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Préalable important : Démonter la transphobie est indispensable mais insuffisant. Il faut aussi défendre les droits des personnes trans. Il faut aussi soutenir les conditions matérielles des personnes trans, par exemple en donnant au Fonds d’action social d’Acceptess-Tet promouvoir une solidarité internationale avec les personnes trans du monde entier. On doit soutenir les association comme Toutes des femmes ou l’Organisation de Solidarité Trans, donner de la visibilité à des créatrices de contenu comme Ache que je cite dans ce billet ou Daisy Letourneur. L’expertise de fond des associations, telles qu’elles se traduisent dans le Wikitrans ou dans les débunkages faits par Toutes des femmes, devrait être diffusée un peu partout. Enfin, les politiques antisociales du gouvernement frappent plus durement les minorités, notamment les personnes trans et doivent aussi être combattues.
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Depuis 36 heures, des transphobes se réclamant du féminisme (« terfs1 ») mentent publiquement sur une réponse du magazine Femina à une question de lectrice portant sur un enfant de 10 ans en souffrance, notamment car stigmatisé à l’école parce que trans. Avant de montrer comment ces militantEs produisent ce faux, il faut rappeler leurs objectifs.
Les objectifs des falsificateurs transphobes
Les enfants trans sont particulièrement viséEs par les transphobes, notamment par des paniques morales suscitées par de la désinformation permettant de nier le consensus scientifique existant. Des organisations d’extrême-droite, notamment héritières de la Manif pour tous, se sont spécialisées dans ce travail de falsification, comme l’a montré Mediapart pour l’Observatoire de la Petite Sirène (voir cet article) ou Ypomonie (voir cet article).
Parmi les fakes les plus célèbres au niveau international et encore invoqués, on peut citer le mythe des 1000 plaintes contre la clinique Tavistok, seul service accueillant des mineurEs trans en Grande-Bretagne. Il y eut de fait un seul procès, perdu par la plaignante. Cela n’empêche pas les transphobes, et le cas que j’étudie plus bas en donne un exemple, de continuer à parler de « mille plaintes ». Il s’agit par exemple du compte transphobe « Petite rpgiste » qui reprend ce mensonge débunké depuis longtemps, comme le montre l'article du Guardian que j'ai donné en lien.

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Un autre fake connu est celui de l’étude de Lisa Littman sur un supposé syndrome de « dysphorie de genre à apparition rapide », qui induirait une illusion chez les enfants qu’ils et elles seraient trans. Cette pseudo-étude a été démontée, y compris par la revue scientifique PLOS One qui l’avait publiée et qui s’en est excusée. Une étude récente en démonte encore les résultats. Ce pseudo-syndrome est pourtant au cœur de la politique américaines contre les enfants trans et « l’étude » de Littman est encore invoquée par les « terfs », comme les antivaxx citent des « études » de Didier Raoult.
Les paniques morales reposant sur l’usage systématique de la désinformation visent à faire croire à une « contagion sociale2 » du phénomène trans, notamment chez les mineurEs. Nos enfants seraient misEs en danger par un phénomène de mode entretenu sur les réseaux sociaux, par les quelques progrès dans les droits obtenus cette dernière décennie et par la seule visibilité des personnes trans. Celles-ci sont donc désignées comme des dangers pour les enfants.
En France, seules les droites et les extrêmes-droites traduisent politiquement ce discours. Ce fut le cas avec la proposition de loi du groupe Les Républicains au Sénat au printemps 2024 visant à empêcher les jeunes trans une prise en charge bienveillante, qui a suscité une mobilisation massive des militantEs féministes et LTBTQI. Cet exemple nous rappelle qu’en France, les transphobes se réclamant du féminisme et de la gauche n’ont pour seul débouché politique que les droites extrêmes, antiféministes, homophobes, racistes, antisémites.
La désinformation organisée conjointement par les « terfs » et les droites extrêmes (le cas que j’analyse plus bas en est un bon exemple) vise aussi à nier qu’un consensus scientifique existerait quant à la prise en charge des mineurEs trans. On vient d’en avoir un exemple frappant avec la publication du rapport attendu de la Haute Autorité de Santé (HAS) sur la transidentité, où, à côté d’analyses et de recommandations essentielles pour les adultes qu’il ne faut pas masquer, la section sur la prise en charge des mineurEs a été censurée et une nouvelle réflexion sur les enfants annoncée pour 2026 au motif que le consensus scientifique n’existerait pas (voir cet article de Mediapart). Or, selon un des pédopsychiatres membres du groupe de travail de la HAS interrogé, « nous avons écrit un chapitre à leur sujet, trouvé un consensus à l’exception d’une seule personne du groupe. Il a été supprimé, sans qu’aucune raison nous soit donnée. ». Les représentantes des associations trans confirment. Anaïs Perrin-Prevelle directrice d’OUTrans avertit dans Mediapart que la suppression de cette section est aussi une stratégie de diversion : « C’est ce que veulent nos adversaires, qu’on se concentre sur ce qu’ils ou elles considèrent comme une victoire. Il est important de dire aussi que ces recommandations apportent des choses positives pour les personnes trans adultes. »
Étude de cas : le courrier des lecteurs de Femina
Le contenu du courrier
L’article ciblé par l’opération de désinformation transphobe est une page du courrier des lecteur-rices du magazine Femina. Le compte transphobe qui publie le 22 juillet 2025 l’article sur Twitter / X en format Jpeg ne précise pas la date de publication. Une grand-mère, Claire (75 ans, La Rochelle), écrit pour parler de sa petite-fille de bientôt 10 ans, qui se sent mal dans son corps de fille et s’identifie plutôt comme un garçon. L’enfant « pleure tous les soirs seule dans son lit », refuse de porter des robes, a coupé ses cheveux très courts, choisi un prénom de garçon. Les parents entérinent la situation, de même que la grand-mère, qui s’inquiète cependant pour l’avenir, notamment la puberté, mais aussi pour le bien-être de l’enfant. Claire, c’est essentiel de le rappeler, mentionne les moqueries que son petit-fils endure à l’école. Aucune terf qui falsifiera cet article ne reviendra sur le cyberharcèlement scolaire transphobe, comme s’il était normal.
En réponse, la psychologue Sophie Péters rassure la grand-mère en soulignant qu’il est crucial d'écouter l’enfant avec bienveillance, sans dramatiser. Elle rappelle que l’école est un lieu d’imposition de normes et de moqueries. Elle précise qu’il ne s’agit ni d’une mode, ni d’un caprice, mais d’un questionnement identitaire profond qui peut évoluer, mais dont témoigne les choix de l’enfant, mais aussi sa souffrance. Elle insiste sur l’importance d’un accompagnement respectueux. Elle recommande aux parents de respecter le choix de leur enfant sans « l’enfermer dans une étiquette » et de consulter un professionnel spécialisé en identité de genre. Son objectif affiché est le bien-être de l’enfant. A aucun moment elle n’utilise le terme de « transition » et précise même : « Il est trop tôt pour savoir quel chemin il empruntera à l’adolescence : certains enfants transgenres poursuivent leur parcours dans la même direction, d’autres ajustent leur perception d’eux-mêmes avec le temps. »
L’opération de falsification sur Twitter / X
Le 22 juillet, le compte « Emmetterf3 » publie donc l’article en format image accompagné du commentaire suivant : « Ça va Fémina ? C'est OKLM de soutenir la transition d'une enfant de 10 ans ? » C’est, on l’a vu, un mensonge, très facilement repérable pour peu qu’on lise le texte que le compte fournit lui-même. Une première question se pose : pourquoi mentir si un vrai problème, par exemple de « contagion sociale », se posait ? La réponse semble évidente : parce qu’il n’y a pas de contagion sociale et qu’il faut la fabriquer. Une deuxième question suit : pourquoi mentir alors que le mensonge est si facilement éventable ? Parce que la transphobie ne s’encombre d’aucune cohérence, elle est sa propre cohérence, parce que les « terfs » ne ressentent pas le besoin de rigueur, parce qu’elles et ils pensent que leur public ne va pas vérifier, parce que leur haine prend le pas sur toute autre considération ?

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La désinformation d’« Emmetterf » va être reprise par de nombreuxSES transphobes. Le compte « petite rpgiste »4 relaie par exemple le fake en écrivant : « Eh @Femina_fr, ça vous dirait d'aller vous faire cuire le cul et de laisser les petites filles de DIX ANS tranquilles ? ». Je rappelle que la priorité de la psychologue qui répond était le bien-être de l’enfant, qui subit du harcèlement scolaire que la « terf », par son silence, place dans la normalité. Que signifie dès lors laisser cet enfant tranquille ? L’abandonner à sa souffrance ? « Petite rpgiste » reprend ensuite le mensonge : « DIX ANS et ça parle de transition de genre ? », et, alors qu’elle désinforme sciemment, se permet de donner des leçons en rigueur à la professionnelle : « Sophie, on te dérange pas trop ? Le diplôme psy elle l'a payé combien à votre avis ? » Le tutoiement rabaissant et le sarcasme sur le diplôme visent à créer une complicité avec son public, dans la détestation de la psychologue. Cette complicité est aussi un levier sur le public pour ne pas aller vérifier le contenu de l’article et communier dans une haine simpliste. Sans surprise, « Petite rpgiste » nie la réalité du consensus scientifique : « LES ENFANTS TRANS N'EXISTENT PAS. » et indique « Et cette enfant a besoin d'aller voir un psy COMPETENT. Merde. ». Elle ne précise pas quelle compétence devrait avoir un psy par rapport aux spécialistes des questions de genre, à l’écoute, conseillés par Femina : « spécialisé dans les questions de genre et d’identité, non pour corriger, mais pour l’aider à mettre des mots, se sentir reconnu. » Est-ce que pour « petite rpg », un « psy compétent, merde » devrait « corriger » (par des thérapies de conversion?), empêcher de « mettre des mots » et ne surtout pas « se sentir reconnu » ?

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Le compte transphobe « felinposteur » commente le fake en ces termes : « Sérieusement @Femina_fr ? Cette gamine pleure parce qu'elle a compris qu'elle allait avoir ses règles, connaître les VSS, que la société allait la condamner à n'être qu'un second rôle toute sa vie (et peut-être car elle est lesbienne)... et la réponse c'est "go la transition" ? » Rien dans le témoignage de Claire ne justifie de telles extrapolations, et encore une fois, écrire « go la transition » est un mensonge. L’activiste transphobe Françoise Emma Roux relaie la désinformation. C’est encore le cas de dizaines d’autres comptes, dont par exemple « fallen raziel » qui fait aussi référence au mensonge sur les plaintes de Tavistok. Quelques comptes gays réactionnaires appuient aussi le fake. « Transition à 10 ans ?», écrit ainsi le compte « Sebybelle », gay, transphobe, et de droite extrême. Il refuse de corriger ou de justifier son mensonge quand je le lui signale, prouvant une fois encore la déconnexion des militantEs transphobes avec le réel et la rigueur.

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L’extrême-droite, alliée nécessaire des « terfs », relaie aussi. Le compte « La baronne5 » en fait partie. Elle écrit : « On n’oublie pas que la HAS s’est déclarée uniquement « incompétente » sur le sujet au lieu d’affirmer que c’est une monstruosité ». Outre qu’elle ment autant sur le contenu de l’article de Femina que sur ce que dit la HAS, on voir bien ici l’intérêt des transphobes pour le buzz autour de la HAS, qu’ils et elles se prétendent féministe ou de gauche, ou d’extrême-droite, : ce n’est plus le contenu même du rapport (qui rappelle en préliminaire le respect de toutes les personnes trans, ce qui inclut les mineurs), mais le buzz que ces activistes ont réussi à créer par la censure injustifiée au vu du consensus scientifique de cette section du rapport.

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Dans le cas qui nous intéresse, les activistes transphobes n’ont pas réussi à intéresser les médias réactionnaires comme Marianne ou les outils de propagande d’extrême-droite qui sont leur relai habituel : le Figaro, Valeurs Actuelles, le JDD, Frontières, Cnews. Mais le mensonge est là, disponible, prêt à l’emploi. Il sera réutilisé, d’autant plus facilement que le texte original sera oublié – déjà que les activistes transphobes n’avaient aucun souci à mentir sur l’article tout en le publiant.
L’objectif est double : intimider un média qui parle des enfants trans avec bienveillance, restreindre les possibilités de parler sans stigmatiser des mineurs s’interrogeant sur leur idée de genre, surtout quand ils et elles en souffrent. Et ne laisser aux enfants trans en souffrance que le choix de la correction, de la mise au pas, bref de la thérapie de conversion. J’ai indiqué qu’aucune « terf » ne parlait du harcèlement subi par cet enfant à l’école. Est-ce parce qu’il est mérité à leurs yeux ? Parce qu’elles sont les vecteurs adultes de cette haine qui se manifestent à l’école ? Parce qu’elles l’alimentent, elles le souhaitent car il est un outil de recadrage des personnes jugées différentes, et dont les transphobes veulent détruire la vie ?
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1TERF est un acronyme anglais signifiant « Féministe radicale excluant les personnes trans ». Je l’utilise peu et entre guillemets car la transphobie est exclusive de tout féminisme, d’où l’expression « transphobes se réclamant du féminisme ».
2Voir le passage de la vidéo de la créatrice Ache à ce lien
Voir aussi la mise au point de Toutes des femmes sur leur site
3Ce compte est centré sur la désinformation transphobe comme le montre l’essentiel de son contenu.
4 Ce compte revendiqué par une lesbienne s’illustre souvent par sa transphobie. Elle retweete des selfies de femmes trans pour s’en moquer. Elle refuse de condamner le complotisme antisémite de Dora Moutot.
5Bannie à de nombreuses reprises de Twitter, ce compte est celui d’une militante d’extrême-droite libérale, raciste, antiféministe, transphobe. Elle a participé à mon cyberharcèlement. Elle est impliquée dans le scandale du Fonds Marianne, ayant coordonné avec cet argent une série de vidéos au contenu dans le meilleur des cas sans rapport avec l’objet du fonds (jeux de société, quiz), dans le pire des cas obscurantistes, anti-science, racistes et antisémites.