ans, hiver comme été. De toitures en potager, de scènes de plein air avec gradins en chambres aménagées, de vaste cuisine en magasins de décor conséquent, de guirlandes lumineuses au bord de la rivière en toilettes sèches dans le jardin. Ce lieu où ils vivent, à l’année le plus souvent quand ils ne sont pas sur les routes du métier, est devenu non seulement habitable mais des plus doux. Et puis l’équipe du lieu et le village de Saint Pierre d’Entremont ont appris à se connaître, s’apprécier, s’aimer et s’épauler. C’est comme un conte dont chacun, chacune est un peu la fée.

Donc, les Bernards l’Hermite et le K, compagnie de Simon Falguières étaient fin prêts tout comme le maire du village Christian Duriez  (auto-proclamé maître du parking) pour cette ouverture des portes en forme de festival et ce fut une inoubliable réussite.

Mais pourquoi le Moulin de l’Hydre ? Un clin d’œil à la chère mythologie qui veut que l’hydre soit un serpent à sept têtes, lesquelles renaissent dès qu’on en coupe une , avant que ce diable d’Hercule ne mette un terme en tranchant d’un coup les sept têtes de l’hydre de Lerne ? Une référence à ces polypes qui vivent en en eau et se reproduisent par bougonnements ? Un septième ciel ? A quoi bon savoir. Je n‘ai rien demandé. C’est si beau à dire, à écrire « le Moulin de l’Hydre ».

Par un chemin longeant la rivière, on arrivait sur le site : tickets des spectacles, repas, crêpes et café à prix libre, deux euros le verre de Bergerac, camping gratuit.

L’errance est notre vie était le titre du premier spectacle. Un condensé en accéléré des aventures de Gabriel, de la princesse Anne et des autres que Simon Falguières développe dans son épopée au long court (13 heures) Le Nid de cendres, un merveilleux spectacle créé il y a deux ans à la Fabrica du Festival d’Avignon (lire ici).

Travaillant avec les acteurs de la Belle troupe de Nanterre-Amandiers ( jeunes actrices et acteurs en cours de formation) et partant d’eux, Simon Falguières avait relevé le défi lancé par le directeur de Nanterre Christophe Rauck : raconter l’ épopée en une heure sans décor, en puisant dans la réserve des costumes du Théâtre de Nanterre. Pari tenu et formidablement porté par toute la jeune troupe (Rosa-Victoire Boutterin, Jules Chagachbanian, Lawrence Davis, Elise de Gaudemaris, Raphaëlle de la Bouillerie, Jeanne Fuchs, Axel Godard, Gabriel Gozlan-Hagendorf, Emmanuel Pic, Paul Thouret, Myrthe Vermeulen) sur la grande scène (en plein air comme les autres) bordée d’arbres et à deux pas de la rivière .

S’ en suivirent deux spectacles invités par Simon Falguières, l’un ayant déjà tourné, l’autre créé au Moulin de l’Hydre.

Sur la grande scène, devant les mêmes gradins, Frédérique Voruz joue seule Lalalangue, « sous le regard bienveillant » de Simon Abdakian, un spectacle qu’elle a écrit et créé il y a plusieurs saisons. Elle est passée par le Théâtre du Rond Point et était à l’affiche du Théâtre des Halles au dernier Festival d’Avignon. Un spectacle donc bien rôdé qui, sous son titre lacanien, plonge à pleines mains dans le corps de la mère, unijambiste suite à un accident mais qui n’a pas sa langue dans sa poche. Cela pourrait être narcissique, c’est drôlatique, cela pourrait être pathétique c’est à se tordre. Une chaise, une tripotée de diapos et un bagout du tonnerre suffisent à l’affaire de l’actrice qui n’est pas pour rien passée dans plusieurs spectacles d’Ariane Mnouchkine..

Mathiaz Zakhar est inoubliable dans le rôle de monsieur Badile (anagramme de diable), personnage récurrent de la pièce de Simon Falguières Le Nid de cendres. Ancien élève de l’École du Nord quand Christophe Rauck en était directeur, pour un croquis de voyage initié par Cécile Garcia Fogel, il avait suivi le Danube jusqu’à son delta. Beau Voyage et belle restitution scénique. Le voici, mettant en scène Les nuits blanches, texte incandescent de Dostoïevski, dans la traduction d’André Markowicz avec deux acteurs de sa génération, Anne Duverneuil et Charlie Fabert (qui font également partie de la distribution du Nid de cendres).

Sur le coup de 22 heures et quelques poussières, entre les murs de la fabrique et ceux de maison d’habitation, le public prend place sur des bancs, des chaises, ou reste debout. Un scène nue, toute en longueur, pour tout décor un banc de jardin public, c’est du théâtre à mains nues. Zakhar a subtilement condensé les quatre nuits et le matin qui rythment le texte de Dostoïevski, lequel commence par ces mots : « C’était une huit de conte, ami lecteur, une de ces nuits qui ne peuvent guère survenir que dans notre jeunesse ». Zakhar, qui biffe ces mots, a raison d’éluder ce rapport au lecteur, pour s’en tenir à l’apparition, à la rencontre et à la séparation de deux êtres et à la finale « béatitude ». Spectacle d’une seul bloc, compact, intensifié par les deux interprètes aux fortes présences et au jeu très intérieur, un spectacle qu devrait connaître une seconde vie après sa création au Moulin de l’Hydre.

Le second jour, sur la grande scène, en début d’après-midi, devant un décor truqué à merveille, seul en scène mais avec des complices en coulisses, Simon Falguières interprète Morphé, un duo entre un être clownesque et un décor retors, une merveille que j’avais vu à Évreux dans le théâtre que dirigeait naguère son père, Jacques Falguières (lire ici). Puis, sur une autre scène, Milena Csergo interprétait son solo Isadora comme elle est belle et quand elle se promène vu il y a quelques saisons et chroniqué lui aussi (lire ici).

Enfin, avant et après le dîner, Simon Falguières nous embarquait dans Le Rameau d’or. Une épopée à tiroirs un peu foutraque avec dieux (faits comme nous d’ego et de bobos), rois, reines, princes, princesses, traîtres et ainsi de suite sous la haute présidence de Perséphone, faiseuse d’histoires comme on le dite des anges et d’Orphée qui connaît la musique. Une saga à ressorts (dramatiques) spécialement écrite pour les élèves du Conservatoire National Supérieur d'Art dramatique de Paris (Lomane De Dietrich, Théo Delezenne, Hermine Dos Santos, Ryad Ferrad, Myriam Fichter, Mikaël Don Giancarli, Olenka Ilunga, Antoine Kobi, Eva Lallier-Juan, Samantha Le Bas, Tom Menanteau, Julie Tedesco, Zoé Van Herck, Patrig Vion, Ike Zacsongo Joseph). Une machine à jouer tous les registres, un vrai cadeau pour ces jeunes acteurs prêts et ouverts à tout.

Simon Falguières est un homme de théâtre aussi prolixe que généreux. Il le prouve encore une fois et on en redemande. Lui et tous autour de lui, nous enivre.

Ivre ou pas, on reviendra au Moulin de l’Hydre !

Tournée « Morphé » : 19 oct au 5 nov Théâtre Paris Villette , le 22 mars au Théâtre du Château d'Eu, du 25 au 29 mars à la Comédie de Caen, du 8 au 13 avril aux Transversales de Verdun, le 4 mai à Saint Junien

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