Irréconciliable avec la gauche, le quinquennat Hollande l’avait démontré à de multiples reprises. La création du CICE et du pacte de responsabilité offrant par exemple 40 Mds € de cadeaux au patronat sous forme de crédit d’impôt et d’exonérations de cotisations, contribuant à faire passer les allègements généraux de cotisations de 22 milliards d’euros sous Sarkozy à 49 milliards en 2018, puis 70 milliards en 2022. La loi El Khomri permit d’affaiblir le droit du travail en facilitant les licenciements et en inversant la hiérarchie des normes. La réforme Touraine des retraites de 2014 s’inscrivit dans les pas des réformes Balladur, Fillon et Woerth, en portant progressivement à 43 ans le nombre d’annuités requises pour percevoir une retraite à taux plein.
Ces mesures économiques et sociales que la droite elle-même n’avait pas osé mettre en place ne laissaient plus aucun doute sur la conversion de ce parti à l’ultralibéralisme. Le projet de déchéance de la nationalité, la répression mise en place lors des manifestations contre la loi El Khomri et le recours au 49-3 avait quant à elles confirmé le tournant autoritaire de ce parti et son peu de respect de la démocratie.
Bref, le PS avait pavé la route des deux quinquennats Macron, ce dernier n’étant qu’une de leurs créatures, les politiques mises en place à partir de 2017 s’inscrivant dans la parfaite continuité du quinquennat Hollande (ordonnances travail qui terminent la loi El Khomri, flat tax, suppression de l’ISF, baisse du taux de l’IS et réforme de l’exit tax qui perpétuent la politique de l’offre initiée par Hollande). De nombreux membres du PS ne s’y étaient pas trompés rejoignant avec enthousiasme le nouveau champion du libéralisme austérito-autoritaire, tandis que ceux qui restaient, à l’image d’Olivier Faure « [voulaient] la réussite de Macron [et souhaitaient] participer à cette majorité[1] », ce dernier joignant le geste à la parole en s’abstenant lors du vote sur la confiance au nouveau gouvernement d’Edouard Philippe.
Il fallait donc être sévèrement amnésique ou d’une naïveté coupable pour penser que ce parti, tiraillé entre sa tendance « gauche de droite » (Olivier Faure ancien directeur adjoint de cabinet de François Hollande alors premier secrétaire du PS entre 2000 et 2007, Boris Vallaud secrétaire général adjoint à l’Élysée en charge des questions sociales au moment de la loi El Khomri puis conseiller de François Hollande à partir de fin 2016) et sa tendance « gauche d’extrême droite » (depuis le départ de Manuel Valls, Carole Delga occupe le créneau avec conviction, s’illustrant notamment par son souhait d’interdire toutes les manifestations pro-palestiniennes[2]), était en mesure de rebasculer à gauche.
L’épisode NUPES aura pu entretenir auprès de certains cette illusion, alors qu’il était évident que ce rapprochement n’avait qu’un objectif, éviter la PRGisation et in fine la disparition du PS, et surtout sauver les mandats de celles et ceux qui en vivent depuis des années. On peut d’ailleurs souligner le peu de sectarisme de LFI qui avait alors fait le pari de l’union plutôt que de rayer de la carte cette amicale de l’intrigue et des coups bas, trop contente de s’afficher sur ses tracts avec le portrait de Jean-Luc Mélenchon et des propositions en grande partie inspirée du programme LFI, avant de piétiner avec application l’un et l’autre une fois l’élection acquise. La séquence NFP laissera quant à elle peu de doutes avec l’élection comme députés de François Hollande et d’un des serviteurs les plus zélés de la politique hollando-macroniste, Aurélien Rousseau[3].
Depuis, le PS n’a cessé de prendre ses distances avec le NFP et d’afficher sa véritable nature. Celle d’un parti seulement préoccupé par le maintien de postes pour ses élus, idéologiquement de droite, méprisant des électeurs dont il redoute plus que tout le suffrage. Un parti qui ouvre un boulevard aux discours du RN à base de « tous les mêmes », « UMPS », « tous pourris », « des élites qui ne vous respectent pas et qui vous mentent ».
Après avoir tenté de mettre sur le même plan Israéliens et Palestiniens, alors que le massacre méthodique de ces derniers se déroulait sous nos yeux, et avoir rejoint de façon honteuse les tartuffes et les fossoyeurs de la lutte contre l’antisémitisme, le PS servit de béquille au gouvernement Bayrou en février 2025, au nom, déjà, de concessions anecdotiques et de la nécessité de disposer d’un budget. Après un printemps consacré à son congrès, où le seul enjeu fut de savoir qui insulterait le plus fort Jean-Luc Mélenchon et plus globalement LFI, le PS occupa tout son automne à négocier avec le nouveau Premier ministre afin d’éviter une dissolution qui les renverrait, faute d’alliance avec LFI, à la réalité de leur poids politique, celle qui conduisit leurs candidats à la présidentielle à réaliser des scores de 6,36% en 2017 puis 1,74% en 2022. Cette trouille des élections, au cours desquelles les députés auraient eu des comptes à rendre aux électeurs qu’ils avaient trompés quelques mois plus tôt, conduisit le PS à ne pas voter la motion de censure déposée par LFI au mois d’octobre 2025 alors même que les PLF et PLFSS déposés par le gouvernement étaient d’une violence inouïe. Refus de la censure une nouvelle fois justifiée par les concessions obtenues, à savoir un simple décalage de la réforme des retraites permettant aux générations 1964 à 1968 de partir 3 mois plus tôt. Ainsi, un « biscuit » de 400 millions d’euros face à des économies alors annoncées à hauteur de 17 milliards d’euros sur la sécu suffisaient à acheter le PS. L’interview donnée par Olivier Faure dans la foulée exposait la position désormais assumée par le PS, à savoir se coucher et ne pas trop exiger de ce gouvernement afin d’éviter à tout prix de nouvelles élections législatives (« La seule façon d’avancer, c’est d’accepter le jeu démocratique, donc le Parlement tel qu’il est » ou encore « La meilleure façon de vivre avec la tripartition, c’est d’avoir un Parlement adulte, où chacun accepte de perdre certains votes et d’en gagner d’autres »). On peut néanmoins souligner qu’à l’époque, le PS n’envisageait qu’une abstention sur le PLFSS et laissait entendre qu’il se fixait des lignes rouges qui seront vites abandonnées, l’abrogation de la réforme des retraites se transformant en simple décalage de calendrier et la taxe Zucman étant tout simplement abandonnée…jusqu’à aboutir à ce dernier vote favorable sur le PLFSS, non sans avoir discrètement encouragé le gouvernement à recourir au 49-3 (chassez le naturel…), plaçant de fait le PS dans l’arc des forces politiques soutenant le gouvernement Lecornu. Vote favorable en faveur d’un PLFSS qui prévoit un milliard de taxes supplémentaires sur les complémentaires (qui les répercuteront sur le prix de contrats, ce qui frappera plus durement les plus pauvres et les plus vieux, le tarif des contrats ne tenant pas compte des revenus et augmentant avec l’âge) et un ONDAM à 3,1% quand l’évolution spontanée des dépenses est évaluée entre 3,6% et 4%.
Mais un tel vote est-il si surprenant ? N’est-il pas plutôt logique compte tenu de ce qu’est ce parti, qui n’avait pas hésité sous le quinquennat Hollande, en plus des mesures déjà citées, à réduire les allocations familiales au-delà d’un certain niveau de revenu ou à envisager de mettre en place la dégressivité des allocations chômage afin de « favoriser le retour à l’emploi » ? Signe qui ne trompe pas, ce retour au bercail idéologique s’est accompagné du soutien plus ou moins actif de l’ensemble des forces ayant participé au hollandisme. Ainsi, dès le 14 octobre, le jour-même de l’annonce de la non-censure par le PS, la CFDT s’écriait « victoire pour les travailleurs »[4]. On comprend mieux cet enthousiasme lorsque l’on découvre que Marylise Léon est-elle-même allée négocier avec Emmanuel Macron le décalage de la réforme des retraites. Car au royaume définitivement pourri de la social-démocratie, la trahison marche sur deux jambes, le PS se charge des électeurs et électrices et la CFDT des travailleurs et travailleuses. L’activisme de ce duo infernal ne doit pas masquer des lâchetés plus discrètes, à l’image de celle des écologistes, qui se sont massivement abstenus (26 abstentions, 3 pour et 9 contre). Attitude là non plus pas forcément surprenante, car dans l’univers de la gauche de droite, les écologistes représentent la tendance complexée face à un PS beaucoup plus décomplexé (sauf nécessité de s’allier avec LFI pour sauver ses mandats d’élus).
Cet épisode, qui affaiblit le camp de la gauche et renforce celui de l’extrême droite, aura au moins le mérite de rappeler une évidence à celles et ceux qui auraient la mémoire courte. Si l’union de la gauche est souhaitable pour que celle-ci gagne en 2027, cette union ne pourra se faire que sous hégémonie LFI. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’amicale de la gauche de droite s’active autant à promouvoir une union sans LFI, seule garantie de pouvoir perpétuer les politiques mises en œuvre sans discontinuité depuis plus de 20 ans.
[1] https://x.com/BFMTV/status/861861668065857536
[2] https://www.liberation.fr/politique/interdire-les-manifestations-pro-palestiniennes-un-reflexe-dinculture-democratique-20231013_XCLNLJ3FLZC4PMXOOXPLLTEWAE/
[3] Si le parcours de ce Rastignac de bac à sable est assez commun et propre à ces époques de « clair-obscur (où) surgissent les monstres », il mérité d’être cité tant il est emblématique : s’engageant tout d’abord en politique au Parti communiste, ce jeune ambitieux réalise rapidement que cet engagement, combiné à un parcours scolaire initial somme toute un peu raté compte tenu du capital culturel dont il bénéficiait, ne lui permettront pas d’assouvir les rêves d’ascension sociale qui sont les siens. Il passe donc le concours interne de l’ENA puis rejoint assez vite le cabinet du Maire de Paris, Bertrand Delanoë, avant d’intégrer les cabinets des Premiers ministres Manuel Valls et Bernard Cazeneuve. Après avoir occupé quelques postes fort rémunérateurs tels que directeur général de la Monnaie de Paris ou de l’ARS Ile-de-France, il devient directeur de cabinet de la Première ministre Elisabeth Borne, poste où il aura tout le loisir de préparer la réforme des retraites et de participer aux arbitrages concernant la loi immigration qu’il feint de découvrir alors qu’il a été entre temps nommé ministre de la Santé. Ce projet de loi immigration lui offre l’occasion de quitter une macronie agonisante et de se replacer vers la gauche. Tactique payante puisqu’il sera élu député en juillet 2024, en tant que nouveau membre du mouvement Place publique de Raphaël Glucksmann, dans une circonscription attribuée au PS dans le cadre du NFP, sur un programme en tout point contraire à tout ce qu’il a pu mettre en œuvre au cours de ce parcours professionnel frappé du sceau de l’opportunisme.
[4] https://www.cfdt.fr/sinformer/communiques-de-presse/retraites-la-suspension-de-la-reforme-est-une-vraie-victoire-des-travailleuses-et-des-travailleurs?fbclid=IwY2xjawOor41leHRuA2FlbQIxMABzcnRjBmFwcF9pZBAyMjIwMzkxNzg4MjAwODkyAAEeuGH5WsqP4fuvRXxKvFbxrTruKx6HyAfY3cdCkNJ-hf9I4GX3OfD3WDlWgfo_aem_52Qy-dv3AaWVVxmH63gJKQ