Durant cette campagne des législatives, nos journalistes se sont une fois de plus heurté·es à la drôle de conception du droit à l’information du Rassemblement national (RN). Il est 18 heures mercredi quand deux de nos journalistes, Bérénice Gabriel et Nassim Gomri, tentent d’assister à une réunion publique des candidats Julien Guibert et Charles-Henri Gallois à Garchizy dans la Nièvre, en présence du député réélu au 1er tour Julien Odoul. Non seulement l’entrée au meeting leur est refusée mais celle à la conférence de presse qui le précédait aussi. Nos journalistes ont aussi été violemment pris à partie par une vingtaine de militants qui se sont mis à les filmer.
Leur tort ? Avoir voulu poser des questions sur les candidat·es investi·es alors qu’ils et elles avaient tenu des propos racistes, antisémites, homophobes. Dans la presse locale, le porte-parole du RN Julien Odoul, lui, justifie cette exclusion en affirmant que les journalistes de Mediapart sont des « militants ». Il s’en est également pris à notre journal, qualifié d’« ami du Hamas », d’« islamo-gauchiste ».
Le lendemain, en Moselle, c’est le député sortant, et également porte-parole du RN, Laurent Jacobelli qui refuse de laisser entrer nos journalistes à sa réunion publique, à Mondelange. Ils se présentent à l’entrée pour filmer et réaliser un reportage vidéo. « Vous ne vous êtes pas accrédités », leur rétorque l’organisateur, alors même que la réunion était ouverte à tous et toutes, avant de fermer la porte et de tirer les rideaux de la salle.
Cette raison est évidemment un prétexte : quelques jours plus tôt, le 26 juin, Laurent Jacobelli tenait meeting à Sérémange-Erzange et n’a pas permis à une autre de nos journalistes, Justine Brabant, d’y assister. Elle avait pourtant prévenu le député de sa venue dans sa circonscription. Le candidat a refusé de commencer sa réunion tant qu’elle se trouvait dans la salle.
Il y a quelques semaines à peine, Youmni Kezzouf, chargé de la couverture des extrêmes droites, a été écarté d’un échange informel entre Marine Le Pen et plusieurs journalistes parce qu’il avait osé lui poser une question à laquelle elle ne voulait pas répondre sur des réseaux d’influence prorusses ayant soutenu la campagne des européennes de Jordan Bardella. Il a aussi essuyé une insulte raciste d’un électeur du RN (« Je ne parle pas aux bougnoules ») alors qu’il réalisait un reportage sur les raisons de ce vote. De même, Khedidja Zerouali, en reportage à Arras, se voit renvoyée à ses origines (« J’ai rien contre vous mais bon… Il y a eu des attentats »).
Ainsi va la campagne des législatives avec le RN : peu respectueuse du droit à l’information, hostile à celles et ceux qui l’exercent. C’est inquiétant et déplorable, mais pas surprenant. Depuis des années, le parti de Marine Le Pen trie les journalistes qu’il accepte d’accréditer à ses événements.
Pendant dix ans, de 2012 à 2022, Mediapart, comme d’autres médias, a été systématiquement exclu de tous les meetings et déplacements du FN puis du RN et boycotté. Mais pas que. Sur le terrain, Marine Turchi a été la cible de menaces de mort de la part de proches de Marine Le Pen, en 2015. Plus récemment, en 2023, un autre proche de Marine Le Pen, l’ancien gudard Frédéric Chatillon, a appelé à des violences contre Joseph Confavreux, alors en reportage à Rome sur un sujet sans lien avec le RN.
Contacté, le service communication du RN ne nous a pas répondu à ce stade. L’extrême droite n’a jamais été aussi près d’accéder au pouvoir, ou d’avoir un nombre inédit de député·es à l’Assemblée nationale : en empêchant les journalistes d’informer, c’est la démocratie que ce parti met à mal.