« Nous, on est des petits bourrés, mais eux ce sont des riches sans respect ». À Arles, ville symbole de la disneylandisation urbaine – notamment sous l’impulsion de Maja Hoffman, héritière des laboratoires pharmaceutiques du même nom – Nathalie et Jean-Jacques, les patrons de l'Atlantic Bar sont le centre de l'attention. Ici, on chante, on danse, on se tient les uns aux autres. Mais tout est chamboulé par la mise en vente du bar par le propriétaire du fonds.
Les deux tenanciers en contrat de gérance depuis des années doivent lutter pour garder le lieu qu’ils ont contribué à valoriser ou trouver les 75 000 € nécessaires à son rachat.
Alors qu’apparaît parfois à l’image, la luxueuse tour Luma, Fanny Molins filme les vestiges d’un lieu qui disparaît en s’attardant sur les à-côtés, ceux qui font les petits bonheurs comme les grands malheurs. Le bar n’est dès lors plus le lieu de l’essence du monde mais celui de sa lente dislocation.
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L’inquiétude des habitués se manifeste de manière douce ou violente dans une galerie de personnages aux réparties parfois brossées à traits trop rétrospectifs. Il s’agit pour la réalisatrice (retrouvez ici son interview par Nora Theul) de trouver comment « montrer l’individualité de ceux qui sont une représentation, un élément d’architecture, dans l’imaginaire commun : les “piliers de bar” ».
Des vies de gueules cassées, parfois bravaches, parfois intimidées, qui racontent face caméra comme au comptoir, dernier espace de socialisation encore ouvert à tous, leurs vies de bandits repentis confrontés à trop de violence. Souvent la même histoire, celle de « déclassés sociaux » refusant de jouer à un jeu de cartes pipées.
« Je préfère être un lâche vivant qu’un héros mort »
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Au centre du jeu, l’alcoolisme et ses ravages, en particulier pour Nathalie, « actrice emprisonnée dans son rôle » que la perte de son bar pousse à re-plonger. Il s’agit dès lors d’éviter l’écueil du misérabilisme. L’attachement de la réalisatrice à ses personnages - humain trop humain - et une superbe photographie permettent de s’en détacher. « Je ne voulais pas emmurer les protagonistes dans un contexte social. J’ai voulu parler de leurs désirs. Est-ce que l’on boit pour se rappeler justement à nos désirs ? Quand on se lève, qu’on traverse la rue et qu’on va se confronter à d’autres humains, même pour boire, est-on animés de pulsions de vie ? »
La bande sonore est animée de cette pulsion, des chansons de Johnny Hallyday entonnées par Jean-Jacques « l’envie d’avoir envie » jusqu’à ce chant final extrait de l'album Solitudes à deux du même Johnny : « nos misères et nos gloires, c'est fini, salut Charlie. Et je boirai pour deux… » fredonné à mi-voix par Nathalie en pensant à son frère Charles décédé.
Le film est avant tout celui d’une histoire d’amour, entre les deux gérants de l’Atlantic Bar, dont tous les gestes, les attentions même parfois rogues, témoignent d’une profonde complicité… car si « on peut vivre sans richesse, on ne peut vivre sans tendresse ». Et la chanson de Bourvil de résonner pour ponctuer le film d’une séquence emblématique où, seul, un « marin sans bateau » danse sous les projecteurs. Mais c'est là encore la force de résilience qui prédomine, individuelle mais surtout collective face à l’adversité. Quand il faut « revenir encore et encore jusqu’à la réussite… »
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Atlantic Bar de Fanny Molins - France | 2022 | Durée : 1h17 - Sortie en salle le 22 mars 2023
Ce film a reçu le label “Oh my doc !” créé en 2020 par France Culture, la Cinémathèque du documentaire, l’association Les Écrans, la plateforme Tënk et Mediapart afin de chaque mois soutenir la sortie en salle d’un documentaire remarquable.