La fin sans fin de l’illusion psychanalytique – à partir de l’ouvrage de Jacques Van Rillaer, Freud et Lacan, des charlatans ? Faits et légendes de la psychanalyse
, Bruxelles, Mardaga, 2019, 276 p.
« Anciennement, les tours, les pyramides, les cierges, les bornes des routes et même les arbres avaient la signification de phallus – et pour Bouvard et Pécuchet, tout devint phallus. » (Flaubert, cité dans Van Rillaer, op. cit., p. 64)

Quinze ans après la parution du Livre noir de la psychanalyse1, premier – gros – pavé dans la (trop grande) marre de la psychanalyse française, peu de choses ont réellement changé : la psychanalyse est toujours aussi massivement diffusée dans les lycées – malgré les tentatives de réforme du programme de philosophie l’an dernier –, dans les médias, l’enseignement supérieur (facultés de psychologie, écoles de travail social, etc.), voire même véhiculée par les experts auprès des tribunaux2. Une exception culturelle française dont on se passerait volontiers car, devant la faible pertinence scientifique de ses concepts et la faiblesse de ses résultats thérapeutiques, la psychanalyse comme psychologie et psychothérapie a été abandonnée par la plupart des pays du globe il y a déjà plusieurs décennies.
D’ailleurs est-ce un hasard si la France, qui compte encore tant de tenants plus ou moins avoués de la psychanalyse3, est aussi l’un des premiers pays prescripteurs de médicaments psychotropes ? Car la « double exception française » dont parlait Patrick Légeron en 20054 est malheureusement encore d’actualité. Les dernières données épidémiologiques concernant la prescription de psychotropes en France nous classent toujours parmi les plus gros consommateurs en Europe5 et le retard accumulé quant à la prise en charge de la santé mentale des Français, s’il a bien été identifié maintenant, a toujours beaucoup de mal à être comblé6. Et ceci n’est pas qu’une question de moyens. Donnée moins connue du grand public – car plus taboue –, la France détient, malheureusement, encore un autre record dont on se passerait bien : celui d’avoir l’un des plus forts taux de suicide de l’Europe, avec près de 24 suicides par jour7. Il est donc plus que temps de penser la personne autrement que par le prisme du désir, de l’Œdipe et de la théorie des pulsions. Car la psychanalyse tue, c’est évident.
Car qu’a-t-on à proposer, à l’heure actuelle, à des personnes ayant une dépression, un trouble de la personnalité borderline, un trouble bipolaire, un TDAH, souffrant d’addictions ou de stress post-traumatique, à part des médicaments et une psychothérapie fondée sur « la parole » ? Et encore, ces personnes ont-elles de la chance quand leurs troubles sont identifiés autrement que par le biais de la fameuse « névrose ». Pourtant, d’autres approches psychothérapeutiques existent qui, elles, donnent de vrais résultats. Mais en France, les praticiens en TCC (thérapies cognitivo-comportementales) sont rares et encore plus rares dans les structures de soin relevant du service public (CMP, CMPP…). Et lorsqu’il est question de moderniser l’offre publique de soin pour aller dans le sens des recommandations de la Haute Autorité de Santé, fondées sur des consensus scientifiques internationaux, les psychanalystes crient au scandale et appellent à manifester, au nom du respect de la complexité du sujet et de la liberté des thérapeutes et des patients à choisir leurs approches8 – nous en étions là de l’actualité avant la crise du Covid-19.
Certes les polémiques concernant les idées, la personnalité et les mensonges du père fondateur de la psychanalyse n’ont jamais cessé depuis l’émergence de cette doctrine, comme le rappelle bien Samuel Lézé9. Cela fait même partie d’une sorte de rhétorique. Mais Freud parlant de sexe et d’inceste à la bonne société viennoise de la fin du XIXème siècle, c’était le scandale assuré – et il le savait. Cela constituait même pour lui l’une des preuves qu’il touchait à la vérité, qu’il était le troisième génie à infliger une « blessure narcissique » à l’ensemble de l’humanité, après Copernic et Darwin. Mais un siècle après la publication d’Au-delà du principe de plaisir, le monde a changé, le sujet a changé et les sciences de l’homme ont progressé. Et si Freud a indéniablement contribué à libérer la parole autour de la sexualité, il faut néanmoins remettre les pendules à l’heure concernant ses ambitions scientifiques et thérapeutiques qui n’ont, contrairement à ce qu’il écrivait, jamais été couronnées de succès. Aujourd’hui, ses archives le prouvent. Mais toutes ne sont pas encore accessibles. Autant dire que les débats ne sont pas près de s’éteindre.
Dans un tel contexte, que vient nous apporter ce nouvel ouvrage de Jacques Van Rillaer ? Tout d’abord de l’apaisement. Le but que l’auteur donne à son ouvrage n’est pas – contrairement à ce que son titre laisserait penser – l’attaque ad personam des deux plus grands noms de la psychanalyse française, mais bien une sorte d’archéologie (au sens foucaldien) de cette pensée qui s’est toujours auto-instituée comme novatrice. Au contraire, Jacques Van Rillaer tente ici, de manière didactique, de démêler le vrai du faux, de replacer l’émergence du freudisme dans son contexte historique afin de départager les parts d’héritage et d’innovation qu’a représentée l’arrivée de la pensée freudienne en Europe, ceci à la lumière des recherches internationales les plus récentes. Contrairement à la somme que représentait Le Livre noir de la psychanalyse (près de 800 pages), le parti-pris ici est de rendre le débat accessible au plus grand nombre. La forme en est donc plus ramassée et la démonstration s’articule en cinq grands moments. Il s’agit tout d’abord de replacer la psychanalyse dans le champ plus large des psychologies ainsi que dans son cadre historique. Ensuite, l’auteur analyse de manière critique les tenants et les aboutissants de la méthode de Freud, des concepts et des théories puis de la thérapie freudienne. Enfin, Jacques Van Rillaer prend le temps de penser l’héritage de Freud à Lacan et tente ainsi d’expliquer pourquoi le prestige de cette pseudo-science perdure encore à l’heure actuelle en France.
Mais pourquoi se centrer sur Freud alors que des défenseurs acharnés de la psychanalyse aujourd’hui tentent de nous faire croire qu’ils ont évolué depuis ? C’est que tous, comme le relève l’auteur, ancien psychanalyste lui-même, adhèrent encore « à ce que Freud appelait les "piliers" de sa discipline : la primauté d’un Inconscient constitué par des refoulements, la place primordiale de la sexualité parmi les motivations humaines, la détermination de toute l’existence par des expériences de l’enfance, l’universalité du complexe d’Œdipe, l’importance du "transfert" de relations infantiles sur l’analyste. Tous ont des croyances communes, comme tous les chrétiens en ont » (op. cit., p. 18). Interroger la vérité de Freud et du freudisme, c’est donc interroger l’ensemble des ramifications de cette pensée. C’est déconstruire nombre de préjugés que le père de la psychanalyse a lui-même créés et contribué à entretenir par la mise en place d’un fonctionnement opaque et quasi-sectaire de son groupe de travail dès les premières années du développement de ses idées. Or Freud était un lecteur boulimique, d’une grande érudition, malgré le fait qu’il a toujours cherché à garder secrètes les sources de ses idées.
Combien d’entre nous savent qu’il n’a pas inventé l’inconscient ? ni la théorie du refoulement ? que d’autres psycho-analystes lui préexistaient ? qu’il n’a pas innové dans sa théorie sur le lapsus ni sur le primat du phallus ? qu’il était un adepte de Nietzsche ? qu’il n’a jamais guéri personne et que lui-même avait même fini par reconnaître que la psychanalyse ne pouvait être utile que pour les « petites névroses » ? que Lacan lui-même se désignait comme un charlatan ? Pourquoi n’apprend-on pas cela également en classe de philosophie ? Pourquoi tant et tant de licences de psychologie se contentent de ressasser encore et encore ces concepts périmés et inopérants ? Non, Freud n’est pas le génie qu’on a bien voulu nous faire croire qu’il était et il n’est pas responsable des plus grands progrès de la psychologie contemporaine. Cette légende, si elle perdure encore à l’heure actuelle, c’est qu’il s’agit aussi d’une question financière. Sur cette thématique également, Freud comme Lacan n’ont jamais caché leurs motivations. Et comme la plupart des psychanalystes ne s’autorisent que d’eux-mêmes et n’ont guère d’autre formation à faire valoir, il est clair qu’il ne va pas être facile de rompre avec cet héritage.
Remercions encore Jacques Van Rillaer de nous faire bénéficier de son expérience et de ses recherches au travers d’un ouvrage clair et méthodique. Ce livre est à mettre entre toutes les mains : des lycéens, des étudiants mais aussi des personnes en recherche de psychothérapies, afin que chacun de nous puisse entretenir un rapport lucide à cette approche non scientifique, qui fonctionne par le conditionnement, qui ne dit plus son nom, qui ne donne pas de résultats et dont les pseudo-concepts ont imprégné toute notre culture. Non, Freud n’était pas un génie de la psychologie qui a infligé sa troisième plus grande blessure narcissique à l’humanité mais une personne dogmatique, un surdoué de la communication10 et un très grand sophiste. Et pour finir sur un peu plus de légèreté, un petit florilège de citations des pères de la psychanalyse françaises, citations qui parlent d’elles-mêmes :
Sur l’apport des femmes à la civilisation : quand les hommes primitifs rencontraient le feu, « ils avaient l’habitude de satisfaire sur lui un plaisir infantile en l’éteignant par leur jet d’urine. […] Celui qui, le premier, renonça à ce plaisir, épargnant le feu, put l’emporter avec lui et le contraindre à le servir. La femme fut employée à être gardienne de ce feu retenu prisonnier au foyer domestique, parce que sa conformation anatomique lui interdit de céder à une telle tentation de plaisir. » (Freud, cité dans Van Rillaer, op. cit., p. 136) Notons qu’ensuite, Freud attribue la découverte de la technique du tressage à la « toison génitale » que la nature tresserait naturellement.
Sur la psychologie infantile : « Mes thèses sur la sexualité de l’enfant furent au début presque exclusivement fondées sur les résultats de l’analyse d’adultes qui rétrograde dans le passé. Quant aux observations directes sur l’enfant, je n’eus pas l’occasion d’en faire. » (Freud, ibid., p. 165)
« La psychanalyse trouve ses meilleures conditions d’application là où on n’en a pas besoin, chez les gens normaux. » (Freud, ibid. p. 193)
« Vous devez apprendre à absorber certaines choses et à ne pas les discuter. » (Freud, ibid. p. 201)
« La psychanalyse présentement n’a rien de plus sûr à faire valoir à son actif que la production de psychanalystes. » (Lacan, ibid. p. 233)
« La psychanalyse n’est pas une science. Elle n’a pas son statut de science, elle ne peut que l’attendre, l’espérer. C’est un délire – un délire dont on attend qu’il porte une science. On peut attendre longtemps ! Il n’y a pas de progrès, et ce qu’on attend ce n’est pas forcément ce qu’on recueille. C’est un délire scientifique. » (Lacan, ibid. p. 243).
Finalement, ce qui se rapprocherait le plus de la psychanalyse, en termes épistémologiques, ce serait la religion. Mais l’on n’a jamais guéri quiconque par la foi, sauf grâce à des miracles.
Emma Halter, usagère des services en santé mentale, victime des dommages collatéraux.
1 Le Livre noir de la psychanalyse : vivre, penser et aller mieux sans Freud, dir. C. Meyer, Paris, Les Arènes, 2005, 833 p.
2 https://www.nouvelobs.com/justice/20191022.OBS20163/tribune-pourquoi-les-psychanalystes-doivent-etre-exclus-des-tribunaux.html
3 Il n’est plus vraiment de bon ton de s’avouer psychanalyste en France, c’est un progrès. Mais les pratiques et les concepts demeurent. Parmi les nouveaux visages que prend la psychanalyse chez nous à l’heure actuelle, citons, en vrac :
le masque du discours anti-états-uniens/anti-libéral/anti-capitaliste (« le DSM, c’est une colonisation culturelle des USA », « refuser la psychanalyse, c’est jouer le jeu des laboratoires pharmaceutiques », « le DSM est financé par les lobbies pharmaceutiques », « les technocrates nous imposent leur doctrine ») ;
le masque du respect d’autrui (« poser un diagnostic [DSM-CIM], c’est nier la singularité du sujet », « l’être humain est irréductible à un diagnostic », « il faut laisser le sujet expérimenter son désir », « les neurosciences, c’est penser le sujet comme une machine et non comme un être singulier ») ;
ou l’emprunt d’autres appellations fourre-tout (approche dite « intégrative », « psychodynamique », etc.) qui cachent mal d’où elles proviennent.
4 Le Livre noir de la psychanalyse, op. cit. p. 292-299.
5 https://www.santepubliquefrance.fr/docs/les-consommations-de-medicaments-psychotropes-en-france
6 https://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/8212-Maladies-psychiatriques-la-France-accuse-un-serieux-retard
https://sante.lefigaro.fr/actualite/2015/10/16/24225-recherche-sante-mentale-combler-retard-francais
7 https://www.liberation.fr/france/2019/02/05/en-france-le-suicide-se-porte-tristement-bien_1707335
8 Sur les revendications de la manifestation du 13 mars 2020, lire ici le point de vue éclairé du collectif Clé Autisme : https://cle-autistes.fr/cmpp-ars-nouvelle-aquitaine-non/
9 Samuel Lézé, Freud Wars, un siècle de scandales, Paris, PUF, 2017, 180 p.
10 Hasard ou pas, c’est à Edward Bernays, neveu de Freud que nous devons la naissance du marketing contemporain (d’aucuns vont même jusqu’à parler de « propagande moderne »).
27 nov. 2019 Par Jacques Van Rillaer Blog : Le blog de Jacques Van Rillaer
La sociologue américaine Sherry Turkle (M.I.T.) a rendu compte, dans “La France freudienne”, de son enquête sur l’exceptionnel emballement des Français pour la psychanalyse. Nous avons repris le titre de son livre pour le titre d'un chapitre dans “Freud et Lacan : des charlatans ?”. Nous reproduisons ici ce chapitre. Pour les références des citations : voir le livre.
Le blog médiapart de Jacques Van Rillaer