spectrumnews.org Traduction par Sarah et Curiouser de "Revealing autism's hidden strengths" par Nicholette Zeliadt / 19 Décembre 2018
Lorsqu’elle travaillait comme neuropsychologue clinique dans un hôpital de Montréal, il y a dix ans, Isabelle Soulières avait l’habitude d’effectuer des tests de capacité cognitive auprès d’enfants autistes. Et les enfants trébuchaient régulièrement sur des questions auxquelles elle savait qu’ils ne pourraient pas répondre.
Ainsi, pour tester si un enfant comprenait le mot « chien », Isabelle Soulières devait lui demander de montrer du doigt un chien dans une série de quatre images. Mais les enfants autistes avec qui elle travaillait, dont un grand nombre était très peu verbaux, se contentaient de la regarder fixement ou de regarder ailleurs – alors même que les parents certifiaient que leur enfant savait ce qu’était un chien. Pour tester la mémoire des enfants, Isabelle Soulières montrait l’image d’un clown, puis de deux clowns, et demandait à l’enfant d’identifier le clown connu dans la deuxième image. Elle se souvient d’une fillette autiste qui n’a montré aucun des deux clowns comme plusieurs de ses pairs l’avaient fait – mais qui alors a montré qu’elle avait une excellente mémoire, en allant chercher dans un tiroir un jouet avec lequel elle s’était amusée deux semaines plus tôt.
Après plusieurs mois de cet exercice frustrant, Isabelle Soulières est parvenue à une conclusion simple : certains enfants autistes comprennent bien plus qu’ils ne peuvent dire avec des mots ou montrer avec des gestes, et l’on se trompe en croyant que leur intelligence est faible. « Nous savons qu’ils ont ces capacités, mais nous n’arrivons pas à obtenir d’eux les réponses », dit Isabelle Soulières, aujourd’hui professeure de psychologie à l’Université du Québec à Montréal, au Canada.
De nombreux cliniciens et des familles partagent cet avis, soutenu en partie par les récits sur les profils de haut niveau dans les médias. Tito Mukhopadhyay, par exemple, est un homme de 29 ans non verbal qui a écrit trois livres par le moyen d’une technique controversée, appelée « méthode d’incitation rapide » ; on attribue à sa mère, Soma Mukhopadhyay, l’invention de la méthode, pour essayer de tirer profit des compétences latentes de langage de son fils. De la même manière, à 22 ans, Ido Kedar ne parle que par quelques mots, mais écrit un blog en tapant le texte sur une tablette. Il a d’abord appris à communiquer en utilisant l’incitation rapide à 7 ans, raconte sa mère.
Des sceptiques remettent en question cette méthode et la possibilité que ce qu’écrivent ces hommes reflète leurs propres pensées. Malgré tout, ces dix dernières années, la recherche a confirmé que certains autistes – surtout ceux qui parlent peu ou pas du tout – ont des capacités que les tests d’intelligence standard sous-estiment ou ne prennent pas en compte.
Les conséquences s’étendent bien au-delà de problèmes de mauvaise communication. « Ne pas réussir à communiquer vos connaissances ou être traité comme si vous ne compreniez pas les choses serait extrêmement frustrant », remarque Vanessa Bal, chaire Karmazin et Lillard en Autisme des Adultes à l’Université Rutgers dans le New Jersey. « Je pense que cela pourrait entraîner une dépression et une diminution de la satisfaction de vivre. »
Cela peut aussi limiter pour les enfants autistes l’accès à des traitements qui les aideraient au mieux à se diriger dans le monde. « Ces enfants dont nous croyons qu’ils ont un fonctionnement très bas, totalement non verbal, peuvent monter plus de marches que nous les en croyons capables », déclare Charles A. Nelson, professeur de pédiatrie à l’Université d’Harvard et à l’Hôpital des Enfants de Boston. « Mais si nous pensions qu’ils ont un plus grand potentiel, nous pourrions peut-être développer de meilleures interventions. »
Des résultats trompeurs aux tests peuvent aussi fausser notre compréhension de l’autisme même. Par exemple, les études associent souvent des participants autistes à des contrôles neurotypiques, en se servant des quotients intellectuels (QI), mesurés par des tests comme ceux qu’Isabelle Soulières faisait passer. « Si le test de QI est faux, votre groupe assorti par le QI ne sera pas exact », explique Isabelle Soulières. Et, dans la mesure où les chercheurs ne peuvent pas obtenir de données fiables chez les individus à l’autisme sévère, ils les excluent souvent de leurs recherches. « Je pense que la plupart des gens contournent le sujet en n’étudiant pas les enfants à ce bout du spectre », dit Charles Nelson. « C’est un gros problème. »
Ces cinq dernières années, des scientifiques ont développé des tests pour évaluer le potentiel cognitif des personnes qui sont très peu verbales, ou qui ont besoin d’un niveau de soutien élevé. Certains adaptent des tests existants pour les rendre plus intéressants et faciles, afin que des personnes autistes les remplissent. D’autres recherchent des techniques telles que l’oculométrie et l’imagerie cérébrale pour dévoiler des capacités cachées. Les résultats sont préliminaires, et les tests, dont un grand nombre s’appuient sur une technologie complexe, ne seront peut-être jamais largement disponibles. Mais ils pourraient fournir des indices sur l’autisme et expliquer pourquoi certaines personnes avec ce trouble ont des difficultés à parler.

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Batterie de tests
Un grand nombre de raisons, dont toutes ne sont pas liées à la capacité, peuvent rendre compte des résultats médiocres d’une personne autiste à un test standardisé.
Dans une entrée de 2015 sur son blog, Kedar a décrit son expérience avec les exercices de vocabulaire. Il se rappelle qu’un évaluateur a étalé sur la table devant lui un assortiment de fiches illustrées, et a demandé à Kedar de montrer certaines images. “Mon cerveau pouvait crier ‘Touche l’arbre ! Ne touche pas la maison !’ Et je regardais, en spectateur, tandis que ma main se dirigeait vers la carte, c’était ma main qui décidait, pas mon cerveau”, écrit-il. “Alors, sur le recueil de données, il a dû être noté que je n’avais pas encore maîtrisé le concept d’arbre.”
De nombreux autistes rapportent de la même manière avoir eu un faible contrôle de leurs mouvements. Une configuration de test, l’anxiété de celui qui passe le test ou des problèmes d’attention peuvent aussi interférer avec les résultats.
La plupart des tests de QI sont effectués verbalement, dans une configuration face-à-face. Cette configuration peut être difficile, pour ne pas dire impossible, pour certains autistes, du fait de leurs difficultés de communication sociale. Les caractéristiques concernant les intérêts restreints peuvent aussi affecter la réussite aux tests. Par exemple, si on demande à une personne autiste de définir le mot “télescope”, et que l’astronomie se trouve être son intérêt spécifique, elle peut parler en détail de ce qu’elle voit par le télescope, sans jamais expliquer ce qu’est un télescope. “Vous n’en venez jamais à dire les éléments clés de la définition que je recherche, dont il se peut que vous n’en obteniez pas vraiment le mérite”, explique Bal.
Même pour des tests qui peuvent être réalisés sur un mode non verbal, celui qui passe le test a généralement besoin d’être apte à comprendre ou à effectuer des gestes complexes, comme pointer du doigt, un geste encore qui est difficile pour les personnes sur le spectre. De nombreux évaluateurs ne sont pas formés pour aider des personnes autistes très peu verbales à contourner de telles difficultés.
En outre, les évaluations de compétences cognitives demandent généralement 45 minutes à une heure pour les faire complètement, ce qui est trop long pour que les autistes avec un trouble de l’attention et de l’hyperactivité restent concentrés. Un grand nombre d’entre eux n’ont pas dès le départ la motivation pour les terminer. “Il faut les motiver pour effectuer les tâches, et les tâches que nous avons pour mesurer la capacité cognitive les ennuient souvent”, reconnaît Beth Slomine, neuropsychologue à l’Institut Kennedy Krieger, à Baltimore. Il découle de tous ces facteurs, dit-elle, “que les tâches ne mesurent pas toujours ce que nous croyons mesurer”.
Il n’y a pas de consensus chez les experts sur le type de tests qui sont les meilleurs à utiliser pour les autistes, surtout ceux qui sont très peu verbaux. Les choix populaires comprennent l’Echelle d’Intelligence de Wechsler pour les Enfants, les Echelles de Mullen de l’Apprentissage Précoce, l’Echelle Internationale de Performance de Leiter et les Matrices Progressives de Raven, mais les chercheurs se rejoignent sur le fait qu’aucun n’est particulièrement adapté.
Il est également difficile de se décider sur la façon d’interpréter les scores aux tests. Les tests de QI calculent en général le score d’un individu en comparant ses performances avec des centaines, sinon des milliers, de personnes ayant à peu près le même âge, et sélectionnées aléatoirement. La plupart délimitent le score moyen à 100, avec 95% de la population ayant des scores de 70 à 130. Si une personne autiste a des difficultés à terminer un test adapté à son âge, ou obtient des scores si bas qu’ils ne sont pas plausibles, l’évaluateur peut essayer un test conçu pour un groupe d’âge inférieur. Cette stratégie fait obtenir une équivalence d’âge plutôt qu’un score standard : par exemple, un jeune homme de 19 ans qui termine un test pour des enfants d’âge scolaire et obtient une équivalence d’âge à 10 obtient des résultats équivalents au score moyen d’un échantillon représentatif d’enfants de 10 ans. Les chercheurs divisent souvent cette équivalence d’âge par l’âge chronologique, et multiplient le résultat par 100, pour donner ce qu’on appelle un score de QI pondéré.
Le QI pondéré de ce jeune de 19 ans serait approximativement de 52. Mais on ne sait pas du tout ce que représente ce chiffre. “Est-ce que ce QI pondéré de 50 est le même qu’un score de 50 à un test standard pour adultes ?” demande Bal. “Cela reste une question ouverte.”

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Pour les yeux c’est possible
La technologie peut aider à réaliser des tests cognitifs moins exigeants pour les autistes et, peut-être du même coup, plus précis. L’année dernière, Nelson et ses collègues ont adapté des parties des Echelles Mullen de l’Apprentissage Précoce, un test standardisé de capacités cognitives, linguistiques et motrices, effectué généralement avec les enfants jusqu’à 6 ans, à des enfants très peu verbaux, en utilisant un procédé d’oculométrie et des instructions modifiées.
L’équipe a réalisé sa version modifiée du test avec 47 filles atteintes du syndrome de Rett, de 2 à 11 ans. Le syndrome de Rett est une condition rare, caractérisée par la déficience intellectuelle, et souvent par l’autisme ; les filles qui ont ce syndrome ont des difficultés de motricité fine et sont très peu verbales. Même si le test Mullen n’est pas chronométré, les cliniciens ne donnent généralement pas plus de 20 secondes pour chacun des 159 items du test. Dans ce cas, cependant, les testeurs ont donné aux filles jusqu’à une minute pour répondre à chaque item. Ils ont aussi aménagé certaines questions : dans le test conventionnel, un examinateur évalue la compréhension qu’a l’enfant de gestes et de commandes, en tendant la main et en demandant à l’enfant de lui passer un jouet proche. Au lieu de cela, dans la version adaptée, l’examinateur tend les bras et dit : “Fais-moi un câlin” - ce qui est plus facile à faire pour un enfant avec le syndrome de Rett.
Pour un des groupes de filles, Nelson et ses collègues ont également procédé à des ajustements pour certains éléments du test afin qu'un dispositif de suivi oculaire puisse les aider à évaluer les réponses des enfants. Par exemple, pour un des items, l'examinateur donne habituellement à l'enfant un jeu de crayons de couleur, nomme une couleur et lui demande de désigner le crayon correspondant. L'équipe remplaçait les crayons par des feuilles de papier couleur et surveillait le regard des filles au fur et à mesure que des couleurs particulières étaient nommées.
Comme escompté, les filles ont obtenu de faibles résultats aux tests de motricité fine et de langage expressif. Mais, grâce aux adaptations mises en place, les résultats obtenus par certaines des filles étaient plus élevés que ceux d’un enfant dans la norme et sans particularités en ce qui concerne leur compréhension des mots, des images et des symboles. « Ils étaient plus élevés que ce qu’on aurait pensé », indique Nelson.
Une équipe de l’Université de Boston a également utilisé le suivi oculaire pour mesurer la compréhension verbale chez des personnes autistes aux faibles capacités verbales. Dans une étude de 2016, des chercheurs ont demandé à 19 personnes autistes, âgées de 5 à 21 ans, de regarder sur un écran une série de deux images mises côte à côte ; 2,5 secondes plus tard chaque paire d’images apparaissait sur l’écran, les participants entendaient un enregistrement leur disant « Regarde ! », suivi d’un mot qui correspondait à l’une des images. Un dispositif de suivi oculaire mesurait chez les participants le temps qu’ils passaient à regarder l’une ou l’autre image ; plus de temps passé à regarder l’image qui correspondait au mot énoncé a été interprété par les chercheurs comme un signe de compréhension verbale.
Toute interaction directe entre les chercheurs et les participants est évitée au cours du test, ce qui a pu s’avérer être moins stressant pour certains participants. Entre deux paires de photos, les chercheurs ont montré aux participants des images très colorées d’un train de dessin animé, appelé « Thomas le petit train », ou dix secondes de petits dessins animés montrant des fusées en train de décoller ou des poissons en train de nager. « On a fait ça pour qu’ils restent mobilisés, qu’ils continuent à regarder – [pour que] ça ne ressemble pas à un test », explique Helen Tager-Flusberg, chercheuse à la tête du projet et directrice du Centre d'excellence pour la recherche sur l'autisme de l'université de Boston.
L’étude a révélé que les mouvements oculaires des participants ne se faisaient pas au hasard, et que certains d’entre eux avaient compris les mots prononcés. Leur performance était également corrélée aux scores qu’ils avaient obtenus à d’autres tests de compréhension verbale – notamment un test de vocabulaire classique basé sur la désignation de cartes-éclair –, et à une liste de contrôle remplie par les parents afin d’indiquer les mots qui leur étaient connus. Mais les résultats n’étaient pas toujours cohérents. Les participants voyaient chaque image deux fois - une fois lorsqu'elle correspondait au mot, et une fois lorsqu'elle ne correspondait pas - et seuls certains ont réussi les deux tests.
Une équipe israélienne a également utilisé le suivi oculaire afin de tester la compréhension verbale, mais, dans leur démarche, les autistes n’ont pas à contrôler leurs mouvements. L'équipe s’est concentrée sur les mouvements involontaires des yeux appelés micro-saccades – les yeux bougent très rapidement quand ils repèrent quelque chose d’intéressant –. « Peut-être que des choses involontaires, cachées – comme les petits mouvements des yeux ou de la tête, etc. – indiqueront les bonnes réponses », affirme Yoram Bonneh, responsable du projet et professeur adjoint en optométrie et sciences de la vision à l’université de Bar-Ilan, à Ramat-Gan, Israël. Le professeur Bonneh explique qu’il s’est intéressé à ce type d’approche après avoir entendu parler des Mukhopadhyay et de Kedar.
Dans une série d'expériences, l'équipe de Bonneh fournit aux participants un mot (soit prononcé soit affiché sur un écran), suivi d'une paire d'images mises côte à côte, dont une seule correspondant au mot. Un oculomètre suit les micro-saccades des yeux du participant vers une image dès les 200 millisecondes après son apparition, et il interprète ces sauts oculaires rapides comme une indication de sa compréhension. Les résultats préliminaires de trois jeunes enfants dans la norme indiquent que ce type d’approche peut mesurer avec précision les capacités linguistiques. Les adultes autistes non verbaux semblent obtenir d'aussi bons résultats que les adultes dans la norme lors de ce test. L'équipe a quant à elle évalué des enfants autistes très peu verbaux.
Au cours d’une autre expérience, les participants voient apparaître sur un écran d’ordinateur une question à choix multiples, accompagnée d’une série de réponses possibles ; un oculomètre extrêmement sensible détermine si les yeux se fixent brièvement sur la bonne réponse. Les premiers résultats suggèrent que ce type d’approche mesure avec précision les capacités cognitives, indique le professeur Bonneh. Son équipe a utilisé cette technique pour tester un groupe d’hommes autistes très peu verbaux et que l’on pensait illettrés ; ils découvrirent qu’en réalité, la plupart de ces jeunes gens savaient lire.

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Des signes passifs
Certaines personnes autistes ne sont pas en mesure de passer ces tests d’intelligence, même dans leur forme modifiée. Pour elles, des scientifiques passent en revue un certain nombre de moyens, basés sur un mode entièrement passif, pour détecter leur compréhension. Des chercheurs à l’université Rutgers, à Newark (Etats-Unis), par exemple, étudient l’utilisation de l’électroencéphalographie (EEG). Dans une étude de 2016, ils ont enregistré l’activité électrique du cerveau de 10 enfants autistes très peu verbaux, âgés de 3 à 7 ans, et celle de 10 enfants contrôles, tous ayant été équipés d’électrodes. Les enfants visionnaient une série d’images ; une demi-seconde après chaque image, ils entendaient un mot qui correspondait parfois à celle-ci.
Les scientifiques sont partis à la recherche de modèles révélateurs de l'activité cérébrale reflétant à quel point un individu reconnaît les images et les associe aux bons mots. Dans le cortex auditif, une région du cerveau qui traite les mots, les deux groupes ont montré un pic d'activité, appelé « P1 auditif », environ 100 millisecondes après avoir entendu un mot. Et dans le cortex visuel, qui traite les images, les deux groupes ont à nouveau montré un bref pic d'activité cérébrale, appelé « P1 visuel », environ 150 millisecondes après l'apparition de chaque image. Ces deux pics sont apparus un peu plus tard chez les enfants autistes, ce qui indique que le traitement sensoriel est en place, bien que légèrement retardé.
« Les traitements sensoriels précoces étaient relativement préservés », indique April Benasich, directrice du Laboratoire d’études sur l’enfance à l’université Rutgers, de Newark, et qui a mené l’étude.
Le professeur Benasich et ses collègues ont toutefois constaté que des différences plus importantes se manifestaient plus tard dans le traitement sensoriel. Au niveau du cortex visuel, on constatait chez le groupe contrôle une augmentation plus durable de l'activité cérébrale, appelée onde lente positive, environ 350 millisecondes après l'apparition d'une image. On pense que cette onde reflète la tentative du cerveau de rappeler les souvenirs liés à une image, et qu'elle indique un traitement visuel plus complexe. Cette onde n’est pas apparue chez les enfants autistes, ce qui laisse penser que leur cerveau ne relie peut-être pas les images vues à des informations connexes.
Une grande modification de l’activité cérébrale des sujets contrôles, appelée N400, est également apparue près de 400 millisecondes après avoir entendu un mot inadéquat. On pense que cette réaction indique que le cerveau tente de donner un sens à un mot inattendu ou inapproprié, et elle est souvent considérée comme un signe de compréhension de la parole. Certains des enfants autistes ont montré une différence moindre dans le N400 après avoir entendu un mot inadéquat par rapport à un mot qui correspondait. Cet écart plus faible suggère que leur cerveau a du mal à établir un lien entre les images qu'ils voient et les mots qu'ils entendent, ou qu'ils ne comprennent tout simplement pas les mots. Ils peuvent aussi utiliser d'autres parties du cerveau pour traiter l'information. « Même s'ils ne ressemblent pas à des enfants typiques dans leur manière de traiter l'information, ils peuvent en réalité la rassembler mais en utilisant des parties du cerveau et des chemins très différents », explique le professeur Benasich.
Ces différences pourraient aider les chercheurs à comprendre pourquoi certains enfants autistes ne parlent pas. « Pour ces enfants où le N400 n’apparaît pas comme robuste, on tient peut-être là la raison pour laquelle ils ne peuvent pas comprendre le langage ou s’exprimer », indique Charlotte DiStefano, professeure clinique en psychiatrie et en sciences du comportement à l'université de Californie, Los Angeles. « Pour d’autres enfants qui ont un N400 mais ne parlent pourtant pas, il doit y avoir une autre raison », poursuit-elle. « Il y a probablement un grand nombre de différentes sortes de déficiences qui conduisent un enfant à être très peu verbal. » Le professeur DiStefano n’a pas participé à l’étude de 2016, mais a obtenu des résultats similaires (non encore publiés) chez 20 enfants autistes très peu verbaux.
Ido Kedar affirme que son incapacité à énoncer plus que quelques mots pourrait être due à l'apraxie, une déconnexion entre les plans de parole dans le cerveau et les plans moteurs nécessaires pour les exécuter. Il avait presque 7 ans quand Tracy, sa mère, s’est pour la première fois rendue compte d’à quel point il comprenait les choses. Tous deux étaient en train d’écrire des invitations pour sa fête d’anniversaire – la main de Tracy sur celle d’Ido tenant le stylo. Elle épelait à haute voix chaque lettre qu'il devait écrire. À un moment, elle a remarqué qu'elle avait omis un mot. Mais avant qu’elle ne le dise à son fils, elle dit avoir senti sa main déplacer le stylo pour écrire les lettres manquantes. « Je me suis alors rendue compte qu’il avait vu juste et qu'il avait tout compris depuis le début », dit-elle.
Un test cognitif alternatif, utilisant le suivi oculaire ou l'EEG, aurait pu identifier plus tôt les capacités linguistiques cachées d’Ido Kedar. Mais avant que ces tests ne remplacent les tests standardisés, il faudrait que les chercheurs valident leurs résultats auprès de centaines, voire de milliers de personnes. Cela pourrait s'avérer délicat car les techniques sont plus coûteuses et moins transposables que les tests cognitifs traditionnels, explique Aaron Kaat, professeur assistant de recherche en sciences sociales médicales à l'université Northwestern de Chicago. Le professeur Kaat fait partie d'une équipe qui a créé une série de tests sur les capacités cognitives et autres compétences, appelée « NIH boîte à outils sur support tablette ». Cette boîte à outils est en cours de validation chez les personnes ayant le syndrome de Down, une déficience intellectuelle ou le syndrome de l'X fragile – une affection liée à l'autisme. Elle est conçue pour même être utilisée en dehors des limites d'un laboratoire.
Étant donné les inquiétudes que les études de suivi oculaire et d'EEG soulèvent quant à l'inexactitude des tests d'intelligence conventionnels, certains chercheurs affirment qu'il est impératif de développer des techniques pour tester les capacités cognitives des personnes autistes. C'est peut-être la seule façon d'atteindre les enfants qui peuvent comprendre le langage et lire, mais qui ne peuvent pas communiquer. « Tout le monde n'est pas d'accord sur ce qu'il faut faire », dit Isabelle Soulières, « mais au moins nous [devrions] avoir conscience que ce problème peut exister ».
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