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Billet de blog 17 juillet 2018

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Les tourments d’un pisse-vinaigre

Dimanche 15 juillet, 19h00, l'équipe de France devient championne du monde de football. Alors que retentissent les coups de klaxon et les cris des supporters, une journée particulière commence pour moi. Récit.

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Bien que de grande taille, je ne parviens pas à avoir la tête dans les deux étoiles. Tout un peuple « communie » avec les Bleus paraît-il, mais moi je n'y arrive pas. Ayant cessé de communier à l’âge de 13 ou 14 ans, j’avoue qu’il m’est quasiment impossible de m’y remettre. Certes, il s’agit d’une autre religion, avec d’autres rites, et certains de ses prêtres préfèrent les escorts aux jeunes garçons. Mais non, je ne peux pas, c’est au-dessus de mes forces.

Il faut dire que le business du football professionnel, façon FIFA, ce n’est pas ma tasse de thé. Entre l’équipe Nike et l’équipe Adidas, je n’arrive pas à choisir. Pas plus qu’entre l’homme-sandwich Qatar Airways ou celui qui porte les couleurs d’Emirates. Je peine à m’identifier aux joueurs qui planquent leurs millions dans un paradis fiscal, mais peut-être est-ce lié au montant de nos revenus respectifs. Pire : le sort d'Adama Traoré me paraît bien plus important que celui de Kylian Mbappé.

Un point positif toutefois, à porter au crédit de la FFF : le maillot de l’équipe de France me plait beaucoup. Le bleu est une belle couleur et le vert eut été contre-indiqué avec des sponsors comme EDF et Volkswagen.

Plus tard dans la soirée, je prends connaissance des messages de félicitation de nos dirigeants politiques sur Tweeter. C’est l’Union Nationale autour des Bleus, que je trouve pathétique, encore un signe de mon malaise.

Certes, il y a bien Philippe Poutou, athée un jour, athée pour toujours, mais il a obtenu 1% des voix à la dernière élection présidentielle… Me voilà donc propulsé malgré moi parmi les 1% ; comme les choses vont vite en cette folle soirée ! Au lieu d’en savoir gré aux Bleus, je suis pris de panique à l’idée qu’un mouvement « Occupy Stade de France », pourrait être spontanément organisé dès lundi et me prendre pour cible.

« Une France unie comme un seul homme, un homme de toutes les couleurs. » écrit Hubert Huertas dans un billet. Diable, l’heure est grave : aurais-je perdu une part de mon humanité, voire la totalité ? Cette incapacité qui est la mienne à partager cette « ferveur exceptionnelle » et à « exulter », serait-ce le symptôme d’une forme d'infirmité émotionnelle ? Est-elle innée ou acquise ? Je n'exulte pas donc je ne suis pas ? Que de questions angoissantes !

Mon inquiétude grandit quand je regarde la vidéo tournée dans les vestiaires de l’équipe de France. J’y vois Emmanuel Macron qui restaure la dignité de la fonction présidentielle en hurlant comme un télévangéliste en transe : « Vous l’avez gagnéééééééééééééée cette coupe!!!!!!! ». Comment se peut-il qu’un énarque, ancien banquier, un archétype du monstre froid en somme, puisse laisser éclater sa joie de façon si naturelle et si spontanée, tandis que moi, je reste indifférent ? C'est grave, docteur ?

Voir le président de la République embrasser passionnément tous les joueurs me met néanmoins du baume au cœur. Nombre d’entre eux sont d’origine africaine et c’est encourageant pour tous ceux qui tentent de fuir la Libye : devenez footballeurs professionnels, gagnez la Coupe du Monde et vous serez la fierté de notre douce France. Même Marine Le Pen et Gérard Collomb vous féliciteront. Les garde-côtes libyens financés par le gouvernement français (entre autres) continueront de s’occuper des autres, il faut bien que le mérite soit récompensé !

Peu avant 22h00, Mediapart met en ligne un reportage donnant la parole à des supporters des Bleus, dans la grande tradition du journalisme d’investigation. Voilà qui porte un peu plus la plume dans ma plaie. Je me prends à espérer qu’Edwy Plenel a déjà commencé la rédaction de son prochain ouvrage, intitulé « Pour les Bleus ». En mettant des mots sur mes maux,  il m’aidera à trouver les réponses à la question qui me taraude : quelles sont les racines profondes de ma « Bleuphobie » ?

Le lundi est déprimant. Alors que les Parisiens vont se rassembler sur les Champs-Elysées pour fêter la Libération … euh pardon la victoire des Bleus, je reste cloitré chez moi, insensible à la liesse populaire. La lecture du billet de Vingtras (Quelle liesse ?) me réconforte. Nous sommes donc trois à présent : Poutou, Vingtras et moi. Et puis j'en découvre d'autres : Eugénio Populin (ici), Christian Andreo (ici), Jean-Luc Gasnier (ici), ... Nous sommes au moins une demi-douzaine ! Je commence à craindre que notre maladie ne coûte plus cher à la Sécurité Sociale que les allers-retours de Macron à Moscou.

Puis, en fin de soirée, la lecture du dernier billet de Jean-Luc Mélenchon sur son blog est un véritable électrochoc.

« Je ne me suis mis à mon clavier que pour maîtriser l’étrange houle partagée qui montait en moi. » Hélas ! le coefficient de marée est bien plus élevé que le 26 mai, c'est sans doute ce qui l'incite à écrire.

« Je réponds à ceux qui m’écrivent en ce moment même pour qu’ils se protègent de l’incapacité à partager une ferveur populaire apparemment sans objet réel. » Oui, oui, c’est exactement ça, c'est le mal qui me ronge et il va pouvoir me protéger ! Vite, où est-ce que je clique pour adhérer à LFI ?

Ensuite, c’est la douche froide : « Méfiez-vous des pisse-vinaigres qui regardent de haut les grandes émotions collectives partagées sans limite visible. » Pisse-vinaigre ! La charge est violente mais je dois admettre qu’elle renforce sa stature d’homme d’État qui n’hésite pas à prendre la grande majorité de ses concitoyens à rebrousse-poil, et à parler le langage de vérité que le peuple attend.

Les symptômes qu’il décrit étant exactement les miens, je dois me faire à l'idée douloureuse que je suis peut-être (sûrement ?) un de ces pisse-vinaigres… Moi qui n’aime pas le vinaigre, sauf le vinaigre balsamique, ce qui aggrave encore mon cas puisqu'il n’est pas bleu-blanc-rouge…

Je reprends espoir car JLM, en matière de passion pour le football, est un peu un « born-again ». Quelle conversion depuis juin 2010 quand il déclarait sur RTL: « Mais je vais vous dire franchement, c’est l’opium du peuple cette histoire. Moi, je ne suis pas très footeux, alors j’ai une chose à vous dire, ça m’a toujours choqué de voir des Rmistes applaudir des millionnaires. ». Parti de là où il est parti, il doit pouvoir m'aider.

Tous ces démagogues qui récupèrent les Bleus pour espérer gagner quelques points dans les sondages n’ont aucun mérite puisqu'ils ont toujours été croyants ou fait semblant de l'être. Seuls JLM et Poutou étaient farouchement athées et Poutou entend le rester.

Il n’y a plus que toi pour me guérir, Jean-Luc, j’ai vraiment besoin de ton aide !

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