Quelques explications suite à mon post sur Mediapart, aux remarques faites et aux questions posées
J'ai reçu quelques dizaines de messages suite à mon post concernant mon diagnostic d'autisme. Cela m'a fait chaud au cœur. La plupart avaient la confirmation de ce qu'ils pensaient savoir, quelques autres ont réévalué nos relations. Certains, peu, ne s'y attendaient pas du tout. Ou ne m'ont jamais trouvé "bizarre" - merci pour eux. D'autres m'ont dit ce qu'ils ont connu et pratiqué du handicap.
La dernière lettre d'Autisme France a publié mon article. A l'occasion des 20 ans d'Asperansa, une journaliste d'Ouest-France m'a demandé des nouvelles de ma fille, diagnostiquée il y a 20 ans, à 21 ans, qui avait fait l'objet de deux très beaux articles en dernière page. Mais celle-ci ne veut plus être médiatisée. La journaliste m'a alors proposé de m'interviewer sur mon diagnostic. Elle en a fait un article. J'ai alors eu beaucoup de réactions de mon entourage : j'étais connu pour écrire sur l'autisme, mais pas pour être autiste. Mon entourage familial était au courant, mon entourage associatif s'en doutait quand même.
Un camarade de ma branche syndicale CFDT (MSA) me dit ainsi : "Un jour de réunion à Paris, tu m'a proposé de dîner ensemble au resto. Et tu as passé le repas face à moi à manger (un peu), à échanger quelques propos sur la convention collective ou quelque chose comme ça, et surtout lire un livre qui te passionnait... Te connaissant, je ne m'en suis pas offusqué et ça ne m'a pas étonné voire ça m'a amusé. Quelqu'un d'autre que toi, j'aurais discrètement quitté la table pour ne pas le "réveiller" en disant au patron "Mon copain paiera, j'ai une fuite d'eau dans ma cuisine !"" Puis il décrit mon fonctionnement, ce qui me rendait supportable : "ta méthode d'approfondir, vérifier et ne rien lâcher". Et c'est vrai que j'ai noué des relations avec des militants sur le long terme. Mais il m'a fallu par exemple 20 ans pour me confier à Yves Oger, délégué syndical de la Mayenne, et pilier des négociations nationales.
Ce sont mes points forts autistiques qui m'ont permis de créer et de garder des relations avec d'autres militants. Et même en toute fin de carrière avec des informaticiens de la branche MSA, pour démêler par exemple les 300 tickets TANDEM concernant l'AAH (anomalies informatiques).

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Un diagnostic tardif
J’y ai mis du temps, avant de me décider ! Asperansa, que ce soit dans les cafés-rencontre ou sur son forum, a toujours poussé à faire une démarche diagnostique. Nous ne sommes pas favorables à l’auto-diagnostic. C’est un mauvais service à rendre aux personnes que de les encourager dans leur auto-identification, alors qu’elles peuvent avoir besoin d’une aide autre – ou complémentaire. Malheureusement, cela ne veut pas dire qu'elles vont le trouver ailleurs. J'ai moi-même beaucoup de mal à trouver un psychiatre dont j'ai besoin.
Aussi, je n’avais jamais dit que j’étais autiste quand la question m’était posée. Des traits autistiques, d’accord, "phénotype élargi", OK. Mais autiste ? NSP - Ne Sait Pas.
Le diagnostic d'autisme des personnes adultes apparaît complexe. Les professionnels renvoient très souvent vers les Centres de Ressources Autisme. Cela est anormal, car les CRA ne devraient intervenir qu'en dernier recours. J'ai entendu aussi l'argumentation que les CRA n'étaient pas assez financés pour faire un diagnostic différentiel : ils seraient plus financés pour les diagnostics de troisième niveau des enfants, alors qu'à l'âge adulte, d'autres problématiques sont posées (dépression, trouble anxieux, schizophrénie, bipolarité, troubles de la personnalité, sans parler du TDAH etc.) et nécessitent certains outils.
Autisme au féminin ?
Je me bidonne en apprenant qu'hystérique est aujourd'hui appelé "trouble de la personnalité histrionique". Mais je m'interroge quand je lis que les troubles de la personnalité concernent 10% de la population. Alors que l'autisme, c'est à peu près 1%. Il y a une possibilité de recoupement, surtout chez les femmes bien sûr, parce que le diagnostic d'autisme est moins souvent fait pour elles.
Les CRA, les articles sur le sujet ne mentionnent pas la répartition entre genre des diagnostics de TSA. Ou de non TSA. Cela serait pourtant utile. Pas pour dire que les CRA sont misogynes, sexistes. Mais pour creuser cette question de la différence de diagnostic.
Il y a plusieurs hypothèses, comme :
- les femmes sont moins autistes ;
- il y a un effet protecteur féminin ;
- les femmes arrivent à camoufler un certain temps leur autisme ;
- les outils et critères de diagnostic ne sont pas adaptés ;
- les femmes demandent plus souvent un diagnostic.
N'hésitez pas à creuser le sujet avec le livre d'Adeline Lacroix : Autisme au Féminin.
Accompagnement sans diagnostic
L’association Asperansa s’adresse bien sûr dans ses activités (y compris le forum) à des personnes sans diagnostic. C’est d’ailleurs le cas souvent lors des premiers contacts avec l’association ou le forum. Aujourd’hui, c’est assez souvent les professionnels qui font le diagnostic qui orientent certaines personnes vers nous. Les CRA orientent aussi très souvent vers le forum d'Asperansa.
Nous appliquons nos principes, nos revendications. Comme le fait d’avoir un accompagnement même si le diagnostic n’a pas été confirmé dans les 3 mois (directive européenne). Ainsi, un jeune sans diagnostic pourra participer aux groupes d’entraînement aux habiletés sociales que nous organisons. Si çà n’a pas d’intérêt pour lui, il arrêtera. C’est comme çà d’ailleurs dans les GEM autisme (groupes d’entraide mutuelle), qui n'exigent pas de diagnostic pour la participation.
Adultes et/ou parents de personnes autistes
De toute façon, l’association a été créée par des parents - tous non autistes - d’enfants autistes, parents qui se sont rencontrés au CRA (Centre de Ressources Autisme) au sujet de l’accès à l’école ordinaire. La première année, je n'étais même pas membre du conseil d'administration - c'était ma compagne qui y était. Mais j'y assistais en tant que conducteur de la voiture :). Nous avons longtemps après - sous mon impulsion - introduit une clause dans nos statuts imposant un quota de 20 % de personnes autistes dans le conseil d’administration de l’association - il y a d'autres associations qui le font. Dans la pratique, j'avoue que cela a souvent été difficile, les adultes autistes ne se retrouvant pas dans la liste interminable des ordres du jour du Conseil d’Administration mensuel.
Une expérience intéressante a été celle de l’ASS des AS’, association avec laquelle Asperansa travaille dans le cadre des 4A (Alliance des Associations pour Autisme de haut niveau et Asperger). Le CA était, je crois, composé d’un tiers d’adultes autistes : ceux-ci se réunissaient, au préalable, à part sur l’ordre du jour du CA, et leurs positions étaient ensuite transmises au reste du CA. Cela n’est bien sûr pas complètement satisfaisant, mais c’est une modalité intéressante. Entre parenthèses, je suis un chaud partisan de la visioconférence, qui évite tous les a-côtés sociaux, mais qui agrée moins aux neurotypiques.
Désormais, je rentre dans le quota des 20 % ! Il suffirait que je harcèle suffisamment les personnes autistes du CA pour qu’elles dégagent, et j’aurais une place à peu près assurée. Lors des élections à l’assemblée générale, les adhérents doivent choisir au moins 3 personnes autistes sur 15 … Mais comme il y a beaucoup d’adultes (souvent parents) autistes dans le Conseil actuel d'Asperansa, cela sera plus facile de m'éjecter ! J'espère que vous avez compris que c'était du second degré.
Pourquoi un diagnostic ? Conséquences
Un facteur qui a joué pour que je demande un diag, c’est un propos en passant d’une porte-parole de la neurodiversité qui m’a dit que j’étais sans doute plus proche de l’autisme que d’autres. Cela m’a titillé. J'ai fini par vouloir une confirmation.
J’ai attendu de longs mois avant de parler de mon diagnostic (sauf pour ma famille nucléaire), même au CA d’Asperansa. Quand j’ai commencé à le faire dans un cercle restreint, cela m’a soulagé. Et le comportement des gens change. Évidemment, pour les personnes qui ne connaissent pas l’autisme, « cela ne se voit pas », « tout le monde est un peu autiste ». Des propos habituels, qui me permettent de donner des explications.
Notez-le bien : ce que j’ai décrit dans mon article de blog n’est pas spécifique à l’autisme. Les professionnels qui ont fait le diag avaient bien d’autres éléments fournis à l'appui, avec les réserves d’usage quand les premières années ne peuvent être complètement retracées aussi longtemps après, et sans les parents.
Si vous voulez creuser la question, vous pouvez lire le dernier livre de Laurent Mottron : «Si l’autisme n’est pas une maladie, qu’est ce ?». Il explique les limites de l’auto-identification, mais aussi ses risques dans les recherches. Il a accompagné le mouvement de la neurodiversité (pratiquement avec l'embauche de Michelle Dawson), mais il peut être décapant sur ce sujet.
Par exemple dans le chapitre « L’autisme n’est pas hétérogène » (page 135) :
- « Qu’ont de commun un enfant de 3 ans sans langage oral, passant la moitié de sa journée à faire tourner des lettres devant ses yeux, mais qui connaît son alphabet avec deux ans d’avance sur un enfant typique, un enfant trisomique positif pour les critères de l’autisme et une femme activiste de 30 ans proclamant son autisme sur les réseaux sociaux à grands coups d’épée dans le patriarcat et le système de santé qui lui refuse un diagnostic ? »
Faire connaître mon diag me permet de dire « d’où je parle ». C'est plus clair dans les associations. Je représente aussi les personnes autistes et leurs familles dans différentes instances, comme la CDAPH (commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées), le CTRA (comité technique régional autisme) ou, au titre d'Autisme France, le CNCPH (conseil national consultatif des personnes handicapées). Ensuite, cela modifie l’attitude des neurotypiques envers moi : ils me comprennent mieux, et sauront mieux interagir. C’est la question de la « double empathie » que je constate depuis longtemps. Je crois avoir moins de mal à interagir avec les personnes autistes. Les neurotypiques se « surveilleront ». C’est vrai, c’est plus fréquent cette adaptation chez les jeunes (qui sont encore malléables. Hihi).
Les adultes autistes me disent plutôt qu'ils n'avaient pas remarqué que j'étais différent d'eux. Et que ce que je défendais correspondait à leur point de vue. J'évacuais la question, en répondant que j'avais évidemment des traits autistiques, mais que je n'avais pas demandé un diag. Lors du café rencontre de l'association, après mon "coming out", j'ai vu qu'ils étaient contents que j'aie le même diagnostic qu'eux.
Il ne faut pas trop idéaliser l'autisme. 35 à 40% des personnes autistes ont un trouble du développement intellectuel (trouble neurodéveloppemental appelé auparavant déficience mentale). Les personnes du type syndrome d'Asperger sont très minoritaires dans l'autisme. Encore plus ceux qui ont un haut potentiel intellectuel (en ce qui concerne l'autisme de "haut niveau", cela suppose un QI au moins égal à 70, loin des 130). Ce qui apparaît dans les média est complètement déformé. Les besoins d'accompagnement sont souvent importants. Cela n'empêche qu'il y a des forces dans l'autisme qui bénéficient à la société. A la société d'accepter cette différence au lieu de la jeter à la poubelle.
Cette vidéo sur le diagnostic tardif animée par Raven Bureau permet de généraliser mes propos.