Depuis septembre 2023, je mène une enquête dans le cadre universitaire sur le soin apporté aux femmes ayant subi une mutilation sexuelle féminine (MSF). Deux mois plus tard, je participe en tant que spectateur au Colloque : « Lutte contre l'excision en Île-de-France : Agissons ensemble ! » organisé par le Zonta Club et la Fédération Nationale GAMS, en partenariat avec la préfecture de la région d’Île de France. Durant l'événement, un problème dont je ne connais ni les tenants ni les aboutissants, contraint les intervenants et intervenantes à réduire leur temps d'intervention et à se hâter, afin de ne pas mettre en retard l'ancienne Ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, Madame Bérangère Couillard, sa parole étant, de ce fait, considérée comme la plus légitime et importante.
Dans son discours, la Ministre rappelle les engagements de l'Etat vis-à-vis de la lutte contre l'excision, les avancées et les objectifs en termes de politiques publiques, et notamment d'accompagnement à l'égard des femmes concernées. Mais, paradoxalement, elle ne dit absolument rien sur la « loi immigration » de son gouvernement qui discrimine les femmes étrangères en situation irrégulière, ni sur la volonté gouvernementale, dont s'inscrit la Ministre, de réformer l'Aide Médicale d'Etat dans le sens d'une réduction des dépenses publiques, c'est-à-dire d'un rétrécissement des soins remboursés pour les personnes étrangères en situation irrégulière. Deux semaines après ce colloque, j'écris un article - Les survivantes de l'excision ont-elles le droit à la dignité ? -, pour alerter sur les conséquences possibles d'une réforme de l'AME sur l'accès à la santé des femmes étrangères en situation irrégulière, et principalement sur celles ayant subi une excision.
Quelques mois plus tard, je rédige un nouveau papier, « L'Etat méprise-t-il les survivantes de l'excision ? », suivi quelques jours après de ma « Lettre ouverte aux députés sensibles à la cause des femmes », pour tenter de médiatiser la situation préoccupante de l'ONG « Les Orchidées Rouges ». Celle-ci est considérée comme une organisation pionnière en France en ce qui concerne l'accompagnement des femmes ayant subi une MSF et/ou un mariage forcé. Depuis sa création en 2020 par Marie-Claire Kakpotia, elle a accompagné plus de 900 filles et femmes survivantes d'excision et sensibilisé plus de 16 000 personnes grâce à ses actions de terrain. En 2021, elle obtient même un statut consultatif spécial auprès du Conseil Economique et Social de l’ONU, ainsi que la récompense du « Prix Résilience ONU Femmes France ».
Or, malgré le travail pionnier et indispensable des Orchidées Rouges, notamment dans le département du Rhône qui concentre à lui seul plus de 4 000 femmes excisées, l'ONG est menacée de fermeture. En effet, si elle a ouvert un institut médico-psychosocial à Lyon en 2023 avec la promesse d'acquérir un financement public, celui-ci n'a pas été respecté par l'Etat et les collectivités locales. Autrement dit, les subventions promisses pour l’ouverture du centre n’ont pas été allouées. Les conséquences sont telles que l'ONG est désormais menacée de fermeture puisqu'elle ne peut pas payer ses charges fixes et distribuer les salaires aux professionnelles. C'est pourquoi, si mes deux derniers articles, d'autant plus le dernier, ont pour finalité de médiatiser cette affaire, ils ont également pour objet d'interpeller directement les députés d'autre part.
En effet, il y a trois semaines, j'ai envoyé ma « Lettre ouverte aux députés sensibles à la cause des femmes » - avec plusieurs relances - à tous les députés de la Commission des affaires sociales et à ceux du département du Rhône, soit 70 élus. Si une élue écologiste a pris connaissance du dossier, c'est surtout l'initiative du député Hadrien Clouet qui est la plus intéressante pour le moment. Ce dernier a crée une « question écrite » pour la Ministre Chargé de l'Egalité entre les Femmes et les Hommes, Madame Aurore Bergé. Une question écrite est une procédure permettant à un député de poser une question à un ou une ministre qui « dispose d’un délai de deux mois pour apporter une réponse. Les questions et les réponses sont publiées chaque semaine au Journal officiel. ». La facilité de cette démarche d'une part, et les nouvelles technologies de communication et de l'information d'autre part, engendrent une inflation de cet instrument : « de 3 700 questions écrites déposées en 1959, on est passé à 12 000 en 1994 et 20 066 en 2015. ». La conséquence est connue d'avance, les membres du gouvernement ne répondent pas, ou peu, ou avec beaucoup de retard aux questions écrites. Pour tenter d'augmenter la rapidité des réponses, l'Etat a mis en place la procédure des « questions signalées » permettant « aux présidents de groupe de choisir 28 questions qui sont « signalées » dans le Journal officiel et auxquelles les ministres s’engagent à répondre dans un délai de dix jours ».
Depuis le début de l'année, on comptabilise seulement 84 questions écrites (sur 16 413) formulées au ministère chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, et aucune question signalée par un président de groupe, ce qui témoigne du faible intérêt de la politique politicienne à l'égard des inégalités de genre. Le taux de réponses du ministère est de l'ordre de 44 %, un taux qui diminue à 40,5 % pour une réponse formulée dans un délai de 2 mois. Face à cette réalité, quelle est la probabilité pour que la question écrite de Monsieur Hadrien Clouet sur la situation des Orchidées Rouges et sur la thématique des mutilations sexuelles féminines puisse interpeller Madame Aurore Bergé ?
C'est l'objet de cet article : tenter de visibiliser cette procédure politique dont la Ministre est chargée de répondre au plus vite.
La situation actuelle des Orchidées Rouges - mais surtout son dénouement - est un véritable test pour le gouvernement qui a fait de l’égalité entre les femmes et les hommes la Grande Cause du quinquennat. Plus précisément, le Président a affirmé en 2017, avec détermination, que l’éradication des mutilations sexuelles féminines (MSF) est une priorité pour lui. La mise en place en 2019 par Marlène Schiappa du « Plan national d’action pour éradiquer les mutilations sexuelles féminines », pour « Enfin faire de la France un pays exemplaire » en matière de lutte contre les MSF s'inscrit dans cette volonté.
Or, que nous dit cette volonté face au réel ? Lorsque je constate que la Maison des femmes d’Orléans, en raison d'un manque de moyens financiers, a lancé un appel aux dons en novembre 2023 pour mettre en place des actions visant à lutter contre l’excision ; qu'une association pionnière de la lutte contre les violences conjugales du Val-d'Oise, « du Côté des femmes », née en 1984, est contraint de fermer définitivement ses portes en novembre 2023 après une liquidation judiciaire. Bref, la Grande Cause du quinquennat semble être de la poudre aux yeux lorsqu'on regarde, autant au niveau national que local, l'ensemble des difficultés auxquelles sont confrontées les associations d'aide aux victimes pour travailler sereinement, voire même tout simplement pour survivre dans un univers où le manque de moyens humains, matériels et financiers est la norme.
En définitive, la situation que vit aujourd'hui les Orchidées Rouges n'est pas isolée. Sa particularité est qu'elle met en jeu la survie d'une organisation qui lutte contre des phénomènes - l'excision et les mariages forcés - qui ont peu de visibilité sur l'espace public, et ce, malgré le fait que 125 000 femmes excisées résident en France et que « 4% des femmes immigrées vivant en France et 2% des filles d’immigrés nées en France âgées de 26 à 50 ans ont subi un mariage non consenti. ». Comme je l'écrivais récemment, la situation des Orchidées Rouges « met en jeu notre cohérence et notre détermination [la France] dans l'application de nos valeurs républicaines et universelles en permettant aux Orchidées Rouges de continuer leurs activités essentielles. » C'est un véritable test pour notre démocratie, pour la crédibilité du Ministère de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, mais aussi pour la nouvelle Ministre Aurore Bergé.
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Ci-dessous la question écrite n°16290 de M. Hadrien Clouet (La France Insoumise - NUPES), député de la 1ière circonscription de Haute-Garonne, publié au Journal Officiel le 19/03/2024 :
« M. Hadrien Clouet appelle l'attention de Mme la ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, sur les coupes budgétaires infligées aux organisations engagées contre les violences faites aux femmes et plus particulièrement contre les mutilations sexuelles féminines (MSF).
Erigée en « grande cause du quinquennat » par Emmanuel Macron, la lutte contre ces violences souffre d'un manque criant de financements publics. Les actes n'ont pas suivi les mots du Président de la République. En effet, alors que le rapport de septembre 2023 publié par la Fondation des femmes estimait entre 2,6 à 5,6 milliards d'euros la somme nécessaire pour répondre aux besoins grandissants dans la lutte contre les violences faites aux femmes, le budget annuel alloué par l'État à cette cause ne dépasse pas 184,4 millions d'euros. Pire encore, en dépit de ce manque de moyens, le Gouvernement a adopté le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédit, prévoyant de nouvelles coupes budgétaires de l'ordre de 7 millions d'euros dans le programme budgétaire 137 consacré à l'égalité entre les femmes et les hommes. Ce programme dédié à l'aide et l'accompagnement des victimes de violence, au financement des actions en faveur de l'égalité professionnelle entre les sexes et à la lutte contre la prostitution, prévoyait également le renforcement du soutien au tissu associatif national et local dans la lutte contre les MSF.
À ce jour, près de 125 000 femmes victimes d'excision vivent en France et 11 % des leurs filles ont également subi des mutilations sexuelles. Face à ce fléau, le secrétariat d'État chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations avait oeuvré en 2019 à un plan national d'action visant à éradiquer les MSF. Pourtant, cinq ans plus tard, force est de constater que les moyens déployés ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. Les restrictions budgétaires annoncées sont une menace de plus sur les droits des femmes et sur leur sécurité. Par cette décision politique, le Gouvernement mène à la faillite des dizaines d'associations et de structures engagées contre les violences faites aux femmes. La maison des femmes d'Orléans a été contrainte en novembre dernier de lancer un appel aux dons pour financer l'accompagnement et le soin des victimes d'excision.
En février 2024, l'ONG « Les Orchidées rouges » tirait la sonnette d'alarme quant à l'avenir de ses activités. L'organisation qui lutte contre les MSF et le mariage forcé depuis 2017 risque de fermer ses deux instituts médico-psycho-sociaux de Lyon et de Bordeaux, les premiers et seuls en France, par manque de subventions publiques. Pourtant, l'association joue un rôle crucial dans la lutte contre les MSF en France et dans le monde. Elle bénéficie même du statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social des Nations unies, est membre du comité de suivi du Plan national d'actions visant à éradiquer les MSF porté par le secrétariat d'État et appartient au réseau européen « End FGM » et de la COD MGF, acteur majeur de la lutte contre l'excision en Afrique et en Europe. Depuis la fondation de son premier institut à Bordeaux en 2020, plus de 900 femmes et filles victimes d'excision ont bénéficié gratuitement d'un accompagnement psychologique, médical, sexologique, social et juridique. Plus de 16 000 personnels de santé, travailleurs sociaux, salariés et bénévoles d'associations, membres de l'éducation nationale et personnes issues de la société civile ont été sensibilisés à ces questions.
Aussi, M. le député demande-t-il à Mme la ministre quelles mesures elle compte prendre afin d'atteindre l'objectif d'éradication des MSF prévu par le Plan national d'action initié en 2019 par le secrétariat d'État dont elle a la charge ? Envisage-t-elle une augmentation des subventions publiques accordées aux associations et organisations non Gouvernementales engagées dans la lutte contre les violences faites aux femmes et plus particulièrement contre les MSF ? Compte-t-elle mettre en place de nouveaux financements afin de garantir aux femmes victimes d'excision l'accès gratuit aux actes de chirurgie réparatrice en cas de suppression de l'aide médicale d'État ? »
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En conclusion, cette question écrite peut être un levier pour visibiliser la situation préoccupante de l'ONG dirigée par Marie-Claire Kakpotia, faire pression pour qu'elle soit signalée par le groupe politique (LFI-NUPES) à la Ministre Aurore Bergé, et inciter cette dernière à prendre le dossier au sérieux afin que l'Etat et les collectivités locales du Rhône puissent trouver une solution adaptée pour le maintien des activités médico-psychosociales des Orchidées Rouges, à destination des femmes françaises et étrangères survivantes de l'excision et/ou de mariages forcés.
Pour celles et ceux qui veulent aider les Orchidées Rouges, vous pouvez faire un don ici, interpeller les personnalités politiques par l'envoie en PDF de ma lettre ouverte qui résume la situation de l'ONG (appuyer sur imprimer puis enregistrer en PDF), par l'envoie en PDF de la question écrite du député Hadrien Clouet, ou par un commentaire plus personnel de votre part. Voici les mails du cabinet de Madame Aurore Bergé ainsi que ceux des députés du Rhône :
Pour le cabinet de la Ministre chargée de l'Égalité femmes-hommes :
- Le directeur de cabinet : jean-baptiste.frossard@pm.gouv.fr ;
- Le directeur du cabinet adjoint : jean-pierre.heranval@pm.gouv.fr
- La cheffe de cabinet : Celine.montaner-blancho@pm.gouv.fr
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Pour les députés du Rhône, département dont les collectivités territoriales n'ont pas respecté leurs engagements envers les Orchidées Rouges :
Députés Renaissance :
- Thomas.Rudigoz@assemblee-nationale.fr
- Anne.Brugnera@assemblee-nationale.fr
- Thomas.Gassilloud@assemblee-nationale.fr
- Jean-Luc.Fugit@assemblee-nationale.fr
- sarah.tanzilli@assemblee-nationale.fr
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Députés Modem :
- Blandine.Brocard@assemblee-nationale.fr
- Cyrille.Isaac-Sibille@assemblee-nationale.fr
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Députés LR :
- alexandre.vincendet@assemblee-nationale.fr
- nathalie.serre@assemblee-nationale.fr
- alexandre.portier@assemblee-nationale.fr
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Députés Nupes :
- marie-charlotte.garin@assemblee-nationale.fr
- gabriel.amard@assemblee-nationale.fr
- idir.boumertit@assemblee-nationale.fr
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Député non inscrit :
- Hubert.Julien-Laferriere@assemblee-nationale.fr
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