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Billet de blog 6 décembre 2024

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Spencérisme, dessein intelligent, darwinisme, écologie, cybernétique.

Le spencérisme est dans le vrai, le dessein intelligent est dans le vrai, le darwinisme est dans le vrai, l'écologie est dans le vrai, la cybernétique est dans le vrai, mon tout est dans l'erreur. Car le vrai est dans l'erreur, autant que le faux.

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Cela dit, il y a des degrés dans le faux et le vrai. Les degrés de faux du spencérisme et du dessein intelligent sont hauts, du darwinisme et de l'écologie bas, de la cybernétique indéterminable. Les degrés de vrai du spencérisme et du dessein intelligent sont bas, du darwinisme et de l'écologie hauts, de la cybernétique indéterminable. Le degré de vrai ou de faux de la cybernétique sont indéterminables parce que ce domaine du savoir s'intéresse à l'erreur; comme nous sommes dans l'erreur, mesurer les degrés de vrai ou de faux n'a guère d'intérêt car la valeur obtenue ne vaut qu'au moment où on la mesure, que cela n'informe pas sur le degré passé de l'un et l'autre, moins encore sur leur degré futur, alors qu'une étude précise de l'erreur enseigne beaucoup sur le passé et le futur – très peu sur le présent c'est certain mais quelle importance puisque le présent est une transition imperceptible entre le passé et le présent? C'est bête à dire mais s'informer sur le présent c'est tenter de mesurer le futur, une fois celui-ci mesuré il devient immédiatement du passé; on est alors informé sur lui mais cette information ne nous informe ni sur le présent, qui est transitoire, ni sur le futur, qui est imprévisible. Donc, autant s'intéresser à l'erreur plutôt qu'au vrai ou au faux. Je dis souvent de Guy Debord qu'il n'était pas… Ouais, je ne sais exactement comment décrire ou nommer ça. Disons, pas toujours très pertinent – comme vous, comme moi, comme n'importe qui. En revanche c'était un poète de talent, qui a entre autres écrit cette belle sentence:

«Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux».

La mise en exergue est de lui. Cette sentence est la thèse 9 de La Société du Spectacle. (accessible en divers format sur cette page). Si vous souhaitez savoir ce que Debord nomme “thèse” dans l'ouvrage, voir son «Avertissement pour la troisième édition française» où il ne l'explique mais où on peut le comprendre, ce qui est très suffisant: pourquoi expliquer l'évidence? Sinon, cette sentence,

«Dans le monde réellement renversé, le faux est un moment du vrai»,

est tout aussi valide, d'où, ces deux sentences,

«Dans le monde réellement établi, le vrai est un moment du faux»,
«Dans le monde réellement établi, le faux est un moment du vrai»,

sont elles aussi valides. Quel que soit l'état du monde à un instant donné, ces deux aspects de la réalité sont dans un rapport de réciprocité, l'un est un moment de l'autre et l'autre est un moment de l'un.

Si ses analyses Debord ne sont pas aussi tranchées, cette sentence et de nombreuses remarques (de l'ordre de l'opinion) dans son livre donnent à croire que pour lui, ou en tout cas dans l'intérêt de son propos, le monde réellement établi est “le monde du vrai”, celui où, en contraste à cette thèse 9, le faux serait un moment du vrai. Mais, le monde réellement établi ne serait-il pas un moment du monde réellement renversé, donc le monde réellement renversé un moment du monde réellement établi?

Tiens, parlant du vrai et du faux, quel meilleur spécialiste du faux – en écriture ou par quelque autre moyen – qu'Umberto Eco? Il me semble que s'il avait eu à émettre une sentence là-dessus, il aurait dit ou écrit:

Dans le monde réellement réel, le vrai est un moment imperceptible du faux.

Il aurait peut-être ajouté, en tout cas, cette sentence prêtée faussement à Eco étant de Ma Pomme, j'y ajoute: quoi de plus vrai que le faux? Je le dis parfois, le vrai je ne sais pas trop ce que c'est, sur les choses qui me semblent vraies je dois souvent par la suite réviser mon jugement et les constater fausses ou douteuses; je reconnais toujours en revanche le faux qui ne se couvre pas du masque du vrai, et quand il s'en couvre, arrive toujours le moment où je constate que ce n'est que le masque du vrai, donc le faux puisqu'un masque est toujours faux.

Je parle d'Umberto Eco parce que je suis certain que, cherchant quelque chose sur, disons, la vérité du faux, je trouverai chez lui quelque chose qui dira mieux que je ne saurais le faire ce que je souhaite dire sur un tel thème. Du coup j'ai décidé d'acheter quelques faux livres, des “livres” électroniques, de Sa Pomme, ce vendredi 5 décembre 2024 à peine commençant, plus un vrai livre sur le faux. En voici la liste:

Le vrai livre est la version papier du dernier, dont le titre complet est Reconnaître le faux, Dire le faux, mentir, falsifier. En allant chercher ces liens (vers le site “Les Libraires”, que je vous recommande pour vos achats de livres) j'ai revu une annonce pour la version papier de Construire l'ennemi, un bouquin un peu cher (19€, contre 7€ en version électronique) mais l'ai trouvé d'occase pour 3,19€+4,50€ de frais de port, à peine plus cher que sa version électronique. Les occases, y a qu'ça d'vrai! – Ah oui, c'est pas faux…).

Parlant de la date, ça me fait penser: j'ai un billet à publier.

Fait. C'est le billet «L'Epistolero a déjà dégainé! En avent, a-t-il dit!». Je vous invite à le consulter pour accéder aux billets de L'Épistoléro.après avoir terminé ce billet-ci, ou avant d'ailleurs, et plus largement à parcourir Le blog de L'Épistoléro, il vaut toujours la lecture. Je reprends.

Comme je l'expliquais dans un précédent billet, «De l'utilité des livres inutiles»:

«Si je souhaite donner du poids à mes arguments, ça peut être d'un intérêt certain de les mettre sous la plume [d'une personne ayant une surface médiatique importante]. Mes arguments ont une pertinence variée, de très haute (rare) à très basse (rare); le simple fait de donner une référence “solide” (l'onction du discours d'une “notabilité”, d'une personne notable), leur donne du poids».

J'apprécie moyennement Guy Debord, j'apprécie grandement Umberto Eco, cela dit je me réfère à eux pour une autre raison, donner du poids à mon propre discours. J'ai très mauvaise opinion de Debord, un sale type selon moi, et un con. Il faut l'être pour écrire un truc de ce genre:

«Ces Commentaires sont assurés d’être promptement connus de cinquante ou soixante personnes; autant dire beaucoup dans les jours que nous vivons, et quand on traite de questions si graves. Mais aussi c’est parce que j’ai, dans certains milieux, la réputation d’être un connaisseur. Il faut également considérer que, de cette élite qui va s’y intéresser, la moitié, ou un nombre qui s’en approche de très près, est composée de gens qui s’emploient à maintenir le système de domination spectaculaire, et l’autre moitié de gens qui s’obstineront à faire tout le contraire. Ayant ainsi à tenir compte de lecteurs très attentifs et diversement influents, je ne peux évidemment parler en toute liberté. Je dois surtout prendre garde à ne pas trop instruire n’importe qui.
Le malheur des temps m’obligera donc à écrire, encore une fois, d’une façon nouvelle. Certains éléments seront volontairement omis; et le plan devra rester assez peu clair. On pourra y rencontrer, comme la signature même de l’époque, quelques leurres. À condition d’intercaler çà et là plusieurs autres pages, le sens total peut apparaître: ainsi, bien souvent, des articles secrets ont été ajoutés à ce que des traités stipulaient ouvertement, et de même il arrive que des agents chimiques ne révèlent une part inconnue de leurs propriétés que lorsqu’ils se trouvent associés à d’autres. Il n’y aura, d’ailleurs, dans ce bref ouvrage, que trop de choses qui seront, hélas, faciles à comprendre».

C'est le premier des Commentaires sur "La Société du Spectacle". Que peut être «tout le contraire» de «s’emplo[yer] à maintenir le système de domination spectaculaire»? Ne pas s'employer à le maintenir? S'employer à le détruire? Et comment s'employer à le maintenir? Tout ce passage est un truisme, une “vérité d'évidence”, or comme il n'existe aucune vérité évidente, c'est autre chose. Du coup il faut le prendre au sérieux, et lire tous ces commentaires comme des vérités d'évidence mais qui seraient “masquées”. Notamment ces deux passages:

«Ayant ainsi à tenir compte de lecteurs très attentifs et diversement influents, je ne peux évidemment parler en toute liberté. Je dois surtout prendre garde à ne pas trop instruire n’importe qui […].
On pourra y rencontrer, comme la signature même de l’époque, quelques leurres. À condition d’intercaler çà et là plusieurs autres pages, le sens total peut apparaître […]. Il n’y aura, d’ailleurs, dans ce bref ouvrage, que trop de choses qui seront, hélas, faciles à comprendre».

On voit ici la cohérence de l'incohérence: j'écris pour quelques-uns mais ces rares lecteurs importants sont pour moitié “pro”, pour l'autre “anti”, d'où un nécessaire masquage de mon propos, mais je vous en donne quand même les clés, et d'ailleurs ce masque est inutile et mon discours trop facile à comprendre. Cette critique dans le commentaire II est intéressante:

«Il est vrai que cette critique spectaculaire du spectacle, venue tard et qui pour comble voudrait “se faire connaître” sur le même terrain, s’en tiendra forcément à des généralités vaines ou à d’hypocrites regrets; comme aussi paraît vaine cette sagesse désabusée qui bouffonne dans un journal.
La discussion creuse sur le spectacle, c’est-à-dire sur ce que font les propriétaires du monde, est ainsi organisée par lui-même : on insiste sur les grands moyens du spectacle, afin de ne rien dire de leur grand emploi».

On a ici la curieuse impression, en tout cas je l'ai, que Guy Debord se fait critique de la pratique spectaculaire de Guy Debord. Il y a de quoi se tirer une balle dans la tête, quand on décrit sa propre pratique “anti-spectaculaire” comme un des aspects du Spectacle, ce qu'il a fini par faire. Dans une page de commentaires j'écrivais il y a peu (il y a environ 1h30) ceci:

«Comprendre les choses sans savoir les interpréter peut rendre idiot ou fou […]; on n'est jamais trop prudent, trop de lucidité peut rendre encore plus fou qu'un refus de lucidité».

Pendant longtemps Debord a préféré l'idiotie à la folie, et un jour il y a renoncé. La folie est dangereuse, la lucidité aussi. Dangereuse pour soi.


Censément, ce billet au titre sibyllin, «Spencérisme, dessein intelligent, darwinisme, écologie, cybernétique», a pour sujet ou thème:

«Le spencérisme est dans le vrai, le dessein intelligent est dans le vrai, le darwinisme est dans le vrai, l'écologie est dans le vrai, la cybernétique est dans le vrai, mon tout est dans l'erreur. Car le vrai est dans l'erreur, autant que le faux».

Pas tellement moins sibyllin. Je vous laisse y réfléchir.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.