La semaine dernière, le 1er épisode de ce petit reportage consacré aux spectacles gratuits de Paris l’été, se terminait à Pantin, rue de la Paix, où le collectif Jeanine Machine jouait avec brio son spectacle de rue en déambulation Le Pédé.

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On était curieux de le retrouver encore une fois pour vivre sa première représentation à Paris, rue Édouard Pailleron (19e), où on a pu revoir ce spectacle énergique et ingénieux s’inscrivant alors dans une belle rue végétalisée.
Mais à la différence de Pantin le 23 juillet, où le public est venu participer à ce spectacle et où il s’est montré joueur, le 26 juillet à Paris le public est venu assister à ce spectacle en signifiant longtemps sa réserve à la façon d’une assemblée "demandant d’abord à voir".
Par ailleurs, des passants et des résidents ont été rudes : tentative de passage en force d’un conducteur de scooter professant par la suite des insanités en revenant sur les lieux, rires moqueurs ou réactions gênées d’adolescents ou d’adultes passant en groupes, résidents sortant une tête par la fenêtre puis la refermant.
C’est peut-être - aussi et en partie - pour ces raisons que le public s’est progressivement positionné autrement, en manifestant son adhésion, en se montrant plus expressif, en acceptant de participer à cette représentation plutôt que de seulement y assister.

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Ce soir-là, le collectif Jeanine Machine a de nouveau réussi à provoquer la joie de son auditoire.
Mais force est de constater que le public parisien n’est pas habitué au théâtre de rue dans sa ville. Car depuis des décennies et malgré l’alternance politique à la Mairie de Paris depuis 2001, le théâtre de rue est resté le dernier sur la liste des arts à valoriser, juste après la marionnette.
Ce type d’art de la rue provoque historiquement la circonspection des pouvoirs publics, car le théâtre génère aussi un attroupement autour de la parole.
Lorsqu’il sort de son édifice, le théâtre est donc encore souvent perçu comme un potentiel semeur de troubles à l’ordre public (à la différence des victoires de football…).
Enfin de par sa structure écrite, dite et jouée, le théâtre dans l’espace public est vécu comme étant bien plus risqué ou embarrassant que la danse, le cirque moderne et les installations.
Les raisons de cette méconnaissance du théâtre de rue par les édiles de la capitale sont connues.
Lorsque dans les années 90 les arts de la rue se sont mis à rayonner en France avec le soutien de l’État, de régions, de départements et de villes, la capitale est restée hermétique à cet élan de modernité en se crispant dans une posture de cité imprenable.
En Ile-de-France cette forme a alors trouvé son essor à travers les festivals de théâtre de rue qui se sont démultipliés dans des villes de la périphérie parisienne, où ils existent toujours.
A cette époque à Paris le parc de la Villette a programmé du théâtre de rue durant quelques années. De même que trois festivals de quartiers littéralement portés à bout de bras au niveau économique, dont deux ont tenu un peu plus d’une dizaine d’années.
En 1995, un festival autogéré par des compagnies de théâtre de rue - initié par des compagnies d'Ile-de-France et nommé Intérieur rue - a également connu une édition à la Cartoucherie, où le Théâtre du Soleil a alors prêté son lieu pour le rendre possible.
Un festival intégralement gratuit, durant deux semaines, où plus d'une dizaine de compagnies donnaient leurs représentations dans le grand foyer et sur le parvis du bâtiment.

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Enfin on se souvient qu’en 1991, une troupe de théâtre de rue aussi importante que Royal de Luxe - fondée en 1979 et qui a fait le tour du monde avec ses spectacles - n’a jamais obtenu de Paris l’autorisation de venir y jouer La Véritable histoire de France, alors même que cette création venait de faire un triomphe au Festival d’Avignon (un comble !).
Royal de Luxe s’est finalement produit dans le cadre d’un événement ponctuel élaboré à la hâte pour ce faire.
Ce fut vers la fin de l'été sur l’Esplanade de La Défense, depuis laquelle le public immensément nombreux pouvait aussi apercevoir la capitale au lointain : tout est dit.
En 2025 le public parisien n’a donc pas encore l’habitude du théâtre de rue dans sa ville, or cette réalité peut changer. Fort heureusement pour ce public, l’orientation prise par Paris l’été est aussi en train d’y œuvrer.
Connaîtrons-nous le jour où les tréteaux du Nouveau Théâtre Populaire seront dressés en plein air à Paris, tandis qu’ailleurs dans la capitale Les Géants de Royal de Luxe rendront visite à sa population ? L’avenir le dira.
D'ici là et dès aujourd’hui, le public ne doit surtout pas se priver des autres spectacles donnés gratuitement dans l’espace public par Paris l’été.