Agrandissement : Illustration 1
Je me souviens que Maurice Roche avait intitulé l’un de ses livres Camar(a)de. Camarade, la camarde ? Dans ce livre foisonnant on trouvait de tout y compris quelques scènes dialoguées. L’une d’elles mettait en présence la camarde, la femme et le buveur. Ce dernier, du fond de son ivresse avait une idée : « On devrait mourir d’abord, puis vivre ensuite. ». Et il ajoutait : « mais dans quel but ? ». Ce à quoi la femme répliquait « tiens donc ! Parce qu’à part le fait de clamser, il lui faudrait un but, à lui ». La mort n’est pas un but, ni un début mais assurément une fin. Mais de quoi ? dirait le buveur de Maurice Roche. Et peut-on décider de cette fin ? Et, si oui, qui et comment? Ce sont ces questions de fin de vie et de mort provoquée qu’explore le nouveau spectacle d’Élise Chatauret à la vie ! (sans majuscule et avec un point d’exclamation). Comme les précédents - Ce qui demeure (lire ici), Saint-Félix (lire ici) et Pères (lire ici) , il est le fruit d’une longue enquête de terrain, cette fois dans les hôpitaux français à l’heure de la fin de vie.
Au théâtre, les héros, quand ils ne sont pas liquidés en coulisses, meurent rarement dans un râle inaudible, ils aiment finir en beauté en proférant des répliques censées être éternelles et les acteurs se relèvent pour saluer. Il est heureux qu’Élise Chatauret ouvre son spectacle à la vie ! par un lever de rideau farceur, un tourbillon de répliques de personnages célèbres du répertoire évoquant leur mort imminente, tous les « ah, je meurs ! » et ses avatars. Il y a foule. Ceux qui se poignardent en savourant leurs derniers mots pour ne pas décevoir le public, ceux qui avalent du poison volontairement ou pas et balancent des répliques qui leur survivront, ceux qui se suicident après avoir enregistré un message, ceux qui succombent à un assassinat la bouche ouverte, ceux qui, bavards, mettent du temps à mourir comme l’ami Cyrano, ceux (mais c’est très rare) qui meurent en silence de vieillesse et/ou de chagrin, ou encore ceux qui abrègent le final comme Emmanuel dans Les quatre jumelles de Copi : « aïe! Merde. La salope ». C’est sur ces mots (d’auteurs), avant une bataille généralisée où les morts n’en finissent pas de se relever et de s’entre-tuer, que se termine l’ouverture enjouée du nouveau spectacle d’Elise Chatauret avec une fois encore, la collaboration à l’écriture de Thomas Pondevie. Elle ne nous avait pas habitué à ce registre grotesque et parodique, mais là, le sujet est tel (la camarde, camarade), qu’il faut mettre le spectateur dans la poche pour mieux l’apprivoiser.
Voici qu’entrent alors en scène un médecin et une patiente, le premier annonce doucement à la seconde assise en face de lui qu’elle est atteinte d’un cancer ce qu’elle refuse de croire. Suivra un homme âgé qui souffre de problèmes respiratoires aigus auquel un médecin finira par dire : « la vérité c’est qu’on est arrivé au bout de ce qu’on peut faire pour vous ». Ou encore cette vieille femme de 96 ans qui en a assez de vivre : « je prends des médicaments matin, midi et soir, je mets des couches, je ne sors presque jamais. Je voudrais que ça s’arrête maintenant », ce que l’infirmière qui aime cette vieille personne refuse d’admettre. Cependant, nous restons au théâtre de bout en bout: les comédiens sont tour à tour malades et médecins, une blouse blanche sur les épaules, et hop.
Dans Ce qui demeure, Élise Chatauret partait d’entretiens avec une vieille femme (sa grand-mère) nonagénaire, dans Saint Félix, le sous-titre du spectacle était explicite : « enquête sur un hameau français », Pères procédait de la même façon. On retrouve avec plaisir les actrices et acteurs de ces spectacles :Justine Bachelet, Solenne Kervis, Emmanuel Matte, Juliette Plumecocq-Mech et Charlez Zevaco. Tous jouent collectif.
Agrandissement : Illustration 2
Comme à chaque fois, l’enquête de terrain préalable a nourri la construction du spectacle, le choix des séquences. Elle semble cette fois avoir infléchi plus avant le projet : après un temps d’équilibre et de discussions serrées entre malades et soignants, le spectacle bascule du côté du personnel médical et des interrogations qui le traversent devant les cas extrêmes de ceux qui veulent mourir, et demandent à ce qu’on les aide. Medhi, un jeune homme de 26 ans atteint de mucoviscidose souhaite en finir, sa jeune sœur n’accepte pas les réticences du corps médical plein questionnement sur le sujet. Le questions fusent : « est-ce que la meilleure façon de le respecter en tant que personne, c’est de répondre à sa demande ? Est-on moins malfaisant à son égard en essayant d’accéder à sa demande ou en y accédant pas ? » dit l’un, « Qu’est ce que Medhi renvoie aux équipes de soignants qui se sont occupés de lui pendant vingt ans en refusant d’aller plus loin ? » dit l’autre. Etc.
Il est temps de revenir au théâtre pour retrouver Euripide, Sophocle, Shakespeare et Ionesco (Le Roi se meurt, il va sans dire) et de fignoler le bouquet final, une superbe scène inspirée par un tableau de Giotto..
Grandeur du « théâtre documenté », terme que revendique, à bon droit, Élise Chatauret, dès lors que le document ne paralyse pas le théâtre mais qu’ils se dévorent l’un l’autre. On pense un peu à cette émission de télé qui s’appelait, si ma mémoire est bonne, « Les dossiers de l’écran ». Après une fiction ciblée, on débattait sur le plateau des problèmes éthiques, civiques et autres que la fiction soulevait. Sauf que Chatauret mêle fiction, introspection et discussion sur le plateau dans un jeu d’allers-retours où elle est passée maître.
A la vie ! sera à l'affiche du Théâtre Silvia Monfort du 6 au 16 mars.
Les précédents spectacles de la compagnie Babel continuent de tourner eux aussi, voir l’agenda de la compagnie (https://compagniebabel.com/dates).