Plan de l'écrit
- Introduction
- Les Orchidées Rouges (actions & impacts)
- L'Etat méprise-t-il les survivantes de l'excision ?
- Sauvons les Orchidées Rouges
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Introduction
Depuis plusieurs mois, mon activité sur mon blog s’est raréfiée, contrastant avec l'intensité assez élevée de mes contributions antérieures. La raison est assez simple. Je réalise depuis septembre 2023 un mémoire de recherche sur les mutilations sexuelles féminines, un travail qui me permet de valider ma dernière année universitaire. Cette enquête, reposant principalement sur une approche sociologique, soulève plusieurs questionnements : celui du soin et de l’accompagnement multidisciplinaire pour les femmes excisées jusqu’aux logiques idéologiques sous-jacentes de la chirurgie du clitoris et des processus de stigmatisation de ces femmes. Face à ces multiples interrogations, ma problématique centrale repose sur « L’hypothèse du soin comme processus de dé-stigmatisation du corps excisé. »
Cependant, deux faits d’actualité m’ont obligés à reprendre ma plume pour dénoncer des actions politiques discriminatoires. Le premier événement date de décembre 2023. La volonté gouvernementale de supprimer et/ou de réformer l’Aide Médicale d’Etat (AME) par la loi « Immigration intégration asile » représentait une nouvelle étape du racisme d’Etat contre les minorités ethno-raciales. Mon article « Les survivantes de l'excision ont-elles le droit à la dignité ? » avait pour finalité d'interpeller l’ancienne Ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, sur les effets catastrophiques d’une suppression/réforme de l’AME, notamment sur l’accès aux droits à la santé des femmes excisées en situation irrégulière. Ce papier reste toujours d’actualité puisque le Premier ministre Gabriel Attal a affirmé qu’une réforme de l’AME sera mise en place avant la fin de l’été 2024.
Le deuxième fait d’actualité est d’autant plus récent puisqu’il est l’objet de cet article. Alors que la France manque de structures pour accompagner, défendre et protéger les filles et femmes victimes de mutilations sexuelles féminines (MSF) et de mariages forcés (MF) à partir d’une approche dite « globale » et multidisciplinaire, l’une des institutions pionnières du pays, l’ONG « Les Orchidées Rouges » est menacée de disparition avec l’ensemble de ses instituts médico-psycho-sociaux. Comme trop souvent, la raison reste la même : le manque d’engagement de l’Etat et des collectivités locales pour défendre le droit des femmes.
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Les Orchidées Rouges
Dans mon enquête de recherche, je réalise des entretiens avec une diversité de professionnelles travaillant dans différentes unités de soin pour femmes excisées, avec les principales associations qui luttent contre les MSF comme le GAMS et Excision Parlons-En, mais aussi avec des survivantes de l’excision. Les « Orchidées Rouges » n’a pas répondu positivement à ma demande d’entretien en raison du manque de temps de ses professionnelles et de sa situation délicate. Pour autant, j’ai étudié leur mode de fonctionnement, notamment à travers leurs rapports d’activité, leur démarche holistique et multidisciplinaire se rapprochant des méthodes utilisées par d’autres unités de soin.
Avant de commencer la présentation de l’ONG, je rappelle que l’étude de Marie Lesclingand et al révèle au début des années 2010 qu’environ 125 000 filles et femmes excisées résident en France. Pour répondre aux besoins des premières concernées, des parcours d’accompagnement multidisciplinaire sont mises en place dans des unités de soin pour les femmes excisées, avec la possibilité de demander à la fin du parcours une chirurgie du clitoris - celle-ci n’étant pas essentielle dans un certain nombre de cas, la décision reste entre les mains des premières concernées.
L’ONG les « Orchidées Rouges » s’inscrit dans cette démarche d’action innovante pour accompagner les femmes ayant subi des pratiques patriarcales traditionnelles. Elle est le fruit d’une femme puissante, Marie-Claire Kakpotia. Née en Côte d’Ivoire, excisée à l'âge de 9 ans par une tante contre la volonté de mère, elle réalise en France un parcours de soin multidisciplinaire qui l’amène à réaliser une transposition du clitoris le 7 décembre 2016, un jour qu’elle considère comme « [sa] deuxième naissance ». L’ensemble de son engagement est récompensé en 2023 puisqu’elle est nommée parmi les 100 personnalités descendantes d'Afrique les plus influentes au monde.
Agrandissement : Illustration 1
Marie-Claire Kakpotia, Fondatrice et Présidente de l'ONG « Les Orchidées Rouges »
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En mars 2017, Marie-Claire Kakpotia crée en Aquitaine l’ONG « Les Orchidées Rouges ». Celle-ci a pour finalité de lutter contre les mutilations sexuelles féminines (MSF) et les mariages forcés (MF) en France et en Côte d’Ivoire. En septembre 2020, l’ONG ouvre à Bordeaux le premier Institut régional médico-psychosocial spécialisé dans l’accompagnement des femmes survivantes de MSF et de MF. Un deuxième institut ouvre à Abidjan (capitale économique de la Côte d’Ivoire) en 2021 et un troisième à Lyon en 2023. Les missions principales relèvent de la protection des filles et des femmes concernées par les pratiques traditionnelles néfastes pour la santé, l’information et la sensibilisation et l’accompagnement multidisciplinaire.
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- Les actions des « Orchidées Rouges »
Concrètement, les instituts regroupent 60 professionnels de différents domaines disciplinaires qui sont tous formés à l’interculturalité et à l'anthropologie médicale clinique. Les instituts reposent sur une démarche holistique, une philosophie médicale qui ambitionne de prendre en compte le patient ou la patiente dans sa globalité. Pour ce faire, les instituts se décomposent en plusieurs pôles :
- Un pôle « médical et chirurgical » constitué de médecins généralistes, gynécologues, chirurgiens, sage-femmes et infirmières ;
- Un pôle « sexo-psychologique » composé de psychologues et de sexologues ;
- Un pôle « ateliers thérapeuthiques » constitué de socio-esthéticiennes et d’art-thérapeutes ;
- Un pôle « juridique, insertion sociale et professionnelle » composé de juristes et d’assistantes sociales ;
- Un pôle « direction et coordination ».
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Les femmes excisées peuvent prétendre, toujours gratuitement, à de multiples outils pour structurer leur parcours de soin : consultation médicale, gynécologique, psychologique, sexologique, juridique, sociale. Il y a aussi des ateliers collectifs tels que les groupes de paroles, les ateliers socio-esthétiques (massages, soins du corps etc.), les ateliers d’éducation à la sexualité, les séances de thérapie par le théâtre, les arts plastiques, ou encore de bien-être (yoga, la sophrologie etc.). L’ensemble des outils individuels ou collectifs sont essentiels pour construire avec les premières concernées leur chemin de résilience.
Cette organisation proposée par les « Orchidées Rouges » est exemplaire. Dans l’enquête de recherche que je mène dans les unités de soin pour femmes excisées, l’un de mes résultats confirme ceux d’autres travaux qui est l’indispensabilité de l’accompagnement multidisciplinaire. L’excision est avant tout un traumatisme, ce n’est pas l’enveloppe organique d’un corps que l’on soigne, mais une personne entière dans toute ses dimensions. C’est pourquoi, la démarche holistique des « Orchidées Rouges » favorise la reconstruction psychologique, la réappropriation du corps et de ses potentialités notamment sur le plan sexuel, le développement de l’estime de soi, mais aussi les liens sociaux qui brise le sentiment d’isolement et l’impossibilité de s’exprimer sur ce sujet traumatisant. Pour finir, l’ONG mène également des actions de sensibilisation et de prévention à destination du public, des professionnels et de la société civile (conférences, de projections de film, expositions photographiques et artistiques, interventions en milieu scolaire).
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- L’impact des « Orchidées Rouges »
L’efficacité de l’institution à l’échelle régionale et internationale (avec ses actions en Côte d’Ivoire) est réelle. Depuis la création de l’ONG en 2017 et la mise en place du premier institut médico-psychosocial en 2020 :
- 900 filles et femmes survivantes d’excision et de mariages forcés ont été accompagnées dans les Instituts médico-psychosociaux ;
- Plus de 16 000 personnes ont été sensibilisées grâce aux actions de terrain ;
- En Côte d’Ivoire, plus de 5 000 jeunes ont été sensibilisés dans les établissements scolaires ;
- En 2021, l’ONG obtient un statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social de l’ONU ;
- En 2021, l'ONG obtient le « Prix Résilience ONU Femmes France ».
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Par ailleurs, le rapport d’activité de 2022 de l’ONG montre que :
- 85 % des femmes affirment se sentir mieux psychologiquement 3 mois après le début de leur accompagnement ;
- 95 % des femmes déclarent se sentir soutenues et épaulées par les équipes ;
- 88 % des femmes disent être sorties de leur isolement grâce aux ateliers collectifs ;
- 96 % des femmes expriment se sentir désormais capables de prendre la parole en public.
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L’Etat méprise-t-il les survivantes de l’excision ?
Si le travail sérieux et rigoureux des « Orchidées Rouges » est réel, son existence est aujourd’hui menacée. Les conséquences sanitaires et sociales pourraient être terribles : d’une part pour les premières concernées qui, par la fermeture des instituts médico-psycho-sociaux, ne pourront plus avoir la possibilité d’être soignées avec des équipes spécialisées ; d’autre part ce sont des dizaines d’emplois qui seront supprimées.
Dans le département du Rhône, on estime qu’il y a au minimum 4 000 femmes excisées. Lorsque l’ONG s’est installé à Lyon en 2023, l’Etat et les collectivités locales ont promis un financement à la hauteur des besoins présents sur le territoire - la région Rhône-Alpes étant la deuxième région la plus touchées par l’excision. Cependant, les beaux engagements des institutions politiques n’ont pas été tenus puisque, comme le rapporte la Fondatrice et Directrice Marie-Claire Kakpotia, les subventions promises pour l’ouverture du centre de soin n’ont jamais été reçues. La raison serait la labellisation de l’Etat de certaines structures sanitaires censées être développées sur l’ensemble du territoire, ce qui oblige les collectivités locales à dédier la plus grande part de leur budget vers la création de ces établissements. Si Marie-Claire Kakpotia salue l’initiative d’ouvrir des unités de soin, elle dénonce légitimement une discrimination qui privilégie le financement de structures labéllisées par l’Etat - il faut savoir que la labellisation oblige les structures à suivre les orientations promues par l’Etat, restreignant donc leur autonomie.
Ainsi, l’Etat et les collectivités locales, par le manquement à leurs engagements, mettent l’ONG dans une situation financière intenable, et les maigres subventions accordées ne permettent pas de couvrir les charges fixes des établissements, la rémunération des salariées et des intervenants extérieurs. Marie-Claire Kakpotia dénonce les contradictions de l’Etat : « la lutte contre les violences faites aux femmes est la grande cause du quinquennat, toutefois, dans la réalité, les mesures qui sont prises et les actions sont en contradiction avec cette volonté. ». Face à cette situation, l’ONG a mis en place une campagne d'appel aux dons pour tenter de survivre.
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Sauvons les Orchidées Rouges
Ce n’est pas la première fois que l’Etat bourgeois s’attaque aux droits des femmes tout en prétendant œuvrer à leur protection, comme je l’ai montré dans d’autres articles (ici, ici, ici). Aujourd'hui, c’est une ONG pionnière pour la protection et l’accompagnement des femmes survivantes des mutilations sexuelles féminines et de mariages forcés qui risque de fermer ses portes avec l’ensemble de ses instituts médico-psycho-sociaux. Alors qu’en 2019, la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, mettait en oeuvre le premier « Plan national d’action visant à éradiquer les mutilations sexuelles féminines », dont le dernier objectif est de « Faire enfin de la France un pays exemplaire » dans la lutte contre les mutilations sexuelles féminines, le réel nous montre encore que l’Etat, outre le fait qu’il soit bourgeois, reste profondément sexiste et traversé par des logiques raciales.
En effet, le refus de financer les Orchidées Rouges relève d’une discrimination patriarcale envers les femmes, d’une discrimination sociale puisque 75 % du public de l’ONG vit dans une situation de précarité, mais aussi d’une discrimination raciste car les premières concernées par les mutilations sexuelles féminines et les mariages forcés sont racisées. Ces femmes sont au carrefour d’une multitude d'inégalités et de discriminations que l’Etat et les collectivités locales semblent ne pas vouloir regarder.
Chers lecteurs, chères lectrices, outre les dons que vous pouvez faire pour aider les Orchidées Rouges, c’est principalement sur les institutions politiques locales et nationales qu’il faut faire pression. Participer à la lutte de l’ONG pour survivre en partageant sur les réseaux sociaux ce papier, en partageant l’appel de Marie-Claire Kakpotia et l’appel aux dons, en envoyant des lettres aux députés du Rhône (ici). Chaque petite action peut se révéler utile. Je terminerai sur les propos forts de Marie-Claire Kakpotia : « On se battra pour survivre, nous allons rien lâcher, nous allons nous battre jusqu’au bout, quels que soient les défis, pour faire survivre les Orchidées Rouges, pour continuer de lutter sur le terrain au quotidien. L’injustice et la discrimination ne vont pas l’emporter. C’est le combat pour les droits qui va l’emporter ! C’est le combat pour la justice qui doit l’emporter ! ».