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Billet de blog 12 décembre 2025

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Averroès, père des Lumières françaises ? Histoire de France et nouveaux barbares…

J.-L. Mélenchon a déjà souillé le peuple de France en lui déniant le droit de donner son nom à sa langue et en le faisant entrer dans l’innommable. Désormais, en s’appuyant sur le collège de France, il s’attaque au siècle des Lumières, pour lequel on parle parfois de « l’Europe française ». Ce rayonnement de la France leur est-il insupportable au point de l’effacer en l’islamisant avec Averroès ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jean-Luc Mélenchon a été auditionné sur les liens potentiels de son mouvement politique avec le terrorisme islamiste. L’audition parlementaire n’avait pas les compétences d’une cour d’Assises, et le dossier apparaissait d’emblée fragile en raison des révélations des services de renseignement qui absolvaient le parti LFI. Pourtant, l’homme politique qui a déjà brigué la présidence de la République et pourrait bientôt repartir en campagne a allègrement islamisé un pan crucial de l’histoire de France, à savoir le siècle des Lumières.

A aucun moment les représentants de la Nation ne se sont interrogés sur cette incongruité d’un homme qui se défend de tout lien avec les islamistes, et qui islamise l’histoire de leur proie. Cela ne pourrait-il pas leur préparer le terrain ? Si l’islamisme est bien l’ennemi de la République, sans pouvoir parler d’intelligence avec l’ennemi avérée par une complicité active dans la réalisation d’attentats ; force est de constater qu’une connivence idéologique fait de LFI et de J.-L. Mélenchon des tiers utiles à ceux qui portent les armes contre la France. Collabos ?

Quand elles ne sont pas déjà pétries par des aberrations historiques telles que des Lumières françaises averroïstes, nos élites se sont révélées assez ignares pour que l’énormité de cette défense soit passée à ce jour inaperçue. Mise en perspective avec, en prime et en fin d’article, deux pages de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert qui traitent d’Averroès, à toutes fins utiles.

Barbaries françaises du XXIe siècle :

Un professeur de philosophie de la fin du XXe siècle, dont je comptais parmi les élèves, expliquait qu’en grec ancien, barbaros n’était même pas vraiment un mot : plutôt une manière de baragouiner, une sorte d’imitation satirique des non Grecs qui aurait servi à les désigner. Je ne reviens pas ici sur l’outrance mélenchoniste du « créole français », traitée ailleurs et saluée servilement par une partie du collectif des linguistes atterré(e)s ( https://blogs.mediapart.fr/jrm-morel/blog/080725/le-creole-de-j-l-melenchon-echos-de-linguistes-du-blog-mediapart ) avant publication d’un rectificatif ( https://blogs.mediapart.fr/les-linguistes-atterrees/blog/010925/des-contacts-de-langues-en-general-aux-cas-particuliers-des-creoles/commentaires#comment-13168544 ). En tout cas, le barbare, quel que soit par ailleurs son degré de civilisation et les mérites qu’on lui attribue, c’est étymologiquement celui qui parle une autre langue que celle de celui qui s’arroge la civilisation. En quelque sorte, s’il y a civilisation française, nos créolisants LFIstes sont nos barbares intérieurs.

Quand, au début du XXIe siècle, un « gang des barbares » a sévi, il a certes été dénoncé dans les médias ; dans sa dimension criminelle, mais trop peu dans sa culture politique. A. Corbin a montré, avec son Village des cannibales, la profondeur de cultures politiques locales et alternatives aux grands discours publics. Au début de la IIIe république, à en croire cette lecture ancienne que j’invoque de mémoire, les milieux culturels urbains auraient entrepris de déraciner cet obscurantisme rural et, en l’espèce, criminel. Pour le début du XXIe siècle, rien de tel : uniquement la dénonciation convenue de l’antisémitisme, concept qui perd de sa vitalité et devient galvaudé à force d’être invoqué de manière superficielle, sans être adjoint d’une réflexion de fond. Surtout, comme ce gang des barbares émanait de quartiers bénéficiant de la complaisance d’une large intelligentsia, toute critique approfondie était dès lors exclue. Seuls restaient éventuellement les vociférations des plus médiocres, propices à discréditer leur cause et faciles à contrer.

La vague terroriste des années 2010 est une autre expression politique de cette barbarie intérieure, sous un chef d’inculpation parfois accolé aux actes accomplis : « actes de barbarie ». Cependant, même si des historiens ne rencontreront aucune difficulté pour identifier intellectuellement l’ennemi intérieur, leur propos ne sera pas de conduire une politique de terrain. Sur ce point, ils en seront réduits à constater que nous n’avons pas su qualifier juridiquement cet ennemi ni définir les modalités de combat appropriées ( https://blogs.mediapart.fr/jrm-morel/blog/131125/discours-presidentiel-sur-10-ans-de-guerre-quel-bilan ). Dès lors, la commission parlementaire ayant entendu J.-L. Mélenchon était presque vouée à l’échec. Il lui fallait montrer, selon les logiques de la justice pénale et sans être habilitée à juger, l’existence de réseaux LFIstes et islamistes opérationnels dans la réalisation d’attentats criminels. Les renseignements intérieurs s’étant déjà prononcés sur leur inexistence ( très importante à souligner dans le sujet ), cette commission était, sur le fond, nulle et non avenue. Seules restaient la mascarade sociale et la tribune opportune.

En revanche, si les islamistes étaient définis juridiquement comme ennemis au sens militaire du terme, cette commission ne se serait pas tenue, car substituée par une cour jugeant la propension du parti LFI à faire la propagande de l’ennemi sur le sol français. A la mode parisienne, c’est ce qu’on appelle « l’idiot utile » d’un adversaire ; car, sur la forme et le fond, J.-L. Mélenchon est parfaitement crédible quand il affirme ne pas être islamiste et leur être hostile. Le cas échéant, cette « audience » de J.-L. Mélenchon constituerait un document à charge, mais aussi à décharge.

La vision qu’il livre de l’histoire de France ancienne et récente serait au cœur de l’écheveau ; cela en tenant compte du précédent sur le créole français. Je l’ai écrit et le maintiens, dans un contexte de guerre, cette offense au peuple de France s’apparente à celle de P. Laval sur la victoire souhaitée de l’Allemagne. Or ces mots ont pesé dans la condamnation de ce dernier pour haute trahison, dans son exécution implacable et dans son accueil impitoyable par les contemporains ainsi que la postérité.

Avec Averroès, père des Lumières françaises, récidive ? Est-ce pour embrouiller ses auditeurs qu’il donne des gages de patriotisme sur les affaires plus récentes, en convoquant par exemple le souvenir de Charles Pasqua ?

Le barbare s’exprime :

Certes, J.-L. Mélenchon manie un français impeccable, meilleur que le mien. Sa grammaire est rigoureuse, son vocabulaire est riche, ses références variées et sophistiquées. De même qu’il refuse aux Français de donner leur nom à leur langue, il ne mérite pas que leur nom soit attribué à sa personne. C’est d’ailleurs à destination de ces barbares et de ceux qui pourraient être subjugués par leur artifices rhétoriques que je diffuse depuis peu des adaptations musicales des classiques de la poésie française, en version actuelle et, le cas échéant, originale ( https://www.youtube.com/watch?v=Bkf48QS9rIs&list=PL4dDWEO-OEaUHp9DRA5G86NJaRZlzZmVH&pp=gAQB ).

Peu importe : les civilisés ont toujours reconnu toutes sortes de mérites aux barbares, y compris pour en faire des portraits inversés, pour souligner des dégénérescences de civilisations ramollies. L’absence de contradiction sérieuse montre à cet égard que nos élites n’en sont pas, qu’un barbare superbe et audacieux vaut mieux que les serviteurs pusillanimes et simplets d’une nation millénaire.

Avant tout, il est important de restituer fidèlement les propos de l’intéressé. Les voici ( tels qu’accessibles sur sa page Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=JzhJL7tjMF8 ) :

( 1 h. 23’ 21’’ ) « Je ne peux faire moins, comme intellectuel, si vous le permettez, me perchant sur ma pauvre petite licence de philosophie qui impressionna tant mes parents, que de vous dire la chose suivante à propos de l’islam. L’islam est une religion, et comme toutes les religions, on peut considérer que elle pose un problème au pouvoir politique qui veut se tenir à distance d’elle. Nous autres Français, nous avons commencé avec Philipe le Bel. Je ne vous raconterai pas l’histoire mais le pape Boniface VIII a eu cher à connaître de son opposition au roi de France qui ne voulait pas qu’il se mêle de ses affaires.

Dans l’immédiat, je sais que l’esprit des Lumières, la pensée qui a cheminé de la Renaissance jusqu’à la grande Révolution, doit à l’islam et aux docteurs de la foi islamique. Je pense à Averroès qui n’a… C’est pas son nom, c’est le nom qu’on a latinisé pour éviter d’avoir à citer un Arabe dans nos sources. Averroès est le premier qui va dire… Et nos intellectuels à nous au collège de France disent qu’il fait partie des fondateurs des Lumières. A mon avis c’est un peu exagéré, mais j’ai compris ce qu’ils voulaient dire. Pourquoi ?

Parce qu’Averroès est le premier qui dit, à la consternation des Chrétiens d’Occident, qu’ils viennent, étant entrés par les Croisades en contact avec les musulmans, ont ramené des sciences qu’on trouvait de sa tête : les mathématiques, la physique, la chimie, ils sont consternés. Comment peut-il y avoir deux vérités ? L’une qu’enseignent le Livre et la religion, et l’autre qu’on trouve avec sa tête ?

Hé bien Averroès règle ce problème et il dit : la Vérité est Une et Indivisible et on y accède par des chemins différents. Il cite la rhétorique, la philosophie et la foi. Et Averroès, avec d’autres conséquences, étend son raisonnement… Au départ il s’agit d’un jugement religieux, ça n’a rien de philosophique, qui va pénétrer et travailler toute la pensée naissante à partir de la Renaissance. Et ce n’était pas un compliment à l’époque de se faire traiter d’averroïste parce que il y a des écoles musulmanes qui ont dit : ce type là est lui-même un hérétique. C’est dire que dans toutes les religions il y a beaucoup de discussions.

Mais Averroès fait partie prenante totalement de la culture des Lumières françaises. Je dis bien des Lumières françaises parce que les Lumières françaises sont particulières, comparées à celles des Pays-Bas, comparées à celles des autres pays. Les Lumières françaises ont pu déboucher sur la loi de 1905 qui n’est pas un athéisme d’Etat. Hé bien, il faut que nous soyons capables, quand on entend tant d’horreurs, d’être capable de reconnaître les liens idéologiques qui nous ont bâti en tant qu’humanité, tels que nous sommes aujourd’hui, tous autant que nous sommes.

Voilà pourquoi je ne dirais pas que l’islam est incompatible avec la République, parce que si vous allez par ce chemin, bien des choses sont incompatibles avec la République. Mais c’est si on a de la République une vision fermée, et non pas la vision de la Liberté qu’elle porte. La République c’est d’abord la Liberté et la Souveraineté du Peuple.

Ce sont mes mots pour vous dire, Monsieur le Président et Monsieur le Rapporteur : je suis certain, que c’est nous tous, les laïcs, qui auront le dernier mot dans ce pays, comme d’habitude. » ( 1 h 26’ 27’’ )

Remarque liminaire rapide : dans cet extrait, le barbare manifeste à nouveau son antagonisme avec la langue française. En reprochant la latinisation du nom d’Averroès et en insinuant à cela un mobile raciste de manière anachronique, il dénie cette fois-ci aux Chrétiens médiévaux et à leurs héritiers le droit de s’approprier les termes étrangers. Pour inverser les références, c’est comme si on reprochait au Coran de parler de 'Isa ibn Maryam ( عِيسَى إِبْنُ مَرْيَم ) en arabe au lieu de Yeshoua (ܝܫܘܥ) en araméen ; et que dire des catholiques qui prient Jésus en France, Gesù en Italie… ? Autorise-t-il un Anglo-saxon à s’appeler John-Luke si lui-même se nomme Jean-Luc ? Une traduction de son prénom en idéogrammes mandarins serait-elle permise s’il devait rencontrer Xi-Jinping ?

Autant un imbécile, ignare assumé, pourrait plaider la méconnaissance de ces évidences ; autant un « intellectuel » licencié de philosophie est totalement responsable. En l’espèce, de quoi ? Il s’agit de dénier, pour les seuls Occidentaux, le droit fondamental implicite pour tout peuple à personnaliser les noms dans sa langue. Difficile de ne pas constater que cela procède de sa barbarie inaugurale, créolisante.

Cela fait une transition parfaite avec le sujet, à savoir son rôle d’idiot utile de l’islamisme. En effet, imposer une langue officielle est une prérogative d’Etat, une manifestation de souveraineté, ainsi qu’un trait saillant des batailles culturelles actuelles. Avec les prénoms, certains ont déjà entrepris une petite géopolitique qui traduit des rapports de forces socio-culturelles. Cette démarche peut néanmoins être étendue à d’autres noms et expressions : noms propres, manières de dire « bonjour »…

Malgré de nombreuses nuances apportées ailleurs, notamment dans son emploi de la première personne du pluriel, y compris s’agissant de « notre patrie » ou de « notre histoire » ; le barbare participe déjà à une substitution de la langue française par l’arabe quand l’occasion se prête à cela. Ce faisant, il défriche un terrain utile aux islamistes qui espèrent s’imposer après lui. Cela a-t-il une réalité pénale aujourd’hui ? Non. Si l’islamisme était juridiquement défini comme ennemi au sens militaire, cette posture pourrait-elle constituer une trahison caractérisée ? En temps de guerre, nommer « résistant » un « terroriste » et réciproquement, cela suffit à officialiser un embrigadement. Un jour peut-être un juge se prononcera-t-il sur la question et confirmera ou non que J.-L. Mélenchon ait pris la place de P. Laval dans notre histoire…

L’habileté du barbare :

En revanche, sur le terrain historique et sur le fond de la question averroïste, il se présente comme un « modéré » en se réfugiant derrière l’autorité d’un collège de France qu’il juge excessif. Cependant, il ne cite pas précisément sa source. Un chercheur comme A. de Libera s’intéresse par exemple à Averroès. A-t-il déjà développé une vision aussi outrancière qui ferait d’un penseur arabe du XIIe siècle le père des Lumières françaises du XVIIIe siècle ?

Au début des années 2000, Y. Krumenacker dédiait un séminaire aux Lumières. Il organisait son propos en trois parties : l’aube des Lumières ( Descartes, Newton, Locke, Spinoza… Auxquels j’ajoute volontiers Vauban ), puis le zénith des Lumières ( génération Encyclopédie ) et enfin le crépuscule des Lumières ( notamment Kant… ). Comme l’humanisme, les Lumières constituent un phénomène réticulaire. Cependant, il s’articulait au XVIIIe siècle sur des réseaux plus complexes que ceux des facultés d’humanités et ateliers d’imprimeurs des XVe et XVIe siècles.

Avec l’humanisme comme avec les Lumières, il ne s’agit pas d’un corps de doctrine, mais de thématiques à la mode dans certains milieux sociaux ayant leurs codes distinctifs. Certes, des tendances se dégagent, sans unanimité absolue : foi en le progrès fortement nuancée avec Rousseau, basculement de priorité entre le Salut, bonheur céleste, et le bonheur terrestre par les sciences et techniques… A cela s’ajoutaient des particularismes régionaux, les Lumières françaises ayant été particulièrement anticléricales là où le mouvement piétiste avait servi d’armature aux Lumières allemandes…

Autant dire qu’Averroès était un hors sujet absolu, mais il passe ici au centre du propos du barbare. Surtout, les penseurs des Lumières sont rarement des religieux et ont des profils plus spécialisés : philosophes, bien sûr, mais aussi juristes avec Beccaria, économistes avec Adam Smith… Les Lumières, c’est une émulation, aucunement une idéologie. Le déisme compte parmi les modes des Lumières, l’athéisme point chez certains, beaucoup s’inscrivent dans leur tradition religieuse locale ; mais globalement, c’est plutôt la Création que le Créateur qui nourrit leur propos.

Placer ici la foi sur le même plan que la philosophie, ou la Raison, c’est une faveur faite par le barbare aux musulmans de France. Clairement, le rationalisme dix-huitièmiste dénonce vigoureusement toute superstition et tout obscurantisme. Il s’emploie à vérifier le texte sacré, la Bible, par l’expérience plutôt que par la lecture des Anciens ( encore très présente avec les humanistes ). C’est ainsi que Buffon tente une projection de l’âge de la planète à partir du temps de refroidissement d’une sphère métallique.

D’un point de vue chronologique, les Lumières prolongent lointainement la révolution scientifique des XVe et XVIe siècle consécutive à l’imprimerie, et directement la fin des guerres de religion qui marque une période de sécularisation des mœurs avant celle des écrits ( naissances hors mariage, premières contraceptions, moins de prières funéraires réclamées dans les testaments… ). Réduire les Lumières françaises à un discours plaçant la Foi et la Raison à égalité dans le chemin vers la Vérité, cela ne rend aucunement justice aux réalités les plus basiques et accessibles des Lumières françaises. Il s’agit plutôt d’un artifice de communication à destination d’une clientèle électorale musulmane : le barbare lui dit ce qu’elle veut, selon lui, entendre. Avec sa vision de l’histoire, le rayonnement considérable de la culture française en Europe devient une avant-garde islamique en Chrétienté.

Certes, des transferts culturels ont existé au fil de l’histoire, et nul pays ne s’est entièrement fait sui generis. En revanche, cette propension à nier les particularismes de la France et à attribuer systématiquement à d’autres ce qu’on juge positif en elle, c’est doublement antihistorique et ne saurait aucunement être nommé « histoire ». De nos jours, de n’est pas parce qu’on parle de Trump en France que les Français sont trumpistes, ni qu’ils restituent fidèlement les réalités sociales des Américains. Ils restent ancrés dans leur société et préoccupations ; bien souvent, sous couvert de débattre de la situation internationale ou d’un pays étranger, ils parlent d’eux-mêmes. Pareillement, constater dans les sources médiévales des citations d’Averroès sans prendre la mesure des réappropriations en contexte local, voire en postulant une transmission complète et immaculée, ce n’est pas faire de l’histoire mais inventer une tradition « sacrée » de substitution.

Gloser ainsi sur les Lumières françaises, les effacer en tension entre Averroès et la laïcité, cela revient à en faire une sorte de charnière vide de substance propre entre un penseur musulman « éclairé » et la loi de 1905. Le barbare nous explique-t-il que cette loi est la petite fille d’Averroès, les Lumières étant leur fille ? Que réserver une place à l’islam de France est la vocation profonde, la quintessence des débats entre A. Briand et ses contradicteurs ? Quid du siècle de Concordat qui a précédé ? Des relations entre l’Eglise et l’Etat entrecroisées avec la forme du régime et les bouleversements de la modernité industrielle ?

Malgré la vacuité historique du discours, celui-ci est crédible comme artifice de communication car il vend un scénario que beaucoup achètent sans recul : « […] il faut que nous soyons capables, […] de reconnaître les liens idéologiques qui nous ont bâti en tant qu’humanité, tels que nous sommes aujourd’hui, tous autant que nous sommes. » Beaucoup votent aujourd’hui pour l’idée d’un Français qui n’existe plus que comme abstraction d’humain, réceptacle de tous les particularismes. Quant à la République qu’il vante, elle dissout le citoyen en généralisant ses droits à tout humain ( 16’00’’ à 16’20’’ ) et en abolissant ses devoirs dans un égal statut d’administré. Cela est clairement la fin de la citoyenneté républicaine, mais il ne saurait être accusé d’en être le seul artisan ni zélateur.

Accueillir la Révélation du barbare :

Le barbare est-il un islamiste ? Non, et les oppositions ponctuelles qu’il relève, par exemple avec ironie sur les modèles familiaux, sont recevables. A force d’étudier les données électorales, je suis obligé de constater un substrat social proche, entre électorat mélenchoniste et islamisme répertorié par les services de l’Etat ( Cf mon ouvrage dédié aux présidentielles 2022 ). Voisinage ? Cousinage ?

Il m’est arrivé de soutenir que le mouvement mélenchoniste glissait progressivement de la gauche extrême à l’extrême gauche. Ce faisant, je m’appuyais sur un critère oublié mais très efficace à l’usage : les comportements électoraux. Traditionnellement, les partis les plus à gauche reportaient assez facilement leur suffrage au deuxième tour sur le candidat le plus proche resté en lice. C’était ce qui les distinguait d’une extrême gauche, de rupture avec les partis de gouvernement.

Il apparaît déjà que les candidats qui se maintiennent sont plus centraux, partant éloignés des préférences partisanes des électorats mélenchonistes. Mais il s’observe également une régionalisation du « mélencho-abstentionnisme », croissant sans être hégémonique, et notablement centré sur les banlieues qui brûlent des voitures chaque 14 juillet. Pour consolider le diagnostic de ce glissement progressif dans l’extrême gauche ( entre dynamique propre et conjoncture électorale défavorable ), j’ajoutais un critère politique : une posture démagogique évitant la mission d’éducation politique des masses populaires, que s’était autrefois assignée le parti communiste.

Sur ce dernier point, j’apprends avec cette audition que La France Insoumise aurait un dispositif exigeant de formation des militants et cadres. Cela n’atteint pas forcément les masses populaires en profondeur, mais c’est conforme avec les ambitions actuelles des micro-partis du XXIe siècle. Là encore, le glissement n’est pas total, toutes les amarres n’ont pas été coupées avec le socle historique de la gauche française. Quant à l’islamisation de l’histoire de France qui illustre cette démagogie mentionnée précédemment, il faut garder à l’esprit qu’elle procède d’un phénomène de société plus large, déjà évoquée au sujet du « Coran européen » ( Cf https://blogs.mediapart.fr/jrm-morel/blog/180925/coran-europeen-commentaire-de-video-historique-de-c-viktorovitch ).

L’année 2026 marquera l’anniversaire séculaire de la première mosquée de France ( la grande mosquée de Paris ). Or, cette audition parlementaire insiste régulièrement sur la distinction entre islamisme et islam. Celle-ci est justifiée, mais il faut aussi prendre la mesure du fait qu’un pays sans musulman ne laisse pas prise à l’islamisme. La cartographie des attentats islamistes épargne clairement l’Amérique du Sud ; quant à l’Amérique du Nord, c’est plus à travers des Européens comme Mohamed Atta qu’elle a été touchée, ce qui pourrait d’ailleurs nous interroger sur les représentations que les Américains nourrissent de notre continent, qui nous surprennent tant.

En l’absence de minorité musulmane, les thématiques islamistes n’ont pas d’écho ni ne constituent des enjeux pour la vie sociale et politique. Ce lien aussi doit être interrogé, mais il est comme le reste éludé dans cette évaluation du risque que le mouvement LFI et son discours présentent. Dès lors, le barbare peut islamiser l’histoire de France, en s’appuyant sur une partie de l’intelligentsia française et en trouvant l’assentiment ignare ou complice de la commission parlementaire. Cette dernière ne saurait voir là un travail de sape faisant tomber toutes les défenses et préparant le terrain à ceux qui prennent déjà les armes. Certes, ils ne sont pas les mêmes que ceux qui vivent pacifiquement et s’adaptent au pays de résidence ou d’accueil ; mais la distinction ne vaut pas rupture totale à l’échelle statistique.

Reste à conclure sur la réception de cette exhibition mélenchoniste à l’initiative d’un L. Wauquiez dépassé ayant déserté. La droite essaie de jouer fair-play en constatant que LFI a marqué le point et que la commission a été surclassée. Certaines vidéos commencent à sortir qui emploient les termes outranciers des titres de Youtube et tentent d’inverser le score, sans grande crédibilité pour les personnes informées par ailleurs. Nombre de vidéos de gauche exultent, ce qui est attendu et normal. Parmi toutes ces vidéos, j’ai observé avec plus d’attention celle de C. Viktorovitch, dont j’ai relevé ailleurs le manque de rigueur historique pour un diplômé d’histoire médiévale. Il semble avoir tout simplement fait l’impasse sur le passage relatif à Averroès, père des Lumières françaises : https://www.youtube.com/watch?v=J9OmEk5xrFo&t=15773s. Sujet trop glissant ?

Le mouvement LFI collabore-t-il à la progression des priorités islamistes et de leurs intérêts en France ? En effaçant et en pervertissant l’un des siècles les plus prestigieux de notre histoire dans la culture européenne, voire mondiale, le barbare laisse un espace vide pour qui veut et peut le prendre. Les Ukrainiens se battent pour leur terre, et chacun reconnaît ici que leur promotion de leur culture revêt une dimension existentielle. Pourquoi les Français doivent-ils supporter de leurs représentants que leur culture soit bafouée de la sorte dans un temple de la Nation ?

Ci-après, sur le même sujet, les deux pages promises de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert dédiée à Averroès. En outre, une satire des Lumières selon J.-L. Mélenchon, en chanson : https://www.youtube.com/watch?v=H7t48lPZZgU

Illustration 1
Averroès, extraits de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, tome XIV, article "Sarasins"
Illustration 2
Averroès, extraits de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, tome XIV, article "Sarasins"

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