Dans un entretien accordé à Libération, publié le 30 août, le ministre de l’éducation nationale déclare : « l’école a souvent été le théâtre de polémiques (…), certaines sont légitimes et font partie du débat démocratique, mais d’autres ont paru artificielles et poussées de façon irrationnelle. Je n’y échappe pas je suis déjà caricaturé ![1] »
En ce jour de prérentrée, nous allons tenter d’échapper à la caricature.
Pour éviter les procès d’intention, tenons-nous en aux faits et actes ministériels.
L’arrivée de J-M Blanquer à la tête du ministère de l’éducation nationale a été marquée dès le mois de juin par la publication d’un arrêté sur l’organisation des enseignements au collège[2] et d’un décret concernant l’organisation de la semaine scolaire dans le premier degré[3].
Nous ne reprendrons pas ce que nous en avons écrit en juin, mais nous bornerons à observer ce qui depuis a été écrit sur ce sujet par de fins connaisseurs de la question éducative.
Pour Alain Bouvier[4], la question des rythmes scolaires porte l’empreinte de deux questions taboues : celles du temps d’enseignement dont bénéficient les élèves et celle du temps de travail annuel des enseignants. Sur la première question, les faits sont têtus. Que s’est-il passé en 2008 avec l’instauration de la semaine de quatre jours ?
« Dans certains pays, le nombre de journées d’enseignement atteint 200. La moyenne des pays de l’OCDE est de 185 jours et la moyenne des pays européens est, pourrait-on dire, de seulement 182 jours. En France, sous la pression des bobos parisiens, la réforme Darcos, ce “Munich pédagogique” selon l’historien Antoine Prost, l’avait fait tomber à 144 jours ! Et encore : on ne défalquait pas de ce chiffre les jours fériés (nombreux en France) ni les “ponts”… Sur cinq ans, au lieu de 925 jours d’école en moyenne, avec la réforme Darcos, les petits Français n’en avaient plus que 720, soit, en gros, une année scolaire de moins ! Peut-on sérieusement affirmer que cela serait sans conséquence ? »
Pour Jean-Paul Delahaye[5], « la semaine de quatre jours est une déscolarisation institutionnelle ». « Nous sommes un curieux pays, écrit-il au Président de la République, qui considère que les enfants apprendront d’autant mieux qu’ils fréquenteront moins l’école primaire ». Et il observe que nous sommes, avec la semaine de quatre jours, « une exception sur la planète qui a eu pour conséquence de réduire le temps scolaire de nos élèves du primaire à 144 jours de classe, contre par exemple 190 pour les enfants du Royaume-Uni, 210 pour ceux d’Italie et du Danemark. Mais il est vrai que, suite à cette décision nuisible aux enfants, les collectivités locales ont fait des économies de fonctionnement et de transport scolaire, les parents qui le pouvaient ont pu combler ce manque d’école en finançant des activités complémentaires et les enseignants ont bénéficié d’une organisation leur enlevant une matinée de classe. Comme le disait en 2010 le directeur général de l’enseignement scolaire, qui est aujourd’hui votre ministre, tout cela a été rendu possible parce que "le monde des adultes s’est entendu sur le monde des enfants". Et il avait parfaitement raison ». Ce qui, dans la bouche de Jean-Michel Blanquer, était vrai en 2010, serait-il devenu faux en 2017 ?
Que penser alors des déclarations du ministre à Libération, affirmant que « bien entendu, ma première priorité, c’est la lutte contre les inégalités » ? La dialectique du ministre est subtile : lutter contre les inégalités, explique-t-il dans son entretien publié par Libération, « cela suppose de rompre avec l’égalitarisme, c’est à dire le goût de l’uniformisation qui ne vient jamais en soutien de ceux qu’elle prétend aider ». Claude Lelièvre a récemment rappelé à ce sujet « la nette distinction faite par Henri Wallon dans sa conférence du 23 mars 1946 entre deux conceptions bien différentes de la « démocratisation » (qui a permis d'orienter clairement la rédaction du célèbre Plan Langevin-Wallon de 1947) [5]» :
« Il y a deux façons de concevoir l’enseignement démocratique. Il y a d’abord une façon individualiste qui a prédominé dans la période d'entre les deux guerres : c’est poser que tout enfant, quelle que soit son origine sociale, doit pouvoir, s’il en a les mérites, arriver aux plus hautes situations […]. C’est en fait une conception qui reste individualiste en ce sens que, si les situations les plus belles sont données aux plus méritants, il n’y a pas, à tout prendre, une élévation sensible du niveau culturel pour la masse du pays. Aujourd’hui, nous envisageons la réforme démocratique de l’enseignement sous une forme beaucoup plus générale […]. Car même si c’est un enfant du peuple qui est passé au lycée et a pu accéder à l’enseignement supérieur, il entre dans une société qui n’est plus celle de ses origines. Il bénéficie de ses aptitudes intellectuelles et de son zèle au travail, mais en se déclassant, je veux dire en se déclassant vers le haut. Il y a, par conséquent, une sorte d’écrémage progressif, continu, des classes populaires, qui donnent leurs meilleurs sujets pour occuper les situations les plus élevées, les plus rémunératrices ou seulement les plus propres à rendre fiers ceux qui les occupent. La conception démocratique de l’enseignement qui envisage une élévation totale de la nation quelle que soit la situation occupée, ou plutôt quel que soit le travail et quelles que soient les fonctions qu’auront à accomplir tous les individus de la société, exige – elle - que, selon ses aptitudes, chacun ait accès à la culture la plus élevée ».
C’est avec ce prisme là qu’il faut considérer l’arrêté concernant l’organisation des enseignements au collège[6]. Sans doute a-t-on considéré que le diable de l’égalitarisme se cachait dans le fait d’offrir à tous les élèves de cinquième l’enseignement de deux langues vivantes, plutôt que de l’offrir exclusivement à certains d’entre eux dès la sixième. Ainsi l’article cinq de l’arrêté du 16 juin 2016 donne-t-il toute latitude pour restaurer, parmi les enseignements facultatifs, «une deuxième langue vivante étrangère, ou régionale, en classe de sixième ». « L’écrémage progressif » analysé par Henri Wallon n’en sera que plus marqué dès la sixième.
Entre contre-réforme du collège et contre réforme des rythmes scolaires, le ministère Blanquer ne dessinerait-il pas lui-même sa propre caricature ?
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[1] http://www.liberation.fr/france/2017/08/29/jean-michel-blanquer-sur-l-ecole-je-suis-deja-caricature_1592791
[2] https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2017/6/16/MENE1717553A/jo/texte
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2017/6/27/MENE1716127D/jo/texte
[4] https://www.acteurspublics.com/2017/08/25/alain-bouvier-sur-les-rythmes-scolaires-les-sommets-de-l-hypocrisie-sont-depasses
[6] https://blogs.mediapart.fr/claude-lelievre/blog/240717/le-vrai-ennemi-cest-legalitarisme
[7] Voir notre billet : https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/190617/l-arrete-du-16-juin-2017-une-methode-ferry-fillon-blanquer