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Billet de blog 28 mars 2023

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ASE 3 - Autisme : Dans l'enfer des placements abusifs

Des expériences concrètes récentes de procédures concernant l'Aide Sociale à l'Enfance pour des enfants autistes.

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Quand on "tombe" dans l'autisme, on voit tout de suite se pointer le risque d'informations préoccupantes et des signalements.


Un livre indispensable de Me Christine Cerrada : Placements abusifs d'enfants une justice sous influences


Illustration 1

J'ai commencé à fréquenter les réunions mensuelles de parents d'enfants autistes organisées par le Dr Eric Lemonnier au Centre de Ressources Autisme, à Brest, en 2004. Lors d'une des premières réunions, j'ai compté que, pour une vingtaine de parents, il y avait 8 enfants placés ou faisant l'objet d’informations préoccupantes (IP) ! Tous autistes.


A cette époque, le Dr Lemonnier réagissait vigoureusement, en accélérant parfois le processus de diagnostic. Il n'était pas comme un de ses collègues du CRA qui a répondu à un adulte qui venait d'être diagnostiqué et demandait que faire : "Nous faisons le diagnostic, pas le service après vente !". Nous avions aussi une vice-présidente du Conseil Départemental, capable d'intervenir pour expliquer à la direction de l'ASE (aide sociale à l'enfance) tout le mal qu'elle pensait des pédopsychiatres psychanalystes. Tous les parents en avaient été victimes à un moment ou à un autre.
Adrien Taquet, Secrétaire d'Etat, a mis en œuvre une liste de professionnels à solliciter quand il est fait état dans une procédure d'un TSA, TDAH ou troubles dys.

  • La Délégation interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement met en ligne un annuaire de médecins experts TSA, TDA-H et troubles Dys à l'usage des cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) et des magistrats pour mettre fin à la confusion entre TND et maltraitance. (CRAIF)

Cela résultait de l'engagement 5 du 4ème plan autisme (appelé "stratégie nationale ..."). A la fin du 3ème plan autisme, une mesure supplémentaire avait été déterminée, et le travail de concertation avec divers Ministères avait commencé. Le besoin de formation à l'autisme s'avérait criant. Un professionnel de la Protection Judiciaire de la Jeunesse s'imaginait qu'il n'y avait pas de jeunes autistes dans ses "clients".


L'annuaire a été diffusé il y a un an. Un seul pédopsychiatre a été désigné pour toute la Bretagne, soit pour 10 000 enfants autistes. Les associations autisme du secteur de Brest ont une réunion tous les 6 mois avec le professeur de pédopsychiatrie du CHRU. A cette occasion, nous avons appris que pas une seule fois, l'expert n'avait été sollicité... Alors qu'il s'attendait à être débordé, et la demande avait été faite que tous les toubibs du CRA soient inscrits sur l'annuaire.

Chaque fois que nous le pouvons, nous signalons cet annuaire aux avocats. J'attends une décision où peut-être, après une expertise concernant une personne autiste faite par un excellent spécialiste de l'appareil locomoteur, une contre-expertise sera décidée pour que ce soit un spécialiste de l'autisme qui la fasse.

En début d'année dernière, des parents désemparés viennent au café-rencontre de l'association et exposent qu'ils sont confrontés à un signalement pour leur enfant autiste. En un mois, nous recenserons 8 situations où les parents sont confrontés à des procédures judiciaires ou d'IP. Après tout, les enfants autistes ont 7 fois plus de risques de faire l'objet d'une IP. Un conflit avec l'école, le CMPP, une demande d'aide au CDAS, et c'est l'IP qui vient. Comme l'a dit récemment un Ministre : "Dans le doute, il faut faire un signalement".
Bouleversés et indignés par toutes ces situations, nous sommes plutôt désarçonnés. Nous avons déjà dû soutenir des parents. Mais l'accumulation est inquiétante, et d'ailleurs conforme à l'évolution nationale. Nous allons avoir le concours précieux d'un professionnel..

Asperansa propose aux autres associations autisme de Bretagne une visioconférence, où ce professionnel nous présentera son expérience, ses conseils, ses références. Nous serons un peu mieux armés.
Ce n'est pas dans les procédures judiciaires (juge des enfants, juge aux affaires familiales) que nous pouvons intervenir très utilement, si ce n'est dans le soutien psychologique, mais aussi en donnant des informations aux avocats. Nous pouvons intervenir dans la phase d'enquête de l'ASE suite à une IP, un peu dans le déroulement d'une Action Éducative en Milieu Ouvert (AEMO) ou une MJIE (Mesure Judiciaire d'Investigation Educative), mais plus souvent à l'équipe de suivi de la scolarisation (ESS) car les problèmes peuvent venir régulièrement de l'école.
Le parent a le droit d'obtenir d'être assisté lors de l'enquête. Évidemment, voir débarquer une association ne fait pas la joie des deux enquêtrices, qui parfois disent qu'elles n'ont jamais vu çà. Je participe à toutes les étapes, pour limiter l'anxiété du parent. Mais je dois m'imposer, après avoir tout vérifié légalement, lors de l'entretien avec l'enfant. J'ai été assassiné dans le rapport de conclusion, car j'aurais fixé les deux enquêtrices avec insistance pendant l'entretien avec l'enfant. Alors que je m'étais assis le plus loin possible, et que je consultais ma messagerie et attendais patiemment la fin de l'entretien. J'ai ainsi pu constater que jusqu'à la fin de la procédure, le parent et moi n'ont pu savoir quels étaient les motifs de l'IP, alors que c'est la première information à donner aux parents. Et que le problème pouvant justifier la procédure n'a absolument pas été abordé ni avec l'enfant, ni avec l'autre parent.

Cela se termine par un signalement, et une décision judiciaire : MJIE (8,5 mois après la date prévue du délibéré). Oh, il y a absolument un danger pour l'enfant. La MJIE ne commence qu'au bout d'un an. Plus de 20 mois après l'audience.
La compétence sur l'autisme des enquêtrices me semble laisser à désirer. L'une me soutient avec aplomb, du haut de son ancienne expérience en IME, que tous les TED (troubles envahissants du développement) ne sont pas autistes. Plus de 40 ans après le DSM III. Forcément, toutes les formations proposées au personnel de l'ASE portent sur les troubles de l'attachement. Avec un tel bagage théorique, il ne peut que bricoler en fonction de ses lectures personnelles, de l'expérience dans son entourage. Il n'y a pas de neuropsychologue à l'ASE. Il y a bien une mesure dans l'engagement n°5  du 4ème plan pour former les professionnels de l'ASE, mais ceux-ci relèvent des conseils départementaux. Sans levier, par exemple financier, pour les faire bouger.

A une occasion, j'ai l'occasion de lire une expertise psychiatrique. Dès que je vois le nom de l'expert, je me dis "Aïe". C'est le même pédopsychiatre qui était intervenu il y a 17 ans dans une mesure de "placement volontaire" forcé ["si vous ne l'acceptez pas, je saisis le juge"]   pour des "carences éducatives". Un partisan de la CFTMEA, des psychoses infantiles. Il sévit encore. Il va contester le diagnostic d'autisme du parent et de l'enfant, établi par des spécialistes de CRA, en expliquant au juge que les tests menés sont faits suivant les dires du parent, et que c'est donc à prendre sous réserve. Alors que les recommandations de la HAS depuis 2005 établissent que l'ADI-R, se fait justement dans un entretien avec les parents, est l'étalon-or du diagnostic. Et que son chef de service est signataire des recommandations. Contestation aussi d'une maladie de l'enfant établi par un spécialiste du CHRU. On voit pointer le syndrome de Münchhausen par procuration (SMPP) : les mots ne sont pas dits par prudence, mais on le fait comprendre.
L'ancien chef du service de pédopsychiatrie diffuse sur le site e-santé cette idée sur le SMPP:

  •  " Il arrive par exemple qu’une mère atteinte de ce syndrome pousse son enfant à se renfermer pour essayer d’obtenir un diagnostic d’autisme, au point que l’enfant finit par développer des signes qui miment réellement ce trouble. (...) Comme ce type de diagnostic est essentiellement basé sur l’interrogatoire des parents, le parent atteint du syndrome peut plus facilement donner de fausses réponses de manière à guider le médecin."

Cet lacânerie est toujours en ligne 8 ans après.
Il n'existe pas d'exemple dans la littérature internationale d'enfant devenu autiste - ou diagnostiqué autiste - dans le contexte d'un SMPP.

J'ai vu récemment, à l'occasion d'une IP, un diagnostic de trouble psychologique du développement, réalisé par un pédopsychiatre sous la houlette de ce lâcanien. J'ai vu aussi un pédopsychiatre expérimenté ignorer les ordres de ne plus s'occuper d'autisme, pour refaire l'évaluation d'un enfant, dit non-autiste, faite par son ancien chef de service (le CRA à l'époque). Il avait cédé devant l'insistance de l'enfant qui ne voulait pas aller chez son père, avec qui il n'avait jamais vécu. Le chef de service n'avait pas voulu entendre dans le cadre de l'ADI-R le beau-père, qui avait pourtant vécu avec l'enfant en permanence, un mois après sa naissance. L'ADI-R a été faite séparément avec la mère (qui avait la garde de l'enfant) et le père (qui ne vivait pas avec lui). Un professionnel m'a expliqué ensuite que les scores dans l'ADI-R faite avec le père étaient impossibles, même pour un enfant neurotypique. Le père nie l'autisme, comme le PH-PU (professeur d'Université praticien hospitalier). L'enfant est envoyé par le juge à des centaines de kilomètres de sa mère. A noter carence de l'avocat.

Une autre fois, c'est un CMPP qui refuse le diagnostic d'autisme, en ne procédant pas aux évaluations recommandées par la HAS, mais en utilisant un test incomplètement qui a beaucoup de faux négatifs. La famille décide d'avoir recours à un médecin spécialiste et trouve des professionnels qui appliquent les recommandations HAS. Le CMPP se venge en faisant une IP, tellement assaisonnée que la police est chargée - dans la semaine - d'aller chercher les enfants à l'école (3 sur 4 sont handicapés). Pire : il est prévu que son petit frère - encore "non handicapé" - passe des tests au CMPP pour une demande à la MDPH, tests devant être faits rapidement pour qu'il y ait une décision de la MDPH pour l'année scolaire suivante. Et bien, le CMPP annule les tests du petit frère : refus de soins. Mission quasi-impossible de faire les tests à temps. L'histoire finit bien, le signalement est classé sans suite.

Une autre fois, c'est un service qui dénonce un jeune adulte qui refuse d'y retourner comme c'est son droit et menace de se suicider si on l'y oblige. Après avoir mis la famille dans tous ses états pendant 6 mois, les enquêtrices classeront sans suite, et l'une d'entre elles trouve même un service qui peut accueillir correctement ce jeune Asperger.

D'autres parents ayant 3 enfants handicapés sur 4 font l'objet de 3 signalements sur 5 ans. A chaque fois, les enfants sont angoissés, et l'enfant pour qui l'IP est faite (çà change à chaque fois), culpabilise de confronter la fratrie à l'enquête, puisque tous les enfants sont concernés par celle-ci. L’école toujours à l'origine : elle n'a rien fait  contre le harcèlement scolaire. Les anciennes IP sont classées sans suite. Et l'ASE est cependant capable de placer un autre enfant au domicile de cette famille, comme tiers de confiance.
Un enfant fait l'objet d'un placement dans une famille d'accueil décidé par le juge. Celle-ci renonce au bout d'un mois, et l'enfant revient chez ses parents. Au bout de 2 mois, audience : l'organisme chargé de la MJIE n'a rien fait pendant 2 mois, mais demande le renouvellement du placement. Le juge considère qu'il n'y a pas lieu à placement en famille d'accueil, car l'accueil a été interrompu sans mise en place d'une autre solution. C'est un PEAD (placement éducatif à domicile) qui est décidé.
A la première session de la formation pour les aidants familiaux organisé par le CRA de Bretagne, un parent épuisé dit qu'il a contacté l'ASE. Il s'est vu répondre : "Nous intervenons quand les parents posent problème. Ce n'est pas nôtre rôle d’intervenir quand c'est l'enfant qui est le problème"
Plusieurs parents se sont mordus les doigts d'avoir contacté les services sociaux (en général le CDAS, dépendant du conseil départemental), car cela a déclenché l'IP, et que l'absence de formation à l'autisme du personnel du Conseil Départemental (ou des organismes assurant la MJIE) rend inopérant leurs conseils.
Signes d'espoir :

  • l'équipe mobile d'intervention autisme : elle n'intervient malheureusement qu'à partir de 16 ans, et ne peut le faire en urgence. Son intervention peut être demandée par les parents, mais surtout par les services du médico-social ou les hôpitaux.
  • le PCPE (pôle de compétences et de prestations externalisées ): il peut intervenir en urgence pour éviter les "ruptures de parcours" sans attendre la décision de la MDPH. Même s'il intervient tout handicap, il a une solide expérience en matière d'autisme, et il a bénéficié les premières années de l'intervention d'une psychologue ABA recommandé.

PS : J'ai arrêté assez rapidement de mettre des points d'exclamation ou des 3 points de suspension, car cela aurait rendu illisible le texte.


ASE 1 - Christine Cerrada : Placements abusifs d'enfants une justice sous influences

Un livre fondamental qui, à partir d'exemples concrets, décrit le mécanisme de placements abusifs d'enfants. Indispensable pour les parents d'enfants autistes.

ASE 2 - AEEH - CAF : "dans le doute, je bloque les prestations"

Histoire habituelle : placement à l'Aide Sociale à l'Enfance, récupération d'un "indu" par la CAF.
Une «réserve cachée» de mères non diagnostiquées comme autistes en train d'apparaître

2 janvier 2017 - Les experts rapportent un phénomène croissant de femmes se reconnaissant à l'occasion de la recherche sur les troubles de leurs enfants. Cela n'est pas sans conséquences sur les risques de placement. Traduction d'un article du "Guardian".

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